La rose tatouée

Caïn Bates

Motif d'hospitalisation:

      Paralysie de la main droite suite à un tatouage il y a une semaine chez un patient de 32 ans.

Antécédents notables: aucun.

Mode de vie:

        Comptable, célibataire sans enfants.
Tabagisme 1 paquet/jour. Alcool occasionnel.

Histoire de la maladie:

     Le patient a pris il y a une semaine la décision de se faire tatouer le dos de la main droite (tatouage en forme de rose).  Apparition progressive d'une paralysie depuis le tatouage. Consulte aux urgences ce jour: hospitalisation en neurologie pour exploration.

Examen clinique à l'entrée:

         Tension artérielle 134/67. Température 36.8.
Examen cardio-pulmonaire et abdominal sans anomalie. Examens sanguins sans anomalie

Examen neurologique:

    Paralysie totale de la main et de l'avant-bras droit (force musculaire cotée à 0/5), hypotonie. Au testing sensitif, anesthésie totale de la main jusqu'au poignet. 

Examen cutané:

   Tatouage d'apparence récente, aspect non infecté.

Examens complémentaires à l'entrée:

        Scanner cérébral sans anomalie.

 Électromyogramme:

      Abolition totale des influx nerveux à partir du poignet.

Radiographie de la main:

 Déminéralisation osseuse diffuse, pas d'arguments pour expliquer les troubles neurologiques.

Évolution dans le service:

Jour 1:

     Pas d'évolution de la paralysie. Élargissement inexpliqué des traits du tatouage. Pas de signe d'infection. Patient angoissé par la situation: passage du psychologue dans l'après-midi.

Jour 2:

    Paralysie totale persistante. Net élargissement du tatouage, la rose n'est presque plus discernable, aspect de tache sombre sans forme précise. Avis dermatologique demandé.

Jour 3:

     Avis dermatologique: pas de diagnostic sur la manifestation cutanée au niveau de la main droite. Indication à une biopsie cutanée et à un cerclage de la lésion au feutre pour suivre son évolution. Tentative de contacter le tatoueur à l'adresse fournie par le patient: aucune boutique de tatouage référencée à cette adresse. Enquête policière ouverte.

Jour 4:

    Doublement de taille de la lésion cutanée par rapport au marquage au feutre. La main est maintenant entièrement noire jusqu'au poignet. Le patient rapporte des mouvements involontaires nocturnes de la main, non vus par l'équipe médicale. Pas d'amélioration des symptômes neurologiques.

Résultats de la biopsie cutanée:

     Aucune structure cutanée normale retrouvée. Substance amorphe noire, non identifiée, sans cellule ni structure biologique. Culture bactériologique et mycologique en attente.

Jour 5:

Nouvelle radiographie de la main:

   Disparition totale des os jusqu'au poignet. Avis rhumatologique demandé: aucune explication. Décision d'exploration chirurgicale de la main droite en urgence: non réalisée car impossible d'inciser (bistouri brisé contre la peau atteinte). 

À l'examen:

    Extension de la paralysie au coude. Extension de la coloration noire au milieu de l'avant-bras. 

    Le patient présente ce jour des symptômes psychiatriques à type d'hallucination complexe, persuadé que sa main bouge seule pendant la nuit et essaye de l'étrangler. Avis psychiatrique demandé.

Jour 6:

Avis psychiatrique:

    Délire paranoïde hallucinatoire: le patient est persuadé que sa main droite a pris son indépendance vis-à-vis de son corps. Adhésion totale du patient au délire, persuadé de la réalité de ses propos. Décision de transfert en service de psychiatrie.
   Devant la progression du phénomène cutané inexpliqué, programmation d'amputation demain matin. Consultation d'anesthésie réalisée ce jour. Culture bactériologique négative. Culture mycologique négative.

Jour 7:

  À l'examen physique, extension de la coloration cutanée et de la paralysie à l'épaule droite: amputation non réalisable. 

Sur le plan psychiatrique:

 Introduction de Zyprexa à visée antipsychotique, aucune efficacité clinique. Persistance du délire sur l'indépendance de sa main droite: réaction psychiatrique probablement réactionnelle à son affection cutanée et neurologique non identifiée.

Jour 8:

   Mot retrouvé ce matin au pied du lit du patient: "JE PRENDS LE CONTRÔLE".

     Aucun souvenir d'après le patient d'avoir écrit ce mot. Ne cesse de nous répéter que c'est sa main droite qui l'a écrit. Majoration des doses de Zyprexa.
     Le patient présente dans la foulée une crise clastique violente, avec destruction de tout le mobilier de sa chambre en hurlant. Tentative de s'amputer le bras avec un bistouri volé à l'infirmière, sans résultat.

Jour 9:

  Crise d'agressivité au cours de la nuit. L'infirmière de nuit blessée rapporte que, alors qu'elle effectuait son tour de surveillance à 4h, le patient lui a brutalement planté un stylo dans le bras avec sa main droite, avant d'être maîtrisé par ses collègues.
       Décision de contention physique du patient, appel des autorités policières. En dehors de son caractère violent, il s'agit du premier mouvement de la main droite objectivé par un membre de l'équipe soignante. Ce matin cependant, persistance d'une inertie totale du bras.

Jour 10:

      Patient retrouvé en arrêt cardiaque ce matin: échec de la réanimation, décès prononcé à 9h38. On note immédiatement la disparition du bras droit du patient: moignon sanglant au niveau de l'épaule. Nettes marques de strangulation au niveau de la gorge du patient. 
      Par ailleurs, nouveau mot retrouvé au pied du lit: "J'AI GAGNÉ, JE SUIS LIBRE..."

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