La Route est Longue

chleurk

Les mains crispées sur le volant, elle rive son regard loin devant elle, sur cette route sinueuse qui n'en finit pas de se dérouler. Elle ne sait pas depuis combien de temps elle conduit. Des heures, des centaines de kilomètres avalés, autant de poussière remuée pour se retrouver là, au milieu de nulle part, à fixer un paysage qu'elle ne connaît pas et dont elle se contrefiche.

Elle s'arrête brusquement, se gare dans le fossé et sort en claquant la portière. Elle hurle, elle se défonce la voix, elle s'étrangle avec ses larmes, puis elle éclate de rire, renifle, essuie ses joues humides, glousse. Elle se trouve stupide, complètement irrationnelle.

Pourquoi a-t-elle fait cela ? Pourquoi est-elle montée dans cette voiture pour se perdre aussi loin de chez elle ?

Elle s'assied sur un rondin, sous les branches d'un châtaigner, celui-là même où le rossignol chantait. Elle enfonce ses coudes dans ses cuisses et pose son menton au creux de ses mains. C'est idiot, vraiment.

Elle ferme les yeux, écoute un instant le vent murmurer quelque chose aux arbres. Il se moque, il rit, lui aussi. Il a ce rire étrange, ce timbre qui semble ressurgir de l'oubli. Une image jaillit de sa mémoire. Un garçon, la tête renversée, qui rit aux éclats. D'un seul coup, elle est transportée ailleurs, dans un monde passé, dans un monde de souvenirs. Elle se rappelle.

L'odeur de la marée sur la plage de galets. Le bruit d'une pierre jetée à l'eau. La morsure du froid sur ses jambes. Deux bras protecteurs. Ce rire, toujours et encore ce rire. Des prunelles malicieuses. Une langue tirée. Une gifle, un baiser volé. Une douceur peu commune. De la joie, de la tristesse, plus de joie. Une douleur atroce. Un cri. Une petite chose lovée entre ses bras. Des larmes. Un sourire. Puis la routine, l'ennui. Une dispute. Et la voiture.

Ses paupières se rouvrent. Elle écarquille les yeux. Se pourrait-il que… ? Sans attendre, elle reprend le volant, fait demi-tour dans un crissement de pneu et enfonce l'accélérateur.

Qu'est-ce qui lui a pris d'oublier ? D'oublier à quel point elle avait pu l'aimer. Les aimer. Elle laisse échapper un petit rire et sourit à travers ses larmes. Heureuse. Enfin.

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