La Seine
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Ce matin-là, le bruit geignard d'une sonnette frappait mes tympans avec violence. Je me réveillais d'un si long sommeil, à peine m'étais je endormie qu'il me semblait avoir sombré au-delà du raisonnable. Échouée, ballotée par un léger ressac, irrégulier, quelques fois doux et puis plus violent. Mes bras, mes jambes dansaient au fil des flots et mes pensées … diffuses. Entre le vide et l'apaisement, l'arrêt et le vivant, le naufrage et l'exaltation, Moi ?
La question tente de faire irruption mais elle est immédiatement submergée par des images, de courtes pensées, des bulles de souvenirs qui éclatent au milieu de ma torpeur.
Moi, moi? Je suis l'eau, sonnette, stridente, je suis où et quand. Un pic nerveux et aiguisé se plante au-dessus de mon œil droit. Impossible de soulager cet endroit douloureux d'une simple pression de mon index, la douleur s'étale, pour s'infiltrer au fond de mon crane. Ma main caresse l'écume trop loin de mon visage. La douceur d'un tissu soutient mes doigts qui cherchent sans même pouvoir bouger. Je cherche, tout cherche, ma peau, mes yeux dans une brume froide, ma bouche qui ne sait plus trop où elle se trouve, et mon esprit qui semble vouloir récupérer une parcelle de quiétude, avec ce qu'il connait.
L'Essonne, oui c'est ça l'Essonne… J'habite à Athis, là où se croisent les bateaux, le RER, les avions, les voitures, le bruit et les silences entre les bruits. Un silence que l'on croise péniblement au hasard de l'aube lorsque les nuits de sommeil n'existent pas. On rentre chez soi, à pied au fil du chant des oiseaux qui s'éveillent malgré tout. Une envie de café et de croissants chauds, une envie d'éponger un petit peu pour savourer le silence qui s'éteint.
J'aime pas trop l'Essonne, je crois, mais, La forêt n'est pas loin, elle borde la National depuis Barbizon quand on sort de l'autoroute. Quelques biches, curieuses des phares de voitures, accompagnaient les retours de bringues. Petite, je pouvais gambader en Forêt de Fontainebleau, me glisser sur le sol humide et épais ou chaque pas résonne d'humus et d'odeur de champignons. Une bouffée d'air et de sensations douces et fortes à la fois. Perdue, Minuscule au pied d'un arbre gigantesque, grimper, petites failles de roche grise dans lesquelles seuls les enfants peuvent se faufiler, se laisser remplir des sensations de la forêt épaisse et vivante. Et si j'étais feuille ou écorce, biche ou scarabée. Reclose, village de pierres dans la forêt, mes boucles blondes entachées de rousseur se dévoilent au soleil de Seine et Marne, quand il était là. Les ballades en vélo, en voiture, couvertes du ciel végétal.
« Réveille-toi », j'entends, « réveilles toi vite, une maman sanglier et ses petits » Cette petite voix haute et affirmée.
Pic nerveux œil, douleur…. Images intérieurs anéanties. La douleur hurle sa puissance sans bruit, dévorant ces douces images qui me réveillent pourtant à la vie.
« Mina, regarde les gémums » disait toujours cette petite voix.
Mina ? Mina , C'est moi? C'est moi, je crois .
Les Gé-ra-niums pas les gémums Alice !! Tu m'énerves à dire toujours les gémums. Alice aimait toujours regarder les gé-ra-niums dégouliner des balcons, les fleurs généreuses et le rouge étalant sa candeur au milieu des nuages gris. Comme elle m'exaspérait cette petite voix, elle avait le don de me mettre hors de moi, une spontanéité aiguë. Maintenant, cette voix je l'entends, comme une bouée de sauvetage qu'on me lance pour éviter le naufrage.
Alice, petite sœur. Mina, c'est moi.
Mina et Alice, nous avions la chance de ne pas avoir des prénoms si communs, à l'école nous étions les seules à les porter. Quelle fierté! Nous n'étions pas dans la même classe et je ne lui parlais pas dans la cour de récré. Surtout pas, mes trois ans de plus m'accordaient la première place dans le haut de l'échelle des grands. Alice était la moindre de mes préoccupations dans la cour. Mais lorsque nous rentrions toutes les deux à la maison, j'attrapais sa main avant qu'elle ne s'échappe dans des courses poursuites infernales. Je ne l'aurais jamais laissée seule et puis elle gardait le statut de petite puisque j'étais la responsable. Je ne voulais pas qu'elle prenne trop de liberté, j en aurais perdu la mienne.
Trou noir... foutu sommeil, avalée par un trou noir, disparition, j'ai oublié le temps, l'écoulement de la Seine et du vivant. Je suis échouée, reposant sur une île étrange et familière. L'île, cette île où j'entends la voix de ma sœur et les bruissements de la forêt, les bouteilles de bières trinquant de rochers en rochers, le brame des cerfs. Je la connais un peu cette île, mais elle est toute désordonnée.
« Va ranger ton île, c'est le bazar, on ne peut plus passer ni entrer dans ta chambre »
« Mais je suis liée au ressac, le bord de l'eau m'attache, maman, je ne peux pas ranger, tu dois m'aider. Les affaires sales sont là dans le coin ». Mais où et dans quel coin de l'ile avais-je rangé mes affaires sales?
»mamannnnnnn »
Elle doit être partie, pour l'instant. Je ne la vois pas débouler avec son air autoritaire de pacotille, son sérieux qui tente la discipline. C'est elle qui m'a peint les ongles rouge cerise pour éviter que je les ronge. Avec une patience appliquée, elle posait la couleur et l'odeur élégante d'un vernis bon marché emplissait la salle de bain. Ce moment délicieux où j'observais ma mère, son profil concentré, ses yeux noisettes ourlés de vert, ses sourcils finement épilés. Je ne manquais aucun détail, jusqu'à sa respiration chaude qui caressait ma main. Alice trépignait à mes côtés, elle ne gardait pas le rouge plus de deux minutes, il y en avait partout et elle voulait à tout prix prendre le devant de la scène en parlant comme un piaf, alors que la pause du vernis se faisait dans un silence appliqué. Je savourais pleinement ce moment parce que je savais qu'Alice allait se faire engueuler, ma mère perdant patience dans ces moments-là. La petite chieuse. Dissolvant, anesthésie
Mon île où les vernis se mélangent le rouge, le pourpre, le violet, le noir, le gris. Le gris devient huitre avec la sensation visqueuse de tenter de la manger, le sang, le rouge, les règles de trop petites filles, le violet des veines de mon arrière-grand-mère, le pourpre des feuilles des arbres à l'automne
Le son desdits et des pas dits des tus et des croupis.
Activité cérébrale.
la patiente est âgée de 49 ans en soins intensifs.
Coma.
jour 6.
"Alice, tu pleurs"?
on n'est pas obligées de les manger les huitres, on se met à deux et on dit NON à Papi. Il ne pourra rien faire contre nous deux. Et même si on est punie, on se racontera nos trucs, nos trucs de sœur. On se glissera sous la couette, on pourra pourrir toute la famille et les traiter de con !!
"Alice ne pleure pas, arrête je t'entends, ne reste pas cachée, je t'entends, mais où es tu?"
La mer, la Seine ou peut être ma mère, non, l'écume y en a pas, juste une lisière de vaguelette jaunâtre ! Seulement les vagues des péniches, des barges et des bateaux de plaisance qui écrasent l'eau sur les rives. Un gigantesque trou noir m'a fait échouer sur les bords de Seine, sur une petite île où on m'a récupérée. La corne de brume me rappelle à l'ordre! La péniche large et lourde fend le silence et sa coque sombre avale la Seine vermoulue. Mes cheveux caressent le rivage mélangés aux algues et aux détritus divers qui font sombrer la Seine elle-même. Mes cheveux flottent sur les risées rouge sang qui s'écoulent en volute dans l'eau verdâtre, un cygne curieux vient y plonger son bec. l'image disparaît emportée par la barge.
Cette douleur au fond du crâne...et ces souvenirs qui viennent la tarauder. La fin fait frémir...
· Il y a plus de 5 ans ·Une belle écriture, originale.
Louve
J'ai bien aimé !
· Il y a plus de 5 ans ·Lady Etaine Eire
Merci bien. J avance à petit pas. J'irai visiter vos textes
· Il y a plus de 5 ans ·co2