La soupe de miel - Partie I
eleanor-gabriel
Moi, Mandarine L., j'ai décidé de me faire entendre.
J'ai sept ans et pas froid aux yeux. Raconter des mensonges, ça ne m'intéresse pas. Ce qui me plait, c'est de faire des découvertes. Alors voilà : j'ai fait une découverte qui pourrait changer le Monde.
Je sais, personne ne me croira. Alors il faut que je trouve la meilleure façon de raconter ça aux grands sans qu'ils se mettent à rire en douce. Il faut que je trouve une idée pour que les grands me croient. Mais ils ne croient que ce qu'ils voient, et ce que je vois moi, eux, ils ne le voient pas. Ils croient que parce qu'on a sept ans on passe son temps à se raconter des histoires. Pourtant ne dit-on pas qu'à sept ans on a l'âge de raison ? Moi, je l'ai eu avant. A cinq ans je savais déjà plein de choses. Je savais comment on fait les bébés et pourquoi il ne faut pas boire d'alcool avant de conduire. Pour les bébés, le papa et la maman s'enveloppent dans une couverture l'un sur l'autre pour avoir très chaud puis ils se collent par la bouche, comme des poissons dans un bocal. Pour l'alcool, c'est parce que ça fait dormir. Personne ne peut conduire en fermant les yeux. Je le sais, parce que mon grand-père a essayé. On l'a retrouvé au volant de sa voiture en train de dormir. Le problème c'est qu'on n'a pas réussi à le réveiller. Maman dit qu'on l'a laissé dormir dans un coin secret et bien tranquille que personne ne connait.
En fait, ça ne m'arrange pas toujours d'avoir l'âge de raison. On me demande de débarrasser la table ou de faire mes devoirs, on m'explique des trucs de grands que je suis en âge de comprendre, mais parfois je ne comprends rien du tout. Je ne comprends pas la logique des grands. La logique c'est quand on va dans son lit parce qu'on a sommeil. Mais pas pour eux. Quand ils ont sommeil, les grands reprennent du café pour ne pas dormir ! Je pense que c'est parce qu'ils ont honte de dormir, mais ça, ils ne l'admettront jamais. Mon père, ça le met en rogne quand on lui dit qu'il s'est endormi devant la télévision. Moi, parfois je me repose dans la voiture à l'arrière. Les grands croient que je dors, mais non, je me repose les yeux. Et je réfléchis. Il faut que je trouve le moyen de leur parler de ma découverte sans me ridiculiser.
J'imagine déjà la scène. Ils vont me servir leur soupe de miel :
Tout à l heure j'ai vu une fourmi noire. Mais pas une fourmi comme les autres. Elle avait des petits points bleus sur son dos qui clignotaient ! Je suis sure qu'elle essayait de me dire quelque chose. Elle est peut être coincée sur la Terre et n'arrive pas à joindre ses amis pour repartir sur sa planète ?
Les grands :
- Ah oui ?! Une fourmi de l espace ? Incroyable dis donc ! Bon, tu vas mettre la table maintenant ?
Désespérant.
Leur petit air mielleux assorti de regards en coulisse ça ne me trompe pas. Les grands ne croient que ce qu'ils voient. Moi aussi, je crois ce que je vois. mais même si je ne vois pas, je sais. Le Père Noel, je ne l'ai jamais vu. Mais je sais qu'il existe. Les grands, ils ne savent plus trop, parce qu'il y a trop de faux Pères Noel dans les magasins. Mais je sais que certains grands y croient encore, même s'ils s'offrent des cadeaux entre eux par peur de ne pas en avoir ! C'est qu'il faut être sages pour en avoir, sinon ça ne serait pas juste. Or les grands ils ne sont pas toujours sages. Moi non plus, mais je sais pourquoi. J'en ai assez de devoir toujours obéir et faire ce qu'on me dit de faire.
J'en ai surtout assez de leur soupe de miel. Je voudrais bien qu'ils me croient un jour. Mais je n'ai que sept ans, le nez qui arrive à peine à la hauteur de l'évier, deux grandes nattes de chaque coté des joues qui me donnent l'air innocent, et je n'arrive pas toujours à faire la boucle de mes tennis…
* * *
Moi, Mandarine L., j'ai décidé de me faire entendre. Alors j'ai eu une idée. Cela fait trois fois que je vois la fourmi noire. La première fois, j'étais en train de jouer dans le jardin, près du rosier blanc. J'avais disposé ma dinette et mes petits personnages bleus en plastique tout autour d'une table minuscule faite d'un petit bout de bois. Elle est venue fouiner sur la table puis s'est arrêtée, ses antennes en l'air. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu l'impression qu'elle voulait s'adresser à moi. Pourtant après avoir tricoté quelques secondes de ses antennes, elle est repartie. Ce qui m'a intriguée, c'est ce petit point bleu ciel qu'elle avait sur son derrière. Et puis un jour elle est revenue. Je l'ai reconnue à son point bleu. J'étais en train de me balancer dans le jardin, les mains agrippées aux cordes de la balançoire, quand je l'ai aperçue sur ma main droite. Je ne sais pas comment elle a fait pour monter si haut, mais elle était là, et elle me regardait. Je n'ai pas eu peur, et je lui ai parlé. Elle a semblé écouter, a agité ses mandibules, remué sa petite tête, et j'ai senti qu'elle m'avait choisie et voulait me dire quelque chose. Ces trucs-là, ça ne s'explique pas. Je savais, un point c'est tout. Alors je suis descendue de la balançoire et j'ai voulu l'amener avec moi à la cuisine, pour montrer aux grands ma nouvelle amie. Mais sans que je sache comment elle est passée en une seconde de ma main à ma sandale, elle a disparu dans le gazon du jardin. J'ai raconté mon histoire aux grands, mais ils m'ont à peine écouté. Une fourmi avec un point bleu sur le derrière ça ne semblait pas les intéresser. Il était l'heure de mettre la table, alors j'ai mis la table. Pendant le repas, les grands ont monopolisé la conversation et je n'ai pas pu en placer une.
La troisième fois que j'ai vu ma fourmi, j'étais sur la terrasse, en train de dessiner. J'adore dessiner des soucoupes volantes et des lumières colorées dans le ciel. Je ne sais pas pourquoi, j'aime bien, c'est tout. Mon amie est arrivée sans que je m'y attende. Elle a grimpé sur mon dessin et est venue se poster sur l'une des soucoupes volantes que j'avais dessinées, la soucoupe bleue. Mais cette fois il s'est passé quelque chose d'extraordinaire. Trois petits points bleus lumineux sont apparus sur le corps de la fourmi ! Ils clignotaient en cadence comme une guirlande de Noel. J'ai tout de suite appelé les grands pour qu'ils viennent voir mais ils ne sont pas venus. Ma mère était sous la douche et mon père en conférence téléphonique avec un client, branché à son oreillette. Dès que j'ai crié la fourmi s'est sauvée, et je ne voulais pas la faire prisonnière, alors je l'ai laissée partir.
Je sais, les grands ne vont pas me croire. Alors j'ai pensé à la photographier. J'ai eu pour mes sept ans un appareil photo numérique. Je ne m'en suis pas encore beaucoup servi, mais ça va changer. Dès que j'irai dans le jardin je l'aurai avec moi, pour me créer des preuves. Et là, ils seront bien obligés de me croire.
* * *
Mon amie est revenue. Et là, j'ai pris une photo. J'étais trop contente, et j'imaginais déjà la tête que les grands feraient en voyant ça. J'ai demandé à mon père de transférer les photos que j'ai prises sur son ordinateur, avec la fourmi noire de l'espace. Je n'ai rien dit de spécial, pour leur faire la surprise. Quand les photos sont apparues en grand sur l'écran plat de mon père, on a vu apparaitre en gros …une fourmi noire. Elle était de face, et on ne voyait pas son point bleu au derrière. Bien pire, aucun des points bleus clignotants sur le corps n'apparaissait ! Inutile de vous dire quelle fut ma déception. Mon père me demanda si c'était elle, la fourmi qui était devenue mon amie, et j'étais si déçue que je répondis juste «oui». Je compris bien à son petit sourire ce qu'il pensait tout à l'intérieur. Sa fille avait apprivoisé une banale fourmi noire, et voilà tout. Comme si la situation n'était pas assez cruelle, mon père me lança sur un ton mielleux que je connaissais bien :
- Mais dis-moi, elle est très mignonne, Mandarine, ta petite amie ! C'est une joli fourmi noire, et je suis sûre qu'il y en a des centaines d'autres comme elle dans le jardin ! Cherche bien, tu vas trouver la fourmilière, et tu auras encore plus de petites amies.
Puis il prit l'appel entrant d'un client. La soupe de miel. Désespérant.
Je ne compris pas pourquoi les petits points clignotants n'étaient pas apparus sur la photo. C'était impossible, mais la triste réalité était là sous mes yeux.
La fourmi de l'espace ne voulait pas que les grands sachent.
Je me décidai alors à en apprendre un peu plus sur les fourmis, pour comprendre comment communiquer avec elles. Sans doute ne trouverai-je rien sur les fourmis de l'espace, mais je me contenterais d'en savoir un peu plus sur les simples fourmis de notre planète. ... A suivre ...
Belle syntaxe. Point de vue peu utilisé et intéressant.
· Il y a plus de 10 ans ·Kaitlynn Plinhe
Excellent… Moi, je veux savoir la suite…
· Il y a plus de 10 ans ·Denis Fages
Parfois les parents ne portent pas assez de crédit aux paroles de l'enfant !! bravo Eléanor
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots