La souris et le lion

Le bruissement des feuilles, agitées par le souffle sulfureux d'une gigantesque masse écailleuse, caressait mes oreilles d'une mélopée de plus en plus effrayante à mesure que j'approchais. Je progressais sans équipement, sans bouclier, sans arme, sans même ne serait-ce qu'un pourpoint matelassé.

L'air s'épaississait de la chaleur nauséabonde dégagée par la créature endormie. J'avançais à une vitesse improbable sur cette terre spongieuse, parsemée de racines noueuses qui serpentaient entre les roches humides et moussues. J'avais cette sensation étrange, l'impression de flotter plus que de marcher, tandis que la respiration bestiale brouillait mes tympans de cette pression sourde, pendant que les relents de chair faisandée emplissait mes narines froncées. Je me rapprochais, inexorablement.

Je me savais bientôt face à un danger plus grand que n'importe quel mythe transmis par les Augures, et pourtant rien ne semblait freiner mon avancée. La tension et la vigilance qui auraient dû prendre possession de mes muscles semblaient bien décidées à laisser leur place à un calme et une sérénité méditatives.

Je fini par atteindre deux troncs gigantesques et majestueux, dont l'écorce rugueuse et parfumée fourmillait d'innombrables insectes. A mesure que je levais les yeux, je pu admirer les liaisons complexes de leurs branches entremêlées, alourdies de feuilles aux couleurs éclatantes, dont certaines étaient rendues brillantes par les rayons du soleil perçants cette frondaison. Derrière ces deux colosses boisés s'étendait une clairière baignée de lumière. Une herbe étrangement rase ondulait au rythme du souffle de son gardien.

L'énorme créature, dont les écailles étincelaient d'or et d'émeraude, dormait paisiblement au milieu de son domaine. Sa crête épineuse, dont le cuir semblait gravé de glyphes étranges et rougeoyants, démarrait du haut de son crâne massif, sinuant le long d'un corps puissant et rejoignant une queue colossale, dont l'extrémité flamboyait d'une incandescence dorée. J'avançais irrésistiblement vers cette créature impossible, ressentant toute la pression de cette présence écrasante. J'étais à présent à une dizaine de mètres de sa mâchoire démesurée, dont quelques crocs jaunis s'échappaient dans une posture défiante. Un monceau d'ossements gisait non loin, d'où des lambeaux de chair encore accrochés appâtaient un tourbillons de nécrophores.

Je m'arrêtais enfin, face à cette immensité, telle une souris face à un lion.

Alors qu'un souffle plus long et plus profond que les autres s'échappait de ses narines dantesques, une paupière massive se souleva, laissant apparaître un énorme globe doré, roulant jusqu'à ce qu'une profonde pupille verticale, d'un noir abyssal, me transperce d'un regard indescriptible. Quelques secondes, qui me semblèrent une éternité, passèrent ainsi. Transpercée par cet œil prodigieux, incapable de bouger ou de sortir le moindre son.

Puis je sentis une brûlure glacée se répandre au travers de mes entrailles, alors que l'iris doré devant moi se mis à vibrer, laissant un réseau complexe de motifs inconnus et d'une lueur bleutée se propager autour de sa pupille.

"Hoe si kii Nya"

Une voix sifflante raisonna dans ma tête, alors que tout mon corps semblait prendre feu de l'intérieur.

TTR.