La Sublime Porte
burdigala
Dès mon adolescence, je t’ai vu dans mes songes. Prémices d’un fidèle attachement… Tantôt Odalisque, lovée sur un sofa attendant Soliman, tantôt guerrier chevauchant la muraille de Constantin, ou encore marin sillonnant les rives du Bosphore, mon imagination féconde a rêvé ton Empire.
A la croisée de deux continents, je foule à nouveau le sol de la Sublime Porte. Du Palais de Topkapi à Sainte Sophie, de la Mosquée Bleue, à la Tour de Galata, de la forteresse de Roumélie jusqu’aux immeubles de ta rive asiatique, je suis le spectateur ému du contraste entre passé et présent. Je suis le visiteur émerveillé qui sillonne tes murs chargés d’histoire témoins de ta gloire et de ta richesse. Je me grise à l’appel du Muezzin qui résonne aux alentours, de mosquée en mosquée. Je vis au diapason de ta ville, et c’est d’un pas alerte, avide de tout voir et craintif de n’en n’avoir pas le temps, que je m’imprègne de toi.
Byzance, nom magique d’une vieille cité où les hommes ont laissé l’empreinte de leur grandeur.
Je pénètre dans ton bazar et me perds dans le dédale de ses rues. Décor des mille et une nuits, où la soie, l’or, et le cuir, côtoient les étals d’épices et de loukoums dont les senteurs attisent mes papilles. Je suis interpellé par les marchands d’étoffes. Je marchande, tergiverse, puis marchande encore le prix d’un foulard. Je rentre dans le jeu et repars satisfait, mes achats sous le bras. Je croise des hommes sans âge fumant le narguilé. Je quitte le marché et longe le Bosphore. Des centaines d’embarcations se croisent et s’entrecroisent dans un joyeux désordre. Des dizaines de pêcheurs alignés sur le Pont de Galata, remontent lentement leur ligne, au bout desquelles agonisent de maigres poissons. Je grimpe dans un caïque et me laisse guider par un Turc aux yeux noirs qui semble blasé par le décor qui l’entoure. J’aperçois au loin la Tour de Léandre, telle une sentinelle au milieu des eaux tumultueuses du détroit reliant la mer Noire à la mer de Marmara. Nous filons en direction du palais de Beylerbeyi, au passage je m’extasie devant les élégants Yalis qui rivalisent de splendeur sur les berges du fleuve. Le frêle bateau ondoie au gré des vagues que forment les ferries et les cargos passant au large. Saoulé par le vent et le flot, je descends sur la rive opposée devant la Mosquée d’Ortakoy et m’arrête affamé à proximité du vendeur ambulant de « Simits ». Je poursuis ma visite à pied jusqu’au Palais de Dolmabahçe pour continuer enfin jusqu’à Beyoglü. Le souffle me manque. Je me suis égaré dans les ruelles étroites d’un quartier où le linge est suspendu au balcon de maisons en bois. Ces maisons, d’un autre siècle, menacent de s’effondrer à tout moment. Un enfant est assis sur le perron de l’une d’elle. Il vend des « Yeux bleus », ces amulettes en verre qui protègent des mauvais « Dijns ». Je remonte par la rue Istikal jusqu’à la place Taksim. Magasins et restaurants jalonnent cette rue populaire où se pressent autochtones et touristes. Mixité surprenante de cultures. De jeunes gens se promènent en groupe, insouciants et heureux d’être ensemble. Le vendeur de journaux apostrophe le chaland. Le cireur de chaussures s’installe au pied d’un arbre, déploie ses instruments et attend les clients. L’affluence importune, m’oblige à m’éloigner.
Observateur muet de cette agitation, je m’assois fourbu sur un banc loin de l’exaltation. Dominant la Corne d’Or, je m’enivre de tes odeurs et des bruits qui remontent de tes rues encombrées. Loti, Kémal, Pamuk, encenseurs de ta ville, compagnons de lecture, je songe à leurs récits qui m’ont émerveillé et grâce auxquels, sans doute, tu m’as ensorcelé. Si j’avais du talent, j’aurais aimé te peindre mais je n’ai que les mots et même ceux-là me manquent.
Seuls les grands écrivains ont décrit aisément la fascination qu’ils ressentaient pour toi. Et à l’instar de ceux dont tu as fait tes proies, je vis sous l’influence de ton envoutement.
Constantinople, tu as gravé le sceau de ta magie en moi et je deviens fébrile à l’idée de te perdre.
Soudain un bruit strident résonne à mes oreilles, serait-ce une sirène ou le bruit d’un bateau ?
Il est bientôt sept heures et le jour s’est levé. Au revoir cité mythique. La journée qui s’annonce sera peuplée d’images, celles d’une ville enchanteresse venue hanter ma nuit. J’emporte avec moi ce souvenir nostalgique et attend dépendant, le prochain voyage en Orient.
Istanbul, je me languis de toi.