Liaison dangereuse

Isabelle Vasco

Vendredi 15 avril, 19h00, Pattaya, plage de sable blanc. Coconut Bar. Un Daiquiri dans la main gauche et dans l’autre une cigarette qui se consume toute seule. Qu’est-ce que je fous là ! Le péquenot suisse assis à la table d’à côté, chemise hawaïenne avec pli sur les manches, joues couleur homard, est déjà complètement bourré. De l’écume sort du coin de sa bouche et sa grosse patte calleuse ne cesse de malaxer la cuisse si fine de sa Lolita au sourire figé, le regard vide, sans doute encore mineure et qu’il s’est « offerte » en supplément du forfait vacances « all inclusive » pour une semaine. Une semaine de débauche avec les copains pendant que sa Heidi s’occupe de brosser le cul de ses vaches. Impossible d’en supporter d’avantage. Je commande un sandwich-club et bière à l’emporter. J’écrase ma clope. Termine mon cocktail et sans plus attendre me dirige droit vers mon bungalow. J’étouffe. Je suffoque. Envie de hurler. Mais qu’est-ce que je fous là, vraiment !

Lundi 11 avril, 19h00, Paris, station Odéon. Marco se tient debout à côté de moi, silencieux, nerveux, tendu. Sûrement encore une journée galère au boulot. On entre dans le métro sans dire un mot. Il y a foule. Marco déporté par la foule se retrouve debout dans le couloir, deux mètres environ en face de moi. L’air toujours aussi grave, il relève la tête, me fixe et là, d’un seul coup, je me raidis. Un frisson me parcourt l’échine. Dans son regard mi fuyant mi gêné je lis le mot…FIN !

La porte s’ouvre. Je me retrouve sur le quai et n’ose me retourner. Je monte l’escalier. De l’air, vite ! Me ressaisir. Trouver les mots. Le convaincre qu’il a tort. Que nous deux ce n’est pas fini. Que nous deux ça ne sera jamais fini. Je tremble et j’ai froid. J’avale une bouffée d’air et me décide enfin à lui faire face. Je me retourne mais… il n’est pas là ! Marco n’est pas sorti du métro. Marco m’a plantée là sans un mot. Marco a pris la fuite. Marco m’a trahie. Nous a trahis. Lui. Moi. Notre couple. Notre histoire. Mais quelle histoire ? Comment peut-on mettre un terme à dix ans de vie commune sans en parler ? En fuyant ? Où est l’amour dans tout ça ? Peut-être qu’il n’y en a jamais eu ? Au début sûrement. Puis ensuite le quotidien qui use. Un amour pas assez fort pour y résister. Avons-nous donc vécu qu’un faire-semblant ? Un trompe l’œil à la con ?! Non je refuse d’y croire! Je refuse d’avoir été à ce point bernée. Où se trouve donc la faille ? La différence d’âge ? Jamais abordé ! Une blonde aux yeux de biche ? Je n’ai rien vu venir, rien senti. Suis-je donc naïve à ce point ? Depuis quand Marco me trompe ? Hein ? Depuis combien de temps ça dure cette saloperie ?!

«Attention Madame, vous avez laissé tomber votre sac !» Les yeux humides, le regard hagard je bredouille un vague « merci » à ce passant attentionné. Mon sac à nouveau sur l’épaule je me dirige d’un pas chancelant jusqu’à l’appartement. Notre appartement ! Les larmes coulent à flot. C’est dégueulasse ! T’es qu’un salaud Marco !

Vendredi 15 avril. 20h30. Pataya. Un bungalow sur la plage. Arrivée tôt ce matin. Même pas défait ma valise. N’en ai aucune envie. Stupide de ma part de croire qu’une telle distance entre Marco et moi m’aiderait à digérer cette rupture non confirmée. Son absence. Son silence. Son infidélité non-avouée. Son manque de courage et de franchise qui m’ont tellement blessée. Alors deux jours après cet anéantissement, comme une idiote, je me suis précipitée dans la première agence de voyage. Ai réservé le premier voyage disponible. Départ le lendemain : Une semaine de vacances à Pattaya… Vol épuisant, hôtel minable, bungalows juste propres et paysage écœurant de beauté. Sans parler des clients dont la majorité sont là pour le tourisme sexuel et l’autre moitié pour le prix attractif. Qu’importe le glauque et le sordide. Sur une plage paradisiaque tout le reste ne compte pas, ne compte plus. On ferme les yeux sur ce qui dérange et une fois encore on va écrire « vacances paradisiaques » sur les cartes postales. Au secours ! Qu’est-ce que je fous là !

Cling ! Un sms de Jeanne, sa sœur : « Il n’a pas eu le courage de te le dire. A retrouvé tes parents biologiques. T’a laissé une lettre. Ton père s’est suicidé ce matin. C’était Marco… »

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