La survie

Véronique Locart

Nord-Est de la France, avril 2068. Je n’aurais pas cru parvenir à cet âge, cent ans. Après la tempête de 1999, le passage à l’an 2000, le changement de monnaie, les crises qui ont suivies, une prophétie des livres Maya a été interprétée pour décembre 2012. Que s’est-il passé ? Rien. Un jour de plus sur terre avec ses confusions et ses perplexités. Les guerres se sont ensuivies, la loi des hommes s’est dégradée. La loi du plus fort ? Non, la loi du plus dérangé. C’était à celui qui régénèrera la vie humaine. A force de meurtres, de crimes, de suicides, d’exécutions, il ne reste qu’un petit millier de personnes qui vivent avec nous. Quand je dis « nous », je parle de mon mari, de mon fils, de mon petit-fils et de mon arrière-petit-fils. Nous vivons au milieu de la nature qui a repris ses droits. Nous nous habillons avec les restes d’avant l’éradication de l’être humain. Quand nos ennemis électromécaniques se pointent, nous nous rendons invisible grâce aux légères armures mises au point par les scientifiques de notre groupe. Mon fils, petit-fils et arrière-petit-fils en font partie. Cette armure est fabriquée à base de matière organique ferrugineuse. Je ne sais pas comment elle peut nous rendre invisible. Ce que je sais, c’est que cette armure est en voie de développement à grandeur de la ville naturelle que nous avons recrée. Une ville que personne ne trouvera. D’après les scientifiques, depuis le ciel, les ennemis ne verront que la verdure et les bois. Ils ne remarqueront pas notre présence. Nous nous nourrissons d’aliments composés, à base de plantes naturelles, d’animaux que nous élevons, de légumes que nous cultivons. Nos biens alimentaires sont mis en commun. Ils sont brassés dans une grosse centrifugeuse. A heures fixes, nous sommes servis d’une quantité égale de cette pâte bizarre, mais succulente qui permet de tenir en vie les « vieux », de maintenir l’énergie des plus jeunes, de faire grandir les bébés, les enfants, les adolescents. Nous passons nos soirées à parler, à raconter, à échanger, comme nous ne le faisions plus dans les années 2010. Nous avons réappris la communauté, à se soigner, à se soutenir, à partager nos joies et nos peines. Il n’y a plus de soleil, il n’y a plus de lune. Le ciel est continuellement de couleur rouille. Ce sont les effets du réchauffement climatique, de la perte de la calotte glacière, des explosions solaires, ainsi que le rapprochement du soleil de notre planète. Nous nous sommes fixés des règles de vie. Nous dormons et nous mangeons aux mêmes heures. Aux mêmes heures, nous vaquons à nos tâches, préalablement édictées par nous tous. Il n’y pas de passe-droit, sauf pour les enfants qui font leur éducation scolaire par notre savoir à tour de rôle. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. Nous sommes tous égaux devant l’adversité, alors, nous avons décrétés que nous étions tous égaux devant les nécessités de la vie. Il n’y a pas de chef, ni de juge. Chaque instant de notre vie est communément responsable. Nous aimons cette vie paisible, peut-être parait-elle ennuyeuse et sans intérêt ? Plus de guerre, plus de jalousie, plus de différence, au sein du groupe de mille personnes. Est-ce utopique ? Ce n’est pas si compliqué d’atteindre cet Eden. Nos quelques ennemis finiront par comprendre qu’ils sont armés pour combattre des gens qui sont peu armés matériellement, mais qui ont des cerveaux qui fonctionnent et qui savent s’organiser.

J’espère être encore en vie le jour où ce nouvel espoir se réalisera.

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