LA TERRASSE EN ARDECHE

oliveir

Je connaissais Marie pour l’avoir rencontrée chez des amis, nous aimions discuter et plaisanter ensemble lors de ces pique-niques improvisés qui réunissaient nos amis au premier rayon de soleil.    

A la mi-septembre, Marie m’invita à déjeuner avant de rejoindre le reste de la troupe pour une balade en forêt. « En toute simplicité », avait-elle dit. Elle avait posé des crudités sur des assiettes dans lesquelles nous picorions ici ou là, au gré de nos envies. Le soleil léchait la fenêtre de la cuisine.

Marie me raconta son séjour en Ardèche dans la propriété de Paul et Louise que je connaissais pour y avoir passé quelques jours deux auparavant. Je ne savais pas que Marie était une amie de classe de Louise depuis le collège. Pour Marie cette maison en Ardèche était un havre de paix.

-Je suis contente de savoir qu’un tel lieu existe, cela me rassure. Parfois, j’y pense et cela me fait du bien d’envisager qu’un jour je me poserais et ferais l’acquisition d’une maison comme celle-là. C’est plus à la terrasse qu’à la bâtisse que je porterai mon attention. Ce que j’aime avant tout dans cet endroit, c’est ce vent léger qui agite parfois les branches des arbres pour nous rappeler qu’il n’est rien de plus doux que de vivre dans un jardin protégé par une terrasse bien aménagée. Nous vivons à l’extérieur et profitons des avantages de la maison.

Marie était jolie quand elle parlait de ce séjour qui l’avait enchantée. Je l’imaginais dans une robe à fleurs, un panier en osier sous le bras... Un rayon de soleil courait sur ses épaules et dorait l’aura de sa chevelure. 

-Le matin, nous mangeons sur la terrasse dans la douceur du jour et prolongeons le plaisir de l’instant pour organiser l’emploi de notre matinée selon les circonstances: le marché, une promenade, la bibliothèque… Nous revenons souvent à une heure tardive et mangeons sommairement dans la cuisine. Ensuite nous vaquons chacun à nos occupations dans le jardin. Nous nous retrouvons par intermittences sur la terrasse pour nous désaltérer et savourer le bonheur d’être ensemble dans un si bel endroit. Paul vit à son rythme à l’abri de la treille, toujours prêt à converser avec celui qui pousse la porte de ce jardin ouvert sur la nature. Chacun s’y sent à son aise et le charme de Paul opère, son rire résonne et quand ses hôtes repartent, leur pas est plus léger qu’à leur arrivée. 
Les aquarelles et les pinceaux de Louise ne sont jamais loin. Une après-midi, j’ai entrepris de peindre le panorama et Louise m’a donné quelques conseils pour comprendre ce paysage qu’elle a peint à maintes reprises. Au cours de cette séance, elle m’a avoué qu’elle et son mari aimaient recevoir leurs amis pour partager le plaisir simple de vivre dans cet écrin de verdure.

Marie me montra son aquarelle et son sourire, il me revint en mémoire le calme de cette maison et les événements heureux qui y étaient attachés.

-Souvent vers six heures du soir lorsque la chaleur était moins forte, Louise et moi épluchions les légumes sous l’auvent avant de les cuire. Dans un tel endroit, je crois que nous avons envie de manger des aliments plus sains, moins sophistiqués. Nous les prenons au marché ou Paul les cueille dans le jardin car il cultive quelques légumes pour le plaisir de les voir pousser. Un soir, je fus émue de regarder, Louise et Paul, main dans la main, à contempler la croissance des pousses vertes. Pour rien au monde, je n’aurais voulu déranger ce moment de quiétude.

Marie arborait un large sourire que je ne lui connaissais pas, j’aimais la voir parler et bouger pour me faire partager les sentiments qui l’animaient. 

-Les soirées sont magiques, nous mangeons sur la terrasse. C’est le meilleur moment, nous profitons
de la douceur de l’air après les chaleurs de l’après-midi. Le temps ne semble plus avoir de prise, l’air est immobile, la nature retient son souffle. Un soir, Louise a retenu à manger deux de ses amies dont l’une est conteuse à ses heures. Paul lui a demandé, comme il sait si bien le faire, de nous donner à entendre un de ses contes. Il n’a pas eu besoin d’insister beaucoup parce qu’elles se sentaient aussi bien sur la terrasse que si elles avaient été en pleine nature. La conteuse nous a servi une magnifique histoire sous la voûte étoilée. L’ambiance, l’histoire, la voix calme de la conteuse, l’atmosphère si particulière de cette terrasse propice à la tolérance et l’émerveillement sont restés gravés en ma mémoire.

 J’ai eu l’impression que Marie me faisait découvrir cette maison en Ardèche que je connaissais pourtant. J’écoutais Marie et j’éprouvais ce sentiment étrange de la rencontrer pour la première fois alors que je la côtoyais depuis plusieurs années. Elle voulait partager avec moi un moment heureux qui lui tenait à cœur, ses yeux brillaient. Mon regard s’est égaré au nid de son cou…

Ce soir-là, j’ai pensé à Marie et j’ai eu le sentiment que ses paroles se raccrochaient à certains souvenirs de quiétude beaucoup plus anciens, des souvenirs d’enfance…

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