La tête de linotte.

Jacques est soucieux de l'avenir. Il a de plus en plus peur pour lui et sa petite famille, que 'CLAC' comme il dit, qu'un jour tout s'arrête net ! De nature anxieuse et fragile, il est sous tranxene et oscillococcinum pour son nez qui coule. D'après sa femme, son débit de parole est proche de celui d'un commentateur de match de foot avant un but. Selon elle, il remonterait petit à petit la pente mais il suffirait d'un grain de sable pour qu'il ne retombe dans les mailles du filet ! Si jamais il apprend que je le quitte, il est capable d'ouvrir le gaz, de tout faire péter dans le quartier !

Avec Betty, et dans cet embarras de voisinage (notre maison vient tout juste d'être rénovée), nous avons décidé d'inviter Jacques afin d'établir un état des lieux de son état mental.

- Alors Jacques, ça roule ? Heureux ?

Bon OK, j'attaquais fort ! Mais merde, 2 ans de travaux, 100 000 balles de rénovation, j'allais pas non plus faire dans le social ! Jacques s'installa confortablement dans le canapé et enchaîna:

- T'es au volant de ta belle Mercedes et là, CLAC ! L'Opep coupe les robinets ! Tu fais quoi avec ta jolie voiture sans plus d'essence, hein ?

- Ben, je la bichonne... je lui fais le tableau de bord et les sièges en attendant !

- En attendant quoi ?

- Que la sauce elle revienne !

- Bon peu-être... mais si t'es en train de mater un bon film de cul en streaming ou de regarder sur ton plasma un Bertrand Tavernier sur France3, et que là, CLAC, plus d'opérateur ! Ton ordi et ta téloche n'ont plus de connexion internet, tu fais quoi là, hein ? Tu peux m'dire ?

- Ben, avec l'ordi j'peux toujours taper des phrases dans Word ou faire mes comptes sur Exel... et quant à la télé... je dois bien encore avoir un bout de râteau qui traîne dans le garage !

- Bon alors, imagine ! T'es avec ta petite femme, elle te prépare un bon petit repas, pendant que toi tu sifflotes en te caressant le ventre à l'idée des bonnes endives au jambon... et là, CLAC ! ta maison n'a plus de courant ! Les centrales ont toutes pétées ! Tu fais quoi avec ta femme et ta maison sans électricité ?

- Je lui donne un pull, on mange froid et je la couche à la tombée de la nuit !

(Je sens que j'agace Jacques. Il a comme une petite plaque rouge entre ses sourcils et un peu de morve qui commence à s'écouler. Il me semble que son caractère se modifie. )

- Putain, toi t'as toujours les réponses qui vont bien !

- Ben, je m'adapte aux situations ! On est tous dans le même bateau Jacques ! On dépend tous des énergies fossiles ou pas, de la technologie aussi ! Du bois, du fuel, du charbon, du nucléaire, des réseaux, des satellites... comme aussi du gaz ! Hein le gaz ? T'en penses quoi du gaz ?

- Ah ça du gaz ça risque pas ! On n'en a pas à la maison !

- Vous n'avez pas le gaz ? T'es sûr ? Même pas une bouteille qui traîne pour le barbecue ?

- Non je te dis ! Ma femme dit que ça pue trop ! Et tu sais quoi ?

- Non ?

- Heureusement que ça pue, que je lui ai répondu ! Parce que si on avait une gazinière, et avec ta tête de linotte à toujours oublier d'éteindre le four après une cuisson, on aurait déjà fait péter au moins 10 fois le quartier !

Quand Jacques est sorti de la maison, Betty m'a regardé et m'a dit:

- Finalement, même sur une piste bleue, le Jacques il ferait pas d'mal à une mouche !

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