La vengeance à la russe ou...

Vladimir Tchernine

 

La vengeance à la russe

ou

« Tu vas voir où passent l’hiver  les écrevisses ! »

Elle a une petite cinquantaine, bien dans sa peau qu’elle ne s’est fait même pas tirer quelque part à Nijni Novgorod, tout ça grâce au sport et à une bonne hygiène de vie et à l’amour qu’elle porte pour son mari. Son pavillon dans la zone résidentielle a du charme, on y voit, d’ailleurs, à travers les vitres toutes sortes d’engins pour s’entretenir en forme.  Un jour, en pleins exercices elle reçoit un coup de fil de la part de son mari qui se trouve en mission à Dunkerque. Sa pire moitié annonce qu’il a l’intention de divorcer, mais qu’il veut absolument garder le pavillon, le reste il s’en fout. C’est pour ça qu’il la demande de libérer les lieux en deux jours, puisqu’il va rentrer avec sa nouvelle compagne (pas si nouvelle au fait, dit-il, ça fait trois ans qu’ils se connaissent intimement). Il sait qu’il la met dans la situation difficile, mais elle connaît aussi son idiosyncrasie pour les scandales et les scènes de ménage, donc ça serait chouette de sa part de lui rendre ce dernier service.

Le premier jour elle se soule à la vodka et elle pleure. Le deuxième elle se fait le dîner aux chandelles. Parmi les mets sur la table se trouve des écrevisses et du caviar. Après avoir bu un coup de champagne et avoir mangé une cuillère du caviar elle enlève les tringles des rideaux dans le salon, la chambre à coucher et la chambre d’amis au premier. Elle dévisse les bouchons décoratifs sur une extrémité des tringles et remplit les tubes d’écrevisses tartinés du caviar. La femme quittée revisse les tringles et les remets en leurs places. Dans une demi-heure elle libère les lieux avec trois valises.

Le mari rentre avec sa nouvelle compagne et ils vivent quelques premiers jours heureux. Ensuite une odeur désagréable commence à les déranger. Quelques semaines plus tard l’atmosphère devienne invivable. Le pire qu’ils ne peuvent pas détecter la source de cette puanteur calamiteuse. Le nettoyage à fond de tous les endroits suspects ne donne rien, l’odeur persiste et devient insupportable. Ils ont tout essayé, la dératisation, le changement de moquettes et de tapis, les purificateurs d’air, le nettoyage de la ventilation, même les masques à gaz avant de se mettre au lit. Leur femme de ménage (ils n’ont jamais pu en trouver une autre) les a quitté et le chien de la nouvelle maîtresse de la maison est parti dans une direction inconnue. Ils ont perdu tous leurs amis, les plombiers refusent de réparer les dégâts d’eau. Il n’y avait pas d’autre solution que de vendre la maison, mais le pavillon puant a acquis une telle réputation que les agents immobiliers ne répondent plus à leurs coups de téléphone. N’ayant pas la possibilité de vendre son bien, le mari est obligé d’emprunter à un taux désastreux de l’argent à sa banque pour s’acheter un appart.

Un jour dans son bureau il reçoit un coup de fil de sa femme (le divorce n’est pas encore prononcé). Elle lui demande comment ça va bien la vie. Son presque ex lui raconte qu’il déménage et qu’il n’arrive pas à vendre leur ancien nid d’amour, sans piper un mot pour quelle raison, pas bête le mec. Alors, sa femme lui dit qu’elle aimerait bien lui racheter cet endroit où elle a vécu tant d’années heureuses, c’est nostalgique chez elle, elle est même prête à rediscuter sa part de divorce. Sauf que, voilà, elle n’a pas beaucoup d’argent et… Le mari lui coupe la parole et dit que si elle signe les papiers ce jour même (il les envoie illico presto) il lui vend leur ancien bien pour une bouchée de pain. Les papiers signés arrivent l’après midi même sur son bureau.

Le mari et sa compagne déménagent en deux jours. Ils se tiennent debout enlacés  devant l’entrée d’un immeuble où se trouve leur nouvel appartement. Ils ont des têtes heureuses et apaisées. Les déménageurs montent les meubles à l’étage... sans oublier les tringles, bien sûr. C’est l’hiver.

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