La vérité (3)

3. Elle a fantasmé ces retrouvailles tant de fois depuis sa petite enfance. En rêve ou éveillée, à chaque fois, elle s’est imaginée la retrouver et se jeter dans ses bras. L’embrasser et se sentir aimer, comme si toutes ces années de vide n’avaient jamais existé. Enfin, elle n’est plus la fille de personne. Qui peut comprendre ces années d’errance, à creuser dans les profondeurs pour retrouver des racines coupées dès la maternité ? Ces mots qui raisonnent dans sa tête, jusqu’à l’obsession, née sous X, sa lettre maudite. Manon, la fille de personne qui ne sait pas garder le bonheur lorsqu’il frappe à sa porte, bien trop occupée à traquer ses origines. Son avenir comme son passé, sont dans les mains de cette femme, qui met une distance certaine entre elles.

« Que voulez-vous que je vous dise ? Etre ici, représente déjà un effort. Vous surgissez et faites remonter à la surface ce que j’ai mis vingt ans à enfouir au plus profond de moi même. »

Cette inconnue, c’est sa mère. Celle qui sitôt après avoir accouchée a remis Manon entre les mains de l’administration française. Manon, née sous X, enfant de l’assistance publique, vingt ans de solitude, pour entendre ces mots froids de la bouche de celle pour qui elle a remué ciel et terre.

« Je ne veux rien, je n’attends rien, j’ai juste besoin de savoir pourquoi vous m’avez abandonnée. Est-ce trop vous demander ? »

L’étudiante a la voix qui tremble de colère, de déception. Sa bourgeoise de mère n’a que faire des vingt années de souffrance que sa fille a traversé seule, ramant à contre courant pour ne pas sombrer dans le désespoir. Elle lui tend l’album de photos regroupant les clichés de sa courte vie. Les temps forts d’une existence où l’aide sociale à l’enfance a représenté sa seule famille. Sa mère, illustre inconnue, ne le saisit pas et laisse Manon le déposer sur la table à côté de sa tasse de thé. Elle a mis toutes ces économies dans la reproduction des photos, l’achat de l’album, le matériel de skrapbooking, pour rien…