La vérité de l'autoroute 666
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La vérité de l’autoroute 666
Vendredi 31 août, 11 h 30
Bison Futé s’était encore trompé, et malgré ses prévisions rassurantes, nous avancions comme des escargots sur l’autoroute 666 surchauffée. À perte de vue, des carrosseries rutilantes avançaient par à-coups et mes deux frères jumeaux pratiquaient leur sport favori : se bourrer de coups de poing en riant comme des gamins. Ce qui me valait en moyenne une bourrade dans l’épaule droite toutes les cinq minutes.
De temps en temps, Papa poussait un coup de gueule et Maman cherchait à temporiser, tandis que mes voisins continuaient leur manège. Quand à moi, j’essayais de m’évader en rêvant à nos prochaines vacances dans les Landes. Rêverie agréable, peuplée d’images idylliques de soleil et de plage, mais bien vite interrompue par un grand coup dans les côtes qui m’a coupé le souffle et m’a projetée contre la portière. La douleur était telle que j’ai flanqué en réflexe une gifle à Simon, lequel a entrepris de me la rendre. Son frère jumeau Gilles a voulu le défendre et la bagarre est devenue générale à l’arrière de la voiture. Finalement, Papa a hurlé, au-dessus de la mêlée :
« Je vois un restaurant d’autoroute à 200 mètres. Tout le monde est d’accord pour qu’on s’arrête pour manger ?
— Oui, super ont répondu avec enthousiasme les jumeaux.
Maman et moi, on s’est tues, résignées.
On a mis à peine dix minutes pour parcourir les 200 mètres qui nous séparaient du restaurant et Papa a garé la voiture sur une place de parking miraculeusement vide. Sortir de la voiture, déplier son corps ankylosé au soleil, ça faisait vraiment plaisir. Les parents ont décidé de manger dehors, et nous nous sommes installés autour d’une table de bois, sous un parasol bariolé, dans le joyeux brouhaha des chaises trainées sur le sol. À coté de nous, un pin maritime dressait sa mince silhouette vers le ciel. Nous allions enfin retrouver la forêt, la plage et la mer. Le plaisir de s’allonger sur le sable brûlant après le bain, de rêvasser les yeux fermés, et de retrouver la petite bande de mes copains que je n’avais pas vus depuis l’an dernier. Est-ce que David serait toujours là ? Est-ce qu’il se souviendrait de nos promenades de l’an passé ?
Mes rêveries ont été interrompues par la serveuse, une petite jeune fille en uniforme rouge et casquette verte qui devait avoir à peine un ou deux ans de plus que moi. Des yeux vifs, un nez retroussé, elle trainait dans son sillage une subtile odeur de frites chaudes.. Peut-être influencés par ce parfum, les jumeaux commandèrent leurs inévitables steak-frites Coca, et dès qu’elle fut partie, ils firent des remarques plutôt admiratives sur son physique. Sa poitrine jeune et ferme les avaient impressionnés. Je savais que les jumeaux étaient grands amateurs de seins : ils les contemplaient avec attention, savaient repérer ceux qui ne tenaient que grâce à leur armature et ceux, les seuls qui méritaient de l’attention à leurs yeux, qui repoussaient fièrement et sans artifice le tee-shirt comme des champignons pointant sous les feuilles après la pluie.
— Quinze, fit Gilles avec l’assurance de ses quatorze ans.
— Mais ça va pas, répondit Simon, tu as vu ses nichons ? Ils tiennent parfaitement, elle n’a pas de soutien-gorge, j’en suis sûr, ça mérite un seize ! En plus, elle ne porte pas de culotte !
— Pas de culotte, tu rigoles, elle a un string, c’est tout !
— Vous allez finir de raconter des bêtises, les garçons ? A réagi Papa.
— C’est pas des bêtises, on regarde les nanas et on leur donne une note. Sur leur physique, seulement.
— Encore heureux, a répondu papa, vous seriez fichus de juger de l’intelligence d’une fille à partir de la forme de son menton ou de la hauteur de son front. C’est ridicule !
Le jugement macho de mes frères m’avait mise en colère, mais l’arrivée de la serveuse qui posait sur la table les plats dont elle était chargée, détourna leur attention. On sentait les ados partagés entre l’envie de se jeter sur leur steak-frites et celle de contempler à nouveau le corsage tentateur. Gilles eut plus de chance que son frère car la jeune fille fut obligée de se pencher au dessus de la table pour le servir, ce qui permit au garçon de jeter un œil avisé dans l’échancrure de son corsage. Elle surprit le regard, rougit brusquement et se retira promptement vers les profondeurs de la cuisine. J’étais la seule à repéré le manège : Papa mastiquait son steak sans rien dire, sans doute fatigué par deux heures de conduite, et maman restait silencieuse, perdue dans ses pensées.
J’observai les jumeaux manger avec appétit leur steak : Simon avalait de grosses bouchées sans mastiquer, tandis que son frère taillait sa viande avec soin en toutes petites portions, puis les portait à sa bouche avec calme. Tous deux respiraient le bonheur animal de manger et malgré leur comportement turbulent, on ne pouvait s’empêcher de sourire en voyant combien ils aimaient la vie. Je me concentrai à nouveau sur mon assiette, en songeant à Lit et Mixe, le petit village des Landes où nous allions. À la belle forêt où nous campions. Au bonheur de se balader à vélo sous les pins. Mais encore cinq heures de route, songeai-je, cinq heures si tout va bien, et sans doute le double, si les embouteillages continuaient. Finalement la petite radio qui ne me quitte jamais m’apporta une nouvelle intéressante : un accident impliquant plusieurs voitures s’était produit sur l’A666 il y a une heure, ce qui expliquait les difficultés que nous avions rencontrées. Mais désormais, affirmait la radio, l’autoroute était dégagée et le trafic redevenait normal.
J’entrepris d’annoncer la nouvelle aux parents, mais seul Papa était encore à table : les jumeaux se promenaient sur le parking en lorgnant les filles tandis que Maman était invisible. Sans doute partie aux toilettes, pensai-je.
Je profitai du calme revenu pour recommencer à évoquer la forêt de pins, l’odeur de résine et le bruit du vent dans les arbres, au crépuscule. Le réveil aussi, un beau matin d’été, au sortir de la tente, quand le vent de terre a raboté les vagues et que l’océan ressemble à une mer d’huile, avec la minuscule silhouette des chalutiers à l’horizon.
C’est encore une fois le cri d’un des jumeaux qui m’a tiré de ma méditation.
— Papa, il faudrait qu’on reparte, ça a l’air de circuler normalement de nouveau, a hurlé Gilles avec excitation
— Oui, a renchéri Simon, et un touriste belge nous a dit que l’accident qui nous a retardés a fait 3 morts.
Papa est sorti de sa prostration et a levé un regard fatigué vers ses fils.
— On dirait que ça vous fait plaisir, cette histoire d’accident. Pensez aux pauvres gens qui sont maintenant dans la peine.
J’étais bien d’accord avec Papa, mais j’ai jugé préférable de m’abstenir de toute critique à l’égard des jumeaux. Pas la peine de mettre de l’huile sur le feu. De toute façon, ils avaient raison, il était temps de partir si nous voulions arriver dans les Landes à une heure raisonnable.
— Mais où est Maman ? a demandé brusquement Gilles.
— Elle a du aller aux toilettes, a dit Papa, mais j’ai l’impression que ça fait un sacré bout de temps. J’étais fatigué, je me suis assoupi, et finalement, j’ai laissé passer le temps…
Papa a laissé sa phrase inachevée et ‘est tourné vers moi avec une nuance d’inquiétude :
— Pauline, veux-tu aller chercher ta mère, s’il te plait ? Les garçons vous ne vous éloignez pas, nous allons repartir.
Je me suis dirigée d’un pas vif vers le bâtiment principal, qui abritait les toilettes et la boutique, saisie moi aussi par une inquiétude diffuse. C’était bizarre, cette absence de maman. Ça ne lui arrivait jamais. Toujours disponible pour s’occuper de nous, de nos petits et grands problèmes, toujours attentive. Beaucoup plus présente que Papa, dont le travail de technicien à l’usine était particulièrement prenant. Toujours contente, toujours dévouée à ses enfants, elle avait abandonné son métier de professeur d’histoire quand j’étais née, et ne l’avait jamais repris. Pour nous, sans doute ?
Je contournai le bâtiment, pénétrai dans le hall et me dirigeai vers les toilettes de femmes. Personne. Serait-elle encore dans un cabinet ? À cette heure, les clients se faisaient rares, et une seule porte de WC était fermée. Était-elle là ? Pourvu qu’elle n’aie pas eu un malaise ! J’étais prête à aller frapper à la porte lorsque j’entendis le bruit de la chasse d’eau avec soulagement. Trois secondes plus tard, je retombais dans l’anxiété : l’occupante était une grosse dame hollandaise aux cheveux blonds et à la robe moulante. Il fallait bien que je me rende à l’évidence : Maman n’était pas là. Elle n’avait aucune raison d’aller dans les toilettes d’à coté, mais je ne pus m’empêcher d’aller guetter à la porte des hommes, pour voir si je pouvais l’apercevoir. Sans succès. Le seul résultat fut un regard soupçonneux et appuyé que me jeta un vieux monsieur au ventre bedonnant et aux lunettes cerclées de métal qui sortait des lieux en reboutonnant sa braguette. Raté !
— Vieux crétin, pensai-je, tu me prends pour une vicieuse venue reluquer les hommes ? Pauvre débile !
Mais cet intermède n’avait en rien résolu mon problème : où était donc passée Maman ?
Je refis le chemin que je venais de suivre pour sortir du bâtiment et me retrouver sur le parking. Personne qui ressemble à ma mère, avec sa fine silhouette et son jean ajusté. Il fallait que je me rende à l’évidence : Maman avait disparu !
Je décidai de courir le plus vite que je le pouvais prévenir Papa. Je le retrouvai déjà occupé à chercher Maman, avec l’aide des jumeaux. Une grande ride horizontale barrait son front, et quand je luis fis signe que je n’avais rien trouvé, j’eus le sentiment que cette nouvelle ne le prenait pas au dépourvu. L’avait-il déjà envisagé ? Avait-il eu une querelle avec sa femme, qui aurait pu expliquer cette disparition soudaine ? J’essayai de scruter son visage fatigué, mais je fus incapable d’y lire quoi que ce soit. Je pris donc mon courage à deux mains et demandai :
— Vous ne vous êtes pas disputés récemment ? Ça pourrait expliquer.
— Pas du tout répondit-il avec vivacité. Rien qui puisse expliquer cette disparition. Puis, après un silence, il poursuivit :
— Pauline, tu as seize ans, tu es presque une adulte. Et je veux te parler comme telle. Franchement, je n’arrive pas à imaginer ce qui s’est passé.
Je lui répondis, un peu, pour moi, un peu pour lui :
— Ou elle a fait une mauvaise rencontre, et elle a été enlevée, ou bien elle est partie volontairement. Cette deuxième hypothèse étant la moins probable.
— Évidemment. Elle ne serait pas partie comme ça, hop, sans nous prévenir. Je la connais suffisamment, vingt ans maintenant, pour n’avoir aucun doute là-dessus. Donc, on est obligés d’envisager un enlèvement, voire pire.
— Voire pire ? Mais non, ce n’est pas possible : on est dans un lieu public, c’est bourré de monde, et il n’est pas possible que quelqu’un l’ait assassinée ici. Enlevée, je veux bien, et encore.
Est-ce que ces remarques avaient suffi à rassurer Papa, j’en doutais un peu. Il se leva brusquement, poussé par une inspiration subite, et me dit :
— Reste ici pour surveiller tes frères, je ne veux pas les avoir dans les pattes. Je compte sur toi, Pauline !
— Promis, Papa.
Et je le vis s’éloigner à longues enjambées, un peu vouté déjà, vers le bâtiment central. Il devait avoir envie d’interroger le personnel, avec la photo de maman, mais je doutais de l’efficacité de sa démarche. Il y avait eu tellement de monde qui s’était arrêté ce midi qu’il était peu probable qu’un serveur ait repéré Maman. À moins que…
J’avisai soudain la petite serveuse qui avait pris notre commande et se trouvait à quelques mètres, en train de dresser une nouvelle table. — Simon, Gilles allez me chercher notre serveuse là-bas. Et j’ajoutai, histoire de les appâter : celle qui mérite 16/20.
Les jumeaux se précipitèrent aussitôt, trop heureux d’avoir un prétexte pour s’approcher de la donzelle. Qui s’empressa de les accompagner pour venir me rejoindre.
— Mademoiselle, commençai-je, je voudrais savoir si, par hasard, vous n’auriez pas vu ma mère lorsqu’elle est allée aux toilettes. Ou sur le parking. Ou ailleurs.
— Vous parlez de la personne distinguée qui mangeait à votre table tout à l’heure ?
— Exactement. Je n’ai pas de photo à vous montrer, mais
— Ce n’est pas la peine. Pour les clients, j’ai l’œil, vous inquiétez pas. Et je l’ai bien vue se diriger vers les toilettes, comme font tous les voyageurs qui passent par ici. Puis, je l’ai repérée en train d’acheter son journal. Ensuite, elle est restée debout près de la boutique de sandwichs, plongée dans sa lecture. C’est tout ce que j’ai remarqué !
Je la remerciai avec effusion, tout en songeant avec amertume que ces nouveaux renseignements ne nous avançaient pas beaucoup. Maman avait acheté un journal, comme elle le faisait tous les jours. Ce n’était donc pas la clé du mystère. Mais alors ?
Je me tournai vers Simon et Gilles qui, pour une fois, se tenaient tranquilles en suivant des yeux la gracieuse silhouette de la serveuse et leur demandai :
— Qu’en pensez-vous, vous n’auriez pas une idée ?
— Je pense comme Papa, me dit Simon. Elle a surement été enlevée.
Gilles renchérit :
— Pour nous demander une rançon, probablement
— Mais on n’est pas très riches, fis-je. Les rançons, on les exige d’un milliardaire, pas à un technicien travaillant chez Total !
Ma remarque devait être pertinente car elle avait laissé Gilles sans voix. Il finit par me dire :
— Ce qu’il nous faudrait, c’est des indices, des traces, quelque chose comme ça…
— Tu veux fouiller le restaurant et le parking, alors que des milliers de personnes sont passées ici aujourd’hui ! Tes chances de trouver sont minces, je t’assure !
— Pas si minces que ça. Laisse nous essayer, après tout qu’est-ce qu’on risque ?
— Effectivement, allez fouiller le parking si ça vous amuse. Moi, je reste ici pour attendre Papa.
Et je les vis s’éloigner, scrutant avec attention le sol entre les voitures. Au moins, tant qu’ils étaient occupés à leur recherche d’indices, ils ne faisaient pas de bêtises. C’est toujours ça, calculai-je.
Et je me plongeai à nouveau dans mes réflexions. Toute cette affaire était bizarre. Je ne voyais pas ma mère se laisser enlever sans réagir. Elle aurait crié sans aucun doute, se serait débattue, j’en étais sûre. Aurait alerté les gens tout autour. D’autant qu’un enlèvement ne se fait pas au hasard. Pourquoi l’aurait-on choisie ? Elle ne portait pas de bijoux voyants ou coûteux, pas de vêtements de grand couturier, rien qui puisse laisser penser à une bourgeoise très fortunée. Une attraction subite de nature sexuelle, une sorte de coup de foudre entre un inconnu et maman ? C’était nettement plus vraisemblable. Elle est grande, svelte, toujours soignée, elle pouvait tout à fait taper dans l’œil d’un homme de passage qui aurait eu envie de la séduire, voire de la violer. Ces choses là existent, après tout. Je frissonnai en pensant à cette perspective peu agréable. Mais ça me ramenait au problème précédent. Comment se serait elle laissé entrainer sans réagir ? Sans appeler à l’aide ? Sans crier ? À moins que… À moins qu’elle n’ait été consentante ? Attirée par un homme qui l’aurait ensuite enlevée, puis séquestrée ? Mais non, ce n’était pas possible. Je la connaissais trop bien. Elle n’était pas capable de faire ça. Mais alors ?
Mes réflexions furent interrompues par l’arrivée de Papa, accompagné d’un homme jeune et sur de lui, cravate aux couleurs de la maison, pochette immaculée et veston impeccable. Une personnalité importante du restaurant ? Le directeur peut être ? La discussion semblait tendue et j’eus droit aux touts derniers mots :
— Vous savez, Monsieur, combien nous servons de couverts à midi ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, et pour vous dire toute la vérité, je m’en fous, répondit papa.
Le directeur ignora l’insolence de la réponse et poursuivit avec urbanité :
— Trois mille deux cent cinquante aujourd’hui. J’ai vérifié.
Il nous jeta un regard triomphant, pour s’assurer que nous avions bien conscience de l’importance de ce chiffre. Notre absence de réaction dut le décevoir, car il poursuivit.
— Enfin, vous pouvez comprendre qu’il nous est matériellement impossible de repérer un comportement anormal quelconque, fut –il celui de madame votre femme, dans cette foule de clients.
Il semblait persuadé que toute cette affaire, un peu désagréable pour la renommée de sa maison, allait s’arranger.
— De toute façon, je suis certain qu’il est impossible que parmi autant de gens votre femme ait pu être enlevée. En revanche, poursuivit-il avec prudence, si votre femme a fait une fugue (ce n’est qu’une hypothèse), alors tout s’expliquerait parfaitement.
Je vis Papa rougir de colère et je m’apprêtais à aller le calmer lorsque les jumeaux arrivèrent tout essoufflés, en brandissant une écharpe que je reconnus immédiatement : c’était celle de Maman. Papa l’avait reconnue aussi, il blêmit et dut s’asseoir, saisi d’une faiblesse soudaine. Je ne l’avais jamais vu dans cet état. La gorge nouée, il restait immobile un peu hébété, l’écharpe soyeuse dans ses mains tremblantes. C’est moi qui réagis la première :
— Où avec-vous trouvé cette écharpe, les garçons ?
— Derrière le bâtiment principal, du côté du parking poids lourds. Si vous voulez, on va vous montrer.
Accompagnés du directeur, nous nous dirigeâmes tous les cinq vers l’endroit de la découverte. C’était bien de l’autre coté du bâtiment, invisible depuis la table ou nous avions mangé. Là, de gigantesques camions, dont beaucoup immatriculés à l’étranger, stationnaient le temps que leur conducteur se repose ou mange un morceau. Les jumeaux avaient trouvé l’écharpe juste à coté d’un de ces stationnements qui étaient maintenant vides. Je me tournai vers Papa et lui demandai :
— Peux-tu me montrer l’écharpe ?
Je la regardai attentivement, la faisant glisser entre mes doigts. L’étoffe légère avait gardé un peu de son odeur et j’eus soudain la sensation désagréable que mes certitudes étaient bien fragiles : sous mes doigts, je venais de sentir une déchirure, quelques centimètres de sois arrachées qui en disaient plus que tout ce que j’avais pu calculer : j’y distinguais les traces d’une lutte, et soudain, sur ce parking écrasé de soleil, je vis se dérouler une scène à laquelle j’aurais bien voulu ne pas assister : Maman entrainée par un camionneur, qui l’avait peut être menacée avec une arme pour l’empêcher de crier. Et au dernier moment, une lutte désespérée, pour éviter à tout pris d’être emmenée. Et l’écharpe déchirée qui tombe avant que Maman ne soit contrainte de monter. Je me retournai vers Papa les larmes aux yeux, Mais alors que je m’attendais à le voir effondré, il avait repris du poil de la bête. Et comment !
Avant que j’ai pu l’en empêcher, il avait saisi le directeur à la gorge, le tenant par sa cravate rutilante. L’autre était à moitié étranglé et essayait de protester, mais le son qui sortait de sa voix était presque inaudible.
— Toi, mon vieux, tu vas me dire en vitesse où se trouve la gendarmerie la plus proche. Et tu as intérêt à te grouiller, et à ne pas me ressortir tes histoires de fugue. Sinon, je t’étrangle.
Je n’avais jamais vu Papa tutoyer une personne qu’il ne connaissait pas. Et se conduire d’une façon aussi grossière. Il devait en avoir gros sur le cœur. Mais sa réaction était saine. Il était temps de réagir en frappant un grand coup. Les gendarmes résoudraient-ils ce mystère ? Je n’en étais pas sure, mais dans notre situation cette démarche paraissait la plus sage.
Nous remontâmes donc en voiture, tous les quatre, moi devant à la place de maman et les jumeaux s’étalant à l’arrière. Je me répétai les derniers mots du directeur : gendarmerie, droit devant, sortie 29, quinze kilomètres environ. C’était parti !
Articulation en 10 épisodes
Vendredi 31 août, 11 h 30
Une famille ordinaire (Pierre, le père, Carole la mère, et leurs enfants Pauline, Simon et Gilles) s’arrête dans un restaurant sur l’autoroute 666. Après le repas, Carole la mère est introuvable. Tous doivent se rendre à l’évidence : elle a disparu !
Vendredi 31 août, 14 h
Sur une impulsion née de son inquiétude, le père se rend dans la gendarmerie la plus proche pour signaler la disparition de sa femme. Mais cette démarche est loin d’apporter une solution, les gendarmes se révélant bien peu coopératifs.
Vendredi 31 août, 14 h 30
Le hasard a bien fait les choses : dans la petite sous préfecture où se trouve la gendarmerie, réside un détective privé expérimenté. Sa consultation allège le portefeuille de Pierre de quelques dizaines d’euros, mais permet à la famille d’envisager le problème autrement.
Vendredi 31 août, 15 h
Où Pierre a une conversation sérieuse et animée avec sa fille aînée.. Ce qui débouche sur la décision de reprendre la route des vacances, mais aussi et d’abord de joindre au téléphone un professionnel de santé que Pauline ne connaissait pas.
Vendredi 31 août, 16 h 30
Malgré de nombreux coups de téléphone, toujours aucune nouvelle de Carole. En désespoir de cause, Pierre finit par se décider à joindre sa belle mère. Et, malgré les réticences de celle-ci, il comprend enfin que son épouse cache sans doute un terrible secret.
Vendredi 31 août, 18 h
La voiture avance rapidement vers les Landes, tandis que Pauline prend les choses en main. A l’insu de son père, à un arrêt, elle joint la meilleure amie de sa mère, avec laquelle elle a une conversation très intéressante qui lui confirme ses doutes et valide sa nouvelle piste.
Vendredi 31 août, 19 h 30
Arrivée à Lit et Mixe et installation de la famille dans son emplacement de camping. Pauline continue à s’affirmer en pilotant l’installation d’ensemble de la tente et poursuit son essai de compréhension de ce qui s’est passé. Elle commence à entrevoir la solution de l’énigme.
Vendredi 31 août, 20 h
Les jumeaux Simon et Gilles, qui jusqu’à présent avaient supporté l’absence de leur mère avec une indifférence relative semblent maintenant accuser le coup : ils se réfugient auprès de leur père, qui prostré, est bien incapable de les aider. Pauline est comme un chien de chasse sur la piste du gibier. Elle avance dans la compréhension du comportement de sa mère, et décide en même temps de s’occuper des jumeaux.
Vendredi 31 août, 20 h 30
Installés dans la salle de spectacle du camping, pour regarder la télévision, les trois ados ont la surprise de leur vie pendant leur émission d'information préférée. L'occasion de découvrir que les filles sont souvent plus raisonnables que leur père..
Vendredi 31 août, 22 h 30
Où tout enfin s’explique, des tenants et aboutissants de cette histoire compliquée, sortie du cerveau torturé d’un auteur trop prolifique, qui ferait mieux de soigner son écriture. Enfin, bon, c’est terminé !