Maman?
victorine
Chapitre I: Un mari part depuis 20 ans chaque été sur les traces de sa femme disparue au bord de l’autoroute A666 après une dispute. Lasse, il dit à ses filles de vouloir abandonner. Elles vont alors l’accompagner. Sur le lieu de la disparition, un homme leur remet un papier de la main de leur mère.
Chapitre II: L’homme avait été intrigué par cette femme qui semblait comme hypnotisée par l’affiche de disparition et qui portait une robe rouge très particulière. Il avait compris que c’était elle, mais elle s’était enfuie quand il lui avait posé la question.
Chapitre III: Suite à son témoignage, l’enquête est rouverte. La famille décide de rester sur place et réfléchit à la signification de la robe rouge ressemblant à celle d’une bonne sœur selon l’homme qui l’a vue. Ils vont alors penser à ce qu’elle s’est réfugiée dans un couvent.
Chapitre IV: Les Sœurs du couvent près du village leur racontent d’avoir effectivement accueilli une femme il y a quelques années. Elle avait voulu rester, mais les Sœurs ne pensaient pas qu’elle avait une vocation. Alors elle a disparu en laissant toutes ses affaires derrière elle, parmi lesquelles un petit carnet.
Chapitre V: Dans le carnet, la femme parle de visions, des idées bizarres et incompréhensibles sur la religion. La famille est consternée, leur mère n’a jamais mis les pieds dans une église ! Elle dit aussi vouloir en venir pour renaître. Serait-elle alors suicidée ? Ils contactent les hôpitaux et un médecin se rappelle de l’avoir traité.
Chapitre VI: Le médecin leur raconte qu’elle avait voulu se noyer, mais qu’elle avait été sauvée. Elle n’avait pas souhaité qu’on contacte sa famille et avait d’ailleurs donné un faux nom. Le personnel de l’hôpital lui avait à l’époque fait part de son inquiétude en raison de ses délires mystiques.
Chapitre VII: La famille ne sait pas comment réagir à cette nouvelle. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Ils discutent de l’affaire dans un café quand quelqu’un leur interrompt. Ils parlaient de la robe particulière qui correspond selon cette personne à celle portée par un groupe de personnes isolées vivant dans un château près du village.
Chapitre VIII: Ils partent à la rencontre de ce groupe de personnes, mais ils n’ont pas le droit de parler à leur mère. Ils pensent alors que leur mère a été enroulée de force dans une secte et les filles décident d’entrer en douce la nuit tombée. Elles entendent des bruits bizarres et entrent dans une salle remplie de personnes en transe avec au milieu leur mère étant le gourou.
Chapitre IX: Tellement surprises, les filles ne se cachent plus. Elles sont alors découvertes et capturées. Leur mère ne veut pas leur parler. Leur père avertit la police qui libère les filles et emprisonne la mère. Celle-ci leur explique alors d’avoir créé cette secte tout en sachant qu’elle allait trop loin, mais elle ne savait plus comment revenir.
Chapitre X: Ayant convaincu les autorités qu’elle était à la déroute, elle sera remise en liberté. Elle rentre à la maison avec la famille, mais disparaît de nouveau après quelques semaines. Il n’y a plus de recherches. Les filles poussent leur père à refaire sa vie.
CHAPITRE I
Avec mes sœurs, nous savions que papa déciderait d’abandonner à un moment ou un autre. Faire le trajet devenait de plus en plus difficile. Il le faisait maintenant depuis presque 20 ans. Chaque été, à la même date, papa prenait la route pour partir sur les traces de sa femme disparue. Il portait les mêmes vêtements, partait au même moment, suivait le même trajet et allait même jusqu’à acheter les mêmes biscuits que maman nous avait acheté pour le voyage. C’était éprouvant, surtout pour les trois petites filles que nous étions, mais on y croyait aussi pendant quelques années. Chaque année, nous l’accompagnions avec l’espoir fou de nous rappeler de quelque chose d’important ou de trouver un indice nouveau. Maman avait disparu sans laisser derrière elle la moindre trace. Mais à chaque fois que nous repartions sur les traces de maman, il fallait faire comme si elle était encore là. C’était important. Peut-être que nous avions négligé un détail ? Avec mes sœurs, on essayait de se rappeler ce que nous avions vécu ce jour-là jusque dans le moindre détail. Mais nos souvenirs se transformaient, disparaissaient, revenaient à travers le temps. On arrivait néanmoins à se rappeler de l’essentiel. Comme nos places dans la voiture. Moi, j’avais été assise au milieu, Mathilde à ma droite et Marie à ma gauche. On portait des jolies robes rayées de rouge et blanc. Il faisait aussi déjà très chaud et maman n’arrêtait pas de nous gronder parce qu’on avait mis plein de chocolat sur nos robes. C’était la raison pour laquelle nous nous sommes arrêtés à ce relais routier. Maman voulait nettoyer nos robes. Pendant des années, nous nous sommes senties écrasées par la culpabilité. Si nous avions été sages et on n’avait pas sali nos robes, on ne se serait pas arrêtés à ce relais routier et peut-être que maman n’aurait pas disparu ? Même aujourd’hui, je pense que nous continuons à nous sentir coupables, bien que nous étions juste des petites filles avec des robes salies. Qui aurait-pu prévoir ce qui allait se passer ? Mais ce n’est pas à cela que nous pensions lorsque nous sommes arrivées sur ce parking. On voulait juste que maman retrouve sa bonne humeur, donc on se dépêchait de sortir de la voiture et de la suivre au plus près aux toilettes pour qu’elle nettoie nos robes. Entre-temps, papa partait à la recherche d’une place de parking avant de nous rejoindre au relais routier. Lors d’un de ces trajets pour retrouver maman, quelqu’un s’était déjà garé sur la place de parking que papa avait alors occupé. Il était furieux. Un employé du relais avait dû intervenir car papa avait carrément voulu forcer la serrure de la voiture pour la déplacer lui-même. La dame à qui appartenait la voiture s’était montrée compréhensive après que l’employé lui avait expliqué notre histoire. Elle avait déplacé sa voiture et s’était contentée de nous observer sans poser des questions. Je pense que nous avions dû lui inspirer une pitié profonde. Trois petites filles avec leur père qui est persuadé qu’il va retrouver sa femme en refaisant le trajet au cours duquel il l’a perdue. Reste que cette année-là, c’était l’excuse parfaite pour justifier le trajet de l’année d’après. Si la dame ne s’était pas garée là, peut-être que nous n’aurions pas été perturbés et nous aurions pu nous rappeler de quelque chose ? Une autre année, c’était parce que la serveuse d’antan avait quitté son travail. Ou alors il pleuvait, mais maman avait disparu lors d’une journée ensoleillée. Mais la plupart du temps, tout se passait exactement comme cela s’était passé il y avait presque 20 ans et pourtant on repartait.
Après que maman avait nettoyé nos robes, nous avions rejoint papa dans le restaurant. Il essayait de faire rire maman et cela avait marché. Ils s’étaient rencontrées à la maternelle et ne s’étaient plus jamais quitté. Bien sûr, il y avait eu des hauts et des bas, mais au final ils se retrouvaient toujours. Le couple parfait avec les petites filles presque aussi parfaites. Nous avions à l’époque pris tout notre temps pour commander et choisir nos menus. Du coup, la serveuse avait dû revenir plusieurs fois avant de pouvoir prendre notre commande. Et donc chaque année, depuis cette fameuse commande, la serveuse se soumettait à ce même rituel. Elle allait, venait, puis nous disait qu’il fallait maintenant vraiment commander. Le directeur du relais avait été tellement touché par notre histoire qu’il veillait à ce que rien ne venait interrompre ce rituel, aussi étrange que cela puisse paraître. Ainsi, quand la serveuse avait décidé de quitter son travail, il avait embauché quelqu’un qui lui ressemblait. Bien sûr, la fille prenait son patron pour un fou quand il lui en avait expliqué la raison, mais elle s’était soumise de bonne grâce à la demande. Clle avait remplacé la serveuse non seulement dans son travail, mais aussi dans ce jeu de rôle morbide. Elle avait même accepté de porter les mêmes vêtements que la serveuse d’antan. Le directeur du relais en avait informé mon père qui avait été abasourdi par le changement. Puis il s’était habitué et s’était dit que ce n’était pas grave. Il fallait seulement que la serveuse se comporte exactement comme celle d’avant. Donc il avait passé des heures et des heures à retranscrire mot par mot tout ce que la serveuse avait dit et comment elle l’avait dit. C’est à ce moment-là que quelque chose a changé pour nous, les filles. Finalement, on commençait à se poser la question si cela avait vraiment un sens. L’été après celui-là, nous avons dit à notre père que nous n’allions plus l’accompagner. Nous voulions passer à autre chose. Papa a eu beaucoup de mal à accepter notre décision. Mais il voyait aussi que nous ne supportions de moins en moins de partir sur la route de souvenirs de maman. Ainsi Mathilde avait décidé de ne plus jamais parler de maman et refusait de continuer à jouer le jeu. Mon père l’avait forcée cet été-là de venir, mais cela avait été une catastrophe. En effet, Mathilde était convaincue que les journaux avaient dit la vérité sur la disparition de maman. Elle nous avait tout simplement abandonnées. A l’époque, nous n’arrivions pas à en mesurer l’importance, mais nos parents avaient commencé à se disputer pendant le repas dans le relais routier. Plus tard, notre père nous a expliqué qu’il pensait que maman avait un amant. Je ne sais toujours pas si c’est la vérité, mais cela avait été une des raisons pour laquelle les policiers ne s’étaient jamais vraiment intéressés à cette histoire de disparition. Il y a bien eu quelques coups de fils, un affiche de disparition ici et là, mais peu de personnes croyaient qu’elle avait été enlevé. Cela n’aurait pas été possible sur une aire d’autoroute tellement fréquentée. Pour mon père, cette explication n’a jamais tenu. Bien sûr, l’engueulade avait été violente et il n’aurait pas dû dire certaines choses. Mais il était persuadé qu’elle ne l’aurait jamais quitté, au moins pour nous. C’était un des moments le plus difficiles pour nous, car mon père insistait à rejouer la scène de l’engueulade devant la voiture. Maman nous avait installé dans la voiture, puis avait rejoint mon père pour discuter. Cela avait vite dégénéré et les deux avaient failli commencer à se battre. Mon père avait alors décidé qu’il fallait qu’il se calme et il avait repris la voiture. Seul. Il nous a avoué ultérieurement qu’il ne se rappelait même plus que nous étions dans la voiture. Il voulait juste partir de là, se calmer et revenir. Pendant une heure, nous avons roulé sur cette autoroute A666 sans but précis. Puis il s’était rendu compte à quel point il avait été stupide et avait commencé à s’inquiéter. Mais pour d’autres raisons. Comment allait-il pouvoir se faire pardonner ?
Au début, il a pensé que maman avait eu la même réaction que lui. Il a cherché partout. Dans le relais, l’hôtel adjacent, le magasin de la station-service. Rien. Il pensait qu’elle avait eu la même réaction que lui, peut-être qu’elle était partie se promener ? Oui, mais où ? Cette aire d’autoroute se trouvait au milieu de nulle part et le premier village se trouvait à des kilomètres de là. Il a attendu pendant des heures. Nous n’osions rien lui demander. Puis le relais allait fermer ses portes et nous commencions à avoir du sommeil. Il a donc pris une chambre dans l’hôtel à proximité du relais et a même obtenu une chambre avec vue sur le relais. Peut-être qu’elle pensait que le relais était ouvert toute la nuit et qu’elle aurait toute la nuit pour revenir ? Il était encore persuadé qu’elle était en train de lui jouer un mauvais tour. Je me rappelle que nous essayions de fermer les yeux, mais nous savions que quelque chose de grave s’était produite et que notre vie n’allait plus jamais être la même. Le jour suivant, la police est venue. Elle a ouvert son simulacre d’enquête, mais cette histoire d’amant avait convaincue les policiers que maman était partie. Surtout après que son mari l’ait abandonné sur une aire d’autoroute le jour d’un départ en vacances…J’ai personnellement toujours pensé que ma mère n’aurait jamais pu nous abandonner. Elle nous aimait, elle aimait mon père, donc pourquoi elle se serait enfuie ? Elle semblait très heureuse ce jour-là. Mais il faut dire que l’explication d’une maman lâche et fugueuse nous avait consolées plus d’une fois. Parce que l’alternative était de penser à que maman avait été enlevée, peut-être même tuée et que nous ne l’avions pas encore retrouvé. C’était aussi l’angoisse de savoir qu’elle n’a pas dû comprendre ce qui s’est passé, de ne pas nous voir revenir pendant de très longues minutes. Si seulement nous étions revenus plus tôt ou si nous n’avions pas sali nos robes… Papa s’est résolu à rentrer à la maison après quelques jours sur place. Nous n’en pouvions plus de vivre dans l’hôtel en train d’attendre. Nous sommes allés prendre un dernier petit-déjeuner dans le relais routier où toute l’équipe était désormais au courant de notre histoire. Ils avaient placardé le relais routier d’affiches et n’arrêtaient pas de dire à papa qu’ils allaient l’appeler si jamais elle reviendrait. Si jamais…Papa avait gardé les mots en tête et s’était convaincu qu’elle allait revenir. Pas tout de suite, mais un jour, elle reviendrait. Le chemin de retour fût un réel calvaire. Nous avions l’impression d’abandonner maman, de ne plus l’attendre. En plus, avec mes sœurs, je n’arrivais pas à comprendre que maman ne nous accompagnait pas. Nous voyions bien que notre père souffrait le martyre, mais nous n’arrêtions pas de lui poser la même question encore et encore. Maman était où ? Il ne savait pas y répondre et ne le sait toujours pas. Mais il a fait de son mieux. Il a appris de prendre soin de ses filles et nous poussait à profiter pleinement de la vie. C’est ce que maman aurait voulu. Pourtant sa propre vie s’est arrêtée le jour qu’elle a disparu. Il vivait toujours dans l’attente du prochain été pour pouvoir refaire le trajet. La première fois qu’il est parti seul, nous étions contentes d’avoir la maison pour nous, mais nous étions aussi mortes d’inquiétude. Et si lui aussi ne reviendrait plus ? En plus, nous savions que nous l’avions blessé bien plus que nous le voulions en refusant de continuer à refaire et à refaire ce trajet. Peut-être autant que le jour où ma mère a disparu. Si même ses propres filles ne croyaient plus dans son retour, qui le ferait ?
Le soir avant son premier départ en solo, nous l’avions aidé à faire ses valises, à détailler le chemin à suivre, à se comporter comme le soir avant la disparition de maman. On avait aussi préparé le dîner et dressé la table comme maman l’avait fait quelques années avant. Puis on s’était levé le matin à l’heure de départ pour l’embrasser et lui souhaiter bonne chance. C’était depuis devenu une tradition familiale comme tant d’autres. C’est pendant le diner à la vieille du 20ième anniversaire de la disparition de maman qu’il nous a dit que cette année, il n’y irait pas. Nous avions dès le début du repas senti que quelque chose n’allait pas. Papa avait été silencieux, n’avait pas touché son assiette. Au début, on a pensé qu’il avait eu de nouvelles. C’était déjà arrivé qu’un policier zélé l’avait contacté pour un complément d’information ce qui donnait à mon père bien évidemment de nouveaux espoirs. Finalement, nous lui avions demandé ce qui n’allait pas. C’est alors que mon père nous a fait part de son envie d’arrêter de faire les trajets. Il en avait marre. Il était fatigué. Il voulait rester chez lui, pleurer sur sa femme. S’il n’avait rien trouvé au bout de 19 ans, pourquoi cela changerait-il maintenant ? Nous avions su que ce moment allait venir un jour ou autre. Mais je crois que nous avions tous espéré que ce jour ne viendrait pas. Car comment réagir ? Après un long silence, Marie a pris la parole. Si effectivement, papa ne voulait plus y aller, c’était son droit, mais alors nous devrions faire le trajet juste une dernière fois tous ensemble. Un pèlerinage pour commencer à tirer un trait sur cette histoire, car il était temps de laisser partir maman. J’ai senti mes yeux piquer et puis nous avions tous commencé à pleurer. Oui, il était temps de se rendre à l’évidence que maman ne reviendra plus. Nous sommes restés assis pendant de longues heures autour de la table. Rires et larmes se mêlaient au fur et mesure de l’avancement de la soirée. C’était une soirée aussi éprouvante que libératrice. Pouvoir finalement parler de maman sans devoir avoir peur de blesser papa nous faisait un bien fou. Lui aussi semblait soulagé. Il nous admettait qu’il y pensait depuis très longtemps, mais qu’il avait eu peur de nos réactions. Après quelques heures de sommeil agité, nous nous sommes levés à l’aube. Comme il y a 20 ans, nous nous sommes préparées toutes ensembles. Mais cette fois-ci, les choses étaient différentes. Marie ne se rappelait en réalité plus rien de la journée, car elle n’avait que 4 ans à l’époque. Pour la première fois, nous lui avions parlé de ce qui s’était vraiment passé. Mais aussi de qui maman était vraiment. Mathilde et moi se sont rappelées des petites choses parfois stupides mais que même nous on avait oublié. Comme le fait que maman sentait la framboise. La framboise ! Nous nous sommes regardées pendant quelques secondes et c'était parti pour un fou rire mémorable. Papa est venu nous voir pour savoir ce qui se passait. Il a eu un sourire, timide certes, mais un sourire encourageant. Le ton du voyage avait été donné. Ces dernières 20 années, le trajet avait été chargé d’une émotion lourde, à la limite de l’insupportable. Mais cette fois-ci, nous nous comportions avec une légèreté toute nouvelle. Nous avions même l’impression de partir pour un voyage sans importance. Les rires continuait à fuser, papa vérifiait pour l’énième fois si la voiture était bien prête et Mathilde nous menaçait de représailles si on n’arrêtait pas de manger les biscuits qu’elle avait fait pour grignoter pendant le voyage.
Mais au moment de partir, l’émotion était bel et bien présente. Papa nous demandait de nouveau si nous étions sûrs de notre choix. Il a eu alors droit à un long soupir plaintif de nous trois ce qui a provoqué un nouveau fou rire. Ce voyage allait vraiment être différent. Nous nous sommes pris dans les bras pendant un long moment. Les premières craintes apparaissent malgré nous. Est-ce que cela allait vraiment être la dernière fois ? Une chose était claire : le voyage allait être différent et cela s’exprimait déjà dans des détails en somme tous ridicules les uns plus que les autres. La voiture n’avait certes pas changé, mais nous oui. Nous avions grandi ! C’est donc pour la première fois que quelqu’un allait devoir prendre la place de maman sur le siège avant. C’est Marie qui a décidé de prendre cette place maudite sentant à quel point l’affaire était pénible pour nous. Une autre différence est que nous n’avions plus besoin de mettre la radio pour combler les silences. Nous n’arrêtions pas de parler. De maman, de notre vie, de tout et de rien. Nous n’avions aucune idée à quel point nous pensions d’être proches, mais en réalité, il n’en était rien. Ainsi Marie nous a avoué ne s’être jamais sentie investie par cette histoire de disparition car elle ne se rappelait même plus de maman. Moi, je leur ai expliqué pourquoi je ne portais jamais le bleu, la couleur préférée de maman. Même mon père se laissait aller à quelques confidences. Faire le voyage tout seul pendant toutes ces années avait vraiment été dur pour lui. Une fois, Il avait même été agressé ! Il ne nous en avait jamais rien dit par crainte de nous inquiéter davantage que nécessaire. Mais au fur et mesure que nous avancions sur l’autoroute A666, nos discussions se faisaient de plus en plus rare et chacun d’entre nous semblait perdu dans ses pensées. Avions-nous fait le bon choix ? Nous avions encore une chance de faire marche arrière, de se faire une soirée télé et de prétendre que tout cela n’avait jamais eu lieu. Puis quelle idée de repartir sur la route pour trouver maman, c’était un délire de papa, pas de nous ! Mais ces pensées furent vite mises de côté. On avait décidé de le faire une dernière fois, alors allions jusqu’au bout… A notre arrivée sur l’aire d’autoroute, papa a pris une autre place de parking. En pleurs silencieux, il avait l’impression d’être en train d’abandonner sa femme une nouvelle fois. Pendant toutes ces années, faire le trajet exactement comme la dernière fois était tellement essentielle pour lui qu’il n’arrivait pas à se défaire de cette idée qu’il était en train de provoquer le destin en faisant les choses différemment. Marie lui disait que non. Il lui disait qu’il le savait. Lorsque nous sommes entrés dans le relais routier, le directeur a fait signe à la serveuse remplaçant celle qui avait pris notre commande des années avant. Elle nous apportait les menus et s’apprêtait à partir quand Marie lui a dit qu’elle était prête à commander. A l’époque, la petite Marie n’avait rien dit donc la serveuse était perdue. Cela ne faisait pas partie du scénario, mais mon père lui a pris la main tout en disant à la serveuse que lui aussi, il savait ce qu’il allait prendre. Elle a compris que quelque chose avait changé et a demandé ce qui nous voulions manger. Plus de menus d’enfants et du vin. D’un coup, je me suis sentie vraiment adulte. Ce voyage allait me permettre, à moi aussi, de passer à autre chose. Le repas fût excellent mais le moment de la bagarre à l’extérieur du relais routier s’approchait. Papa nous a regardés, ses mains ont commencé à trembler et finalement il est resté assis en laissant ses larmes couler. C’était fini. L’équipe du relais routier est venu nous dire au revoir quand nous nous sommes levés. Ils savaient que nous ne reviendrons pas et pour la dernière fois, ils ont pris l’affiche de la disparition de ma mère. L’année prochaine, mon père leur en enverrait une par la poste. Une fois arrivée à l’hôtel, nous nous sommes vite endormis, non pas sans jeter un dernier regard sur l’entrée du relais routier. Demain, nous rentrions à la maison. Enfin.
Le lendemain, quelqu’un frappait violemment sur notre porte. Quand j’ai ouvert la porte, un homme a déboulé en nous demandant de façon paniquée si nous étions la famille de la femme disparue. Devant notre hésitation, il s’est énervé en disant qu’il n’avait pas de temps à perdre. Nous avions alors dit que c’était nous. Il a alors commencé à chercher frénétiquement dans les poches de sa veste pour en sortir un petit papier. J’ai tout de suite reconnu l’écriture de maman.