La villa ratée (remix).

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Extrait de: "Si j'avais compté le nombre de fois, j'aurai pas misé sur la toute première."

Pour notre maison du bord de mer, j'avais calculé la surface constructible en fonction de nos impératifs journaliers: une cuisine commode et digeste, un salon de ton clair et ouvert sur la baie, une pièce d'eau et d'ornements pour les soins de Betty, et un petit atelier de mécanique sans prétention pour moi. C'était une maison ou l'on ne dormait pas puisque j'avais oublié de dessiner les chambres sur les plans.

Je me souviens du jour de la réception des travaux lorsque le maître d'œuvre à la remise des clefs s'étonna lui aussi du manque de couchages:

- On n'en a pas mis ?

- C'est pas grave, on ira dormir à l'hôtel lui avait répondu Betty furieuse ! Vous avez déjà mis 2 ans pour nous retourner la terre, nous couler une dalle, nous aligner 3 planches de façade et rabouter un bout d'tuyau pour faire fonctionner une arrivée d'eau... on peut patienter une année de plus pour attendre de voir pousser des plumards et des guéridons !

Betty adorait recevoir et ne concevait pas la vie sans faire la fête ni dormir à plusieurs sous un même toit. Elle disait que la vie était courte et qu'il valait mieux faire du bruit dans celle-ci avant que le silence définitif ne vienne frapper à la porte.

La première année de notre installation, j'ai plus passé de temps à régler les spots et la sono sur le deck de la piscine, à modifier la température du jacuzzi et à planifier le transfert des valises de nos invités, que d'essayer de rectifier la culasse de mon Dodge Polara 1965.

Betty pensait que mon amour pour les vieilles voitures tenait du fait que durant mon enfance j'avais dû trop m'endormir sur la banquette arrière de la DS familiale, et que ma vie d'aujourd'hui cherchait à se rapprocher du confort moelleux de cette existence !

- A t'entendre ma chérie, tout est Psychologies Magazine !

- Ben ouais, c'est en kiosque !

- Que devrais-je alors penser de toute ta collection de sacs à main ? Dois-je associer ton amour de la maroquinerie à celui d'une boîte sans cesse renouvelée et dans laquelle se cacherait un trésor de jeunesse ?

- Y en a aucun qui ferme à clé ! Tu peux tous les fouiller si ça t'intéresse ! C'est pas comme tes vieilles bagnoles du siècle dernier où il en faut 2 avant de pouvoir ouvrir une porte et faire tourner un moteur !

(...)

Dans notre villa ratée, j'avais mis des pièges à lapin pour la sécurité, alors que d'autres auraient mis de la vidéo-surveillance: la tapette a l'avantage de fonctionner en cas de coupure de courant.

- C'est des tapettes à souris qu'on met dans les maisons, pas des tapettes à lapins ! T'as déjà vu un garenne bouffer du gruyère ?

Les garennes de Betty venaient généralement la nuit, quand je sortais le chien. Ils profitaient de mon absence pour tenter de sauter par dessus les thuyas...

"- Tu lui fais faire un grand tour... un tour assez long... hein mon chéri ? Il a fait de la palliasse toute la journée, le bichette !

- Oui mon cœur."

Nous avions durant les vacances, hérité du chien de sa mère: Misère, un teckel de 13 ans d'âge, atteint de croûtes et accessoirisé de deux petites roues montées à l'avant. Il était tellement moche de par sa race et à plaindre de par son handicap que sa maîtresse le sortait d'ordinaire avec une couverture sur le dos. Cet été là, et pour dynamiser son look, elle nous avait refilé une serviette de plage offerte à son Leclerc de Villeparisis pour l'achat de 2 produits de la gamme solaire de chez Nivéa: une reproduction de Mickey en impression flocage sur un surf  de couleur bleue.

Misère portait le regard si bas que ses dents faisaient des étincelles en longeant les trottoirs. Avant de chier au platane (il y a toujours un platane de garé quelque part dans une rue pour un besoin), Misère pour déféquer, tournait en rond sur lui-même, si bien que la longueur de son véhicule faisait que parfois il en avait plein la calandre et les roues. Misère puait constamment la merde.

Ce soir-là, durant cette promenade de complaisance (on promène généralement un chien pour s'assurer de la qualité de ses besoins et réfléchir aux rideaux qu'on pourrait mettre à la cuisine), je pensais au parfum de la mort: avait-t-elle cette même odeur de crotte que Misère ?

En fouillant dans une de mes poches pour en extraire un sac à déjection animale et en terminer avec cette ténébreuse pensée, je tombais sur une tablette de chewing-gum au goût menthol que je garde en cas de mauvaise haleine après l'amour. J'en profitais pour me la frotter sur les avant- bras, comme le ferait avec du savon en pâte un garagiste après la dépose d'un moteur, tout en pensant à la petite phrase assassine que j'allais lui foutre dans la gueule (la compassion aurait été pour lui un sentiment de pitié de plus, alors que l'insulte, une raison de se battre):

- On ferait mieux de t'enlever toute la direction Misère, ça t'éviterait de rouler dedans ! Au prix que vaut ta voiture et en faisant tout droit, t'aurais moins d'emmerdes !

Misère perdait régulièrement son petit manteau à l'approche d'une chienne. Sa queue étant le seul moyen d'expression à sa défaillante acuité visuelle, que celle-ci finissait par faire dégrafer sa tenue de camouflage lors de ses premières palpitations caudales. Les femelles fuyaient quant à la vue de son pot d'échappement, qui à lui seul, représentait tout de même un bon tiers de la surface totale de l'engin.

Sur le retour, on engendrait la haie...


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