La voix

ttr-telling

L'air frais de l'aube transportait le chant des premiers oiseaux diurnes dans la vallée, alors qu'un soleil timide faisait fébrilement rougir les nuages parsemés qui tentaient d'occulter les dernières étoiles qui luttaient pour tenir tête au renouveau du jour.

Une silhouette se tenait là, perchée sur le surplomb qui dominait le monde.




Fabien fixait les frondaisons qui dansaient au gré du vent au dessus de lui. Il était revenu dans ce petit bosquet qu'il avait découvert quelques jours plus tôt pendant ses escapades. Il semblait de nouveau perdu dans ses pensées, le regard nostalgique, les sourcils encore et toujours froncés.

- "Arrête." Lui dit une voix.

L'ordre était on ne peut plus simple. On ne peut plus simple, et pourtant on ne peut moins faisable. Il ne répondit pas.

"Ca fait trop longtemps. Il faut que ça cesse, Fabien."

Son visage demeurait imperturbable, son regard persistait à suivre la chorégraphie anarchique des feuilles qui dansaient, fébrilement accrochées à leurs branches.

"Qu'est ce qu'il te faut pour que tu acceptes la réalité? Qu'est ce qu'il te faut pour que tu lâches prise? Bordel ! Tu te rends compte de ce que tu fais? Qu'est ce que je raconte... Evidemment que tu le sais... Tu le sais et tu continues !"

Un merle venait de se poser à la base d'une des branches, chantant une mélodie aigüe et répétitive.

"Oh ! Je te parle ! Il est temps d'amorcer le changement Fab'. Laisse le passé où il est. Avance. Putain de merde, t'es en train de passer à côté de tes dernières meilleurs années là ! Tu te rends compte de ta situation? Tu te rends compte de ce que tu as? De ce que tu es ? As tu seulement la moindre idée du nombre de personnes qui n'osent même pas rêver d'être à ta place?"

L'oiseau chanteur s'élança à nouveau dans les airs, alors qu'une nouvelle bourrasque agitait les feuilles qui refusaient de quitter leur branche.

- "Alors? Tu comptes faire quoi? Hein ? Fab' ?!"

Il ferma les yeux en prenant une longue inspiration.

- "T'es dans ma tête. Alors arrête de faire comme si on avait besoin de parler. Tu as déjà les réponses à tes questions. Lâche moi." Dit Fabien tout haut. Il ne pris pas la peine de regarder autour de lui, il savait que personne ne risquait de le surprendre à parler tout seul. Jamais personne ne venait à cet endroit.

- "C'est sacrément grossier de ta part. Et si je suis là c'est probablement pour une bonne raison. T'avais pas d'autre voix avant, n'est-ce pas? Encore une évidence que tu refuses d'accepter. Si je t'agace autant, t'as qu'à faire ce qu'il faut. Tu t'es jamais dit qu'il y avait de bonnes chances pour que je disparaisse si tu acceptais enfin d'avancer? Et me dis pas que c'est pour me garder que tu fais rien. Je suis dans ta tête je te rappelle." Rétorqua la voix.

Ca faisait un peu plus d'un an maintenant qu'elle était apparue. Probablement suite à l'abandon. Ca l'avait terrorisé au début, il avait l'impression de devenir fou. Mais il avait fini par s'y habituer. Il ne savait pas trop ce qui régissait cette voix, tantôt bienveillante, tantôt sarcastique, tantôt agressive...

Fabien monta légèrement le volume de sa musique. Il savait que ça ne la ferait pas partir, mais c'était malgré tout plus facile de la mettre de côté.

- "Ca va venir. C'est pas pour rien que je lui ai demandé de le revoir l'autre soir. Je voulais mettre en évidence que les choses ont changé, contrairement à ce qu'il prétend. J'essaye d'accepter la réalité. D'accepter qu'il ne m'aime plus comme il le dit. Qu'il n'est plus là pour moi comme il le dit. Qu'il n'est plus la personne que j'ai aimé. Laisse moi le temps. Ca va venir." Lâcha enfin Fabien.

Des larmes coulèrent sur ses joues alors qu'il le disait tout haut.

"Il n'est plus la personne que j'ai aimé..."

Son cœur, déjà écrasé, broyé, lacéré, se mis à brûler encore de plus belle.

- "C'est ça... Lâche... Vas-y..." Dit la voix.

La vue de Fabien se brouillait alors que les larmes envahissaient ses yeux, se déversant à flot sur son visage crispé.

"Pourquoi est-ce qu'il me fait ça..? Pourquoi est-ce qu'il continue de prétendre tout ça, alors que tout ce qu'il fait montre l'inverse? Et pourquoi suis-je incapable d'accepter que tout est fini? Pourquoi suis-je incapable d'accepter que je ne suis plus qui j'étais pour lui? Pourquoi suis-je la dernière personne à encore croire à ce qu'il me dit..?" Sanglota Fabien, la voix brisée.

- "Parce que ça fait mal. Parce que c'est dur. Parce que tu n'avais jamais aimé comme tu l'aimes. Mais il faut que tu te redresses Fab'. Tu sais très bien quel jour on est. C'est le moment d'acter le changement. Il est temps d'avancer." Dit la voix.

- "Tu crois qu'il sait aussi quel jour nous sommes?" Demanda Fabien, alors qu'il tâchait d'essuyer ses larmes.

- "Quelle importance? Quelle valeur peut bien avoir cette date de toute manière? Vous n'avez même pas eu le temps de le fêter." Fit la voix.

- "Je sais mais... putain... Moi qui suis incapable de retenir la moindre date habituellement..." Fit il dans un éclat de rire défensif. "J'ai encore l'impression que c'était hier..."

- "Ca peut être hier, il y a un an, ou même sept ans. Ca change rien. C'est derrière. Tu peux pas continuer à marcher à reculons. Laisse ton Etoile à la nuit Fabien. Il est temps de reconquérir le jour." Dit la voix.

- "Je peux pas." Dit simplement Fabien.

- "Comment ça tu peux pas?" Rétorqua la voix.

- "Je peux pas. Je peux pas abandonner mon Etoile comme ça." La voix de Fabien s'était raffermie.

- "Je te rappelle que c'est "ton Etoile" qui t'a abandonné. N'inverse pas les rôles. Dis plutôt que tu ne VEUX pas !" Râla la voix.

- "C'est vrai. Je ne veux pas. Et même si je le voulais, je ne le pourrais pas. L'oublier? Avancer sans lui? Pourquoi faire?  Quel intérêt ? T'es dans ma tête non? Tu sais comment je fonctionne! Tu sais ce que je veux, tu sais ce qui me plait, tu sais ce à quoi j'aspire ! Sachant tout ça, c'est quoi le plan hein ? Je renonce à mes idéaux, à mes principes, à mes valeurs, juste pour errer de déception en déception ? Tu le connais ! Tu sais qui il est ! Tu sais ce que nous avons vécu ! Autant que moi ! Sois sérieux deux minutes, tu crois vraiment que je vais réussir à m'épanouir après cette histoire?" Fabien haussait le ton petit à petit, seul face à la nature.

- "Non je sais pas ce que vous avez vécu, j'étais pas encore là. Et je sais pas qui il était à ce moment là. Mais je sais qui il est aujourd'hui : un type qui prétend être là pour toi, qui te dit qu'il a tout le temps envie de te voir, qu'il pense presque tout le temps à toi, mais qui bizarrement est incapable de trouver dix minutes à passer avec toi, qui ne fait des propositions qu'à la dernière minute, si possible sur des créneaux où y'a 95% de chances que tu sois pas dispo, et quand il prétend bloquer une journée entière pour te voir, il te préviens le matin même que "ah bah désolé enfait j'ai dit oui pour autre chose". Il t'évite, et d'ailleurs il ne s'en cache même plus! La dernière fois que vous vous êtes croisé, il t'a à peine regardé. On aurait dit des étrangers. Voilà qui il est aujourd'hui ! Et malgré ça, ton plan à toi c'est quoi exactement? Errer dans le passé, sur les traces d'une chimère, en te fermant au monde et aux possibilités qui peuvent s'offrir à toi ? Génial ! Beau programme ! Nettement meilleur ! Pas étonnant qu'il t'ait abandonné si t'es aussi défaitiste et misérable." Cracha la voix.

Fabien ne répondit rien. Il ne l'aurait pas cru de prime abord, mais la dernière phrase l'avait soufflé. Une vague de honte et de culpabilité déferla sur lui, le frappant de plein fouet.

Le reste de la journée se passa dans le silence. La voix semblait satisfaite d'avoir eu le dernier mot.



- "Rassure moi, tu ne penses pas à ce que je pense?" Fit la voix.

- "Si." Répondit simplement Fabien. Il observait les étoiles, dont le nombre grandissait de minute en minute.

- "Fab', tu vas être mignon, tu vas reculer tout de suite." Fit la voix.

- "Sinon quoi, tu me rappelles que si j'avais été meilleur il m'aurait pas abandonné?" Railla Fabien. "Arrête de flipper, tu sais que je le ferai pas. Je lui ai promis." Rassura-t-il dans un soupir. Un long silence suivi, que Fabien fini par briser d'une voix fatiguée mais ferme. "Tu pourras dire ce que tu veux. Penser ce que tu veux. Mais si cette solitude est le prix à payer pour avoir vécu cette histoire, alors je l'embrasserai. Car sache que si j'ai un jour la possibilité de me retrouver à l'instant où je l'ai croisé, alors je recommencerai tout de la même manière. Encore et encore." Il fixa la lune qui prenait lentement place dans son domaine. "Jamais l'éclat de mon Etoile ne vacillera. Elle est gravée dans mon cœur, et y brillera toujours."


L'air frais du crépuscule transportait le chant des premiers oiseaux nocturnes dans la vallée, alors qu'une lune timide faisait doucement pâlir les nuages parsemés qui tentaient d'occulter les premières étoiles qui se hâtaient de prendre leur place au déclin du jour.

Une silhouette se tenait là, perchée sur le surplomb qui dominait le monde.




TTR.

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