L'abîme

plumedesang

Nouvelle horrifique.
« Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi. »
Friedrich Nietzsche


Le soleil s'est couché depuis belle lurette, laissant place à l'obscurité de la nuit. Alors qu'à une heure si tardive, tout le monde dort profondément, je demeure éveillé. Le Marchand de sable et Morphée m'ont abandonnés il y a longtemps de cela. Ont-ils seulement existé un jour? J'en doute. J'ai vu les pires abominations, des entités si monstrueuses, que même l'imagination retorse des écrivains les plus pervers n'oserait créer. Attablé à mon bureau, à la lueur d'une lampe, j'écris ces quelques lignes d'une main tremblante. Ce n'est qu'une question de temps désormais, avant que mon âme ne soit engloutie dans les méandres de l'abîme. J'ai eu beau m'enfuir, après tant d'années, ça m'a retrouvé.


J'étais jeune à l'époque. Et terriblement stupide. Nous étions en Irak. Nous faisions la guerre. Après une tuerie, il nous arrivait de piller le village dans lequel nous nous trouvions alors. Jamais je n'oublierais le visage de cette femme, la lueur de terreur absolue qui traversa son regard, lorsque nous avons pillé ce temple.


C'était après un véritable bain de sang, un carnage comme jamais nous n'en avions connus. Bon nombre de nos frères d'armes étaient tombés sous l'impact des balles, là juste sous nos yeux. D'autres avaient été grièvement blessés, certains avaient même du être amputés d'urgence par nos soins. Alors que nous avions réussi à repousser l'ennemi, nous constations avec horreur l'hécatombe. A la vue de tous ces corps atrocement mutilés, de ces hommes que l'on connaissait, gisant sur le sol dans une mare de sang, la colère s'est emparée de nous. Nous sommes allés dans le temple avoisinant, et nous l'avons saccagé, pillant ce qui pouvait l'être. Le talisman en faisait partie. Lorsqu'elle nous a vu nous en emparer, la femme tenta de nous en empêcher par tout les moyens, or elle n'était pas de taille à lutter contre des hommes armés. Malgré la colère, nous avons eu la décence de l'épargner, nous avions vu assez de morts atroces, aucun de nous n'avait le cœur d'abattre une innocente. Cela ne nous a pas empêché de récupérer le talisman.


Des années après être rentrés d'Irak, le calvaire à commencé. Mes camarades ayant réchappé aux affres de la guerre échangeaient régulièrement avec moi. Au début, les correspondances s'avéraient tout ce qu'il y a de plus banal. Nous parlions du bonheur d'avoir retrouvé notre famille, de la routine dans laquelle nous nous étions installés, nous nous soucions de savoir comment allait untel. Puis, au fil du temps, les missives se faisaient de plus en plus étranges, la folie et l'angoisse sourde suintant peu à peu des pages jaunies noircies d'encre. Puis le fléau nous emporta les uns après les autres. Pour certains ce fut rapide, pour d'autres ayant eu, comme moi, le temps de fuir, ce fut plus long.


Il ne reste plus que moi désormais. Alors que j'écris ces dernières lignes, je prie de toutes mes forces que la Lumière éclaire mes Ténèbres. Car il est des secrets profondément enfouis sous terre, et qui jamais, ne doivent être déterrés. Nous pensions combattre des monstres, nous étions devenus des monstres. Ce n'est que lorsque nous sommes confrontés à l'horreur de notre propre reflet qu'enfin l'on peut espérer apercevoir l'aube survenir, après l'obscurité de la nuit. 

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