L'accoucheuse (1)
matt-anasazi
Le ventre arrondi se contracta encore. Marie-Jeanne Le Gallec poussa un nouveau cri de douleur. Je lui touchai le ventre pour ressentir l’arrivée prochaine de son bébé.
« Allez, pousse, il se présente bien. Je vois tes petits cheveux noirs. »
Ce détail soulagea la future maman qui réussit à sourire entre deux grimaces. Je lui épongeai le front et me penchai à son oreille.
« Ecoute-moi, quand tu sentiras ton ventre durcir, pousse de toutes tes forces. »
Elle acquiesça d’un hochement de tête. Les yeux épuisés par un après-midi de souffrance, le front blême. Je sentais qu’il fallait que le bébé naisse vite car elle finirait par défaillir rapidement. Les prochains instants seraient cruciaux. Je savais que son ventre ne tarderait pas à se ramasser à nouveau, se refermant sur le bébé pour qu’il nous rejoigne. J’examinai une dernière fois le corps de la jeune femme : la largeur était suffisante pour la sortie du nourrisson, la tête bien engagée dans le passage. Je me relevai et la rassurai d’un sourire. La main posée sur la bosse de la vie, j’attendais l’instant magique où un nouvel être franchirait l’ultime barrière pour échouer sur le rivage de notre île. Je jetai un coup d’œil à ma bassine d’eau où macérait de la sauge et à mon mouchoir pour essuyer le petit une fois né. Je respirais lentement pour donner l’exemple, même si chaque naissance était une épreuve pour moi aussi. La vie de deux êtres m’était confiée…
Le ventre de Marie-Jeanne se mit à durcir.
« Allez, pousse, criai-je. »
Je la vis se crisper, son visage se tordit entre douleur et effort. Tout son corps sembla se ramasser sur lui-même. Elle poussa un long cri tout en contractant son ventre. Je me tenais prête à recevoir la vie.
« Continue. C’est bien, il arrive ! »
En effet, la petite tête du nourrisson franchit les derniers arpents le séparant de nous. Il prit une respiration, plissa le nez, gonfla sa poitrine pour la première fois et sa petite bouche édentée s’ouvrit pour faire sortir son premier cri. Son corps se recroquevillait à mesure qu’il sortait à l’air libre.
Je l’attrapai et le plongeai dans la bassine d’eau tiède à la sauge. Il se calma au contact de l’eau et de la température douce. Je me tournai vers Marie-Jeanne.
« C’est un garçon.
- Enfin, soupira-t-elle, mon mari t’attendait, petit Gwenaël. »
Je retournai vers lui. Je me dépêchai de le laver, puis je lui pressai des gouttes de jus de citron dans les yeux. Ses hurlements redoublèrent mais mieux valait le faire hurler maintenant que de le voir perdre ses yeux dans quelques temps. Une fois lavé et emmailloté, je le pris à bout de bras.
« Bienvenue parmi nous, Gwenaël. Kénavo, babig. »
Délicatement, je le tendis à sa mère. Elle le reçut sur sa poitrine et le mit au sein comme je le lui avais montré. La petite bouche gloutonne se colla contre l’aréole et aspira goulument les premières gorgées de lait. Pendant que Gwenaël tétait pour la première fois, Marie-Jeanne leva les yeux vers moi.
« Trugarez, dame Elvan, souffla-t-elle, les yeux embués de reconnaissance.
- Je t’en prie, Marie-Jeanne, répondis-je en lui touchant le front. Je sors pour vous laisser ensemble. Appelle-moi dès que tu sens de nouvelles douleurs. »
Je poussai la porte, à travers laquelle passaient les premières notes d’une berceuse improvisée. Je me signai.
Merci pour cette nouvelle vie à Molène
Contre vents et marées de la chanson bretonne, " qui voit Molène voit sa peine, qui voit Ouessant voit son sang ". Bel accouchement.
· Il y a environ 11 ans ·Archange Flippé
Merci de ta fidélité, Archange. A très vite pour la suite !
· Il y a environ 11 ans ·matt-anasazi