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nadiakwords

Quand ma mère est décédée, je n'ai pas beaucoup pleuré. En vacances dans le Maine, avec la famille chez laquelle j'étais au pair, j’ai appris la nouvelle en descendant à la cuisine, le matin.

Meica était en pleurs au téléphone. J'ai alors pensé que qqc de grave était arrivé à l'un de ses proches. Lorsqu'elle a bouclé, elle a bafouillé : "ma pauvre, je suis désolée" trois fois, sans pouvoir continuer. Elle pleurait tellement que c'est moi qui l'ai consolée.

C'était déjà trop tard pour l'enterrement ; le temps qu'on me trouve, ma mère avait été incinérée. Un cancer foudroyant l'a tuée en moins de deux mois. Nous ne nous fréquentions plus depuis quelques années déjà;elle avait donc dû juger inopportun de m'avertir de sa maladie.

Etant son unique parent, j'ai dû retourner au pays, pour régler les questions de succession.

Puis, ma vie a repris son cours habituel à Londres.  Rien à signaler, pas de tristesse, pas de choc, pas de regret. Rien, sauf une petite gêne à la respiration, une sorte de point de côté qui ne me quittait plus. Quelques jours ont passé, ce point est devenu douloureux, comme un pincement aigu, ça me réveillait la nuit. Je me suis rendue aux urgences, pliée en deux, forcée de m'arrêter plusieurs fois sur le chemin.  Le médecin qui m'a reçue, après avoir posé son stéthoscope, m'a dit ceci en secouant sa tête: "Madame, il faut expirer. Vous n'expirez pas." Après quoi, il m'a prescrit un simple décontractant et m'a conseillé de laisser sortir ce que j'avais: « let it go away ».

Je me suis sentie un peu stupide, je n’avais pas fait le lien.

Sur le chemin du retour, j'ai remarqué la piscine municipale qui, par chance se trouvait à 5 minutes de chez moi. Le jour d'après, j'ai retrouvé l'eau, la sensation agréable d'être portée, englobée. Ma première longueur a été chaotique, mais d'emblée j’ai choisi la brasse coulée. Dès la 2e longueur, un rythme s'est installé, répétition d'inspirations et d'expirations, tête sous l'eau, tête hors de l'eau. A la 4e longueur, j'ai commencé à pleurer ma mère, son décès mais aussi ses absences, ses abandons multiples jusqu'à ce dernier. A la 12e longueur, mon corps entier s'était détendu, de même que mon cœur, et j'avais retrouvé mon souffle.

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