L'Aire du Diable
vic-nekavo
Synopsis
Episode 1: Un couple(James et Sophie) part en vacances dans la maison de famille de l'époux avec leurs enfants: Martin,11 ans, Léa,5 ans. Ils déjeunent sur une aire de l'A666. Tout va bien jusqu'au moment où le mari disparaît. Pas de réseau téléphonique. Sa femme le cherche en vain jusqu'au moment où un homme en sang s'écroule inanimé dans la station.
Episode 2 : Un orage violent éclate entrainant une panne d'électricité. C'est la panique. Sophie décide de chercher de l'aide ailleurs mais les sorties de l'A666 semblent toutes condamnées. Elle réussit à s'échapper. Ils arrivent dans un village désert. Une tornade s'abat sur le village.
Episode 3: Sophie part sans savoir où elle va. Ils traversent une forêt, s'engagent dans un chemin qui semble sans fin avant de découvrir un immense manoir. D'étranges lueurs colorées en illuminent l'intérieur. Elle hésite à frapper à la porte pour demander de l'aide.
Episode 4: Elle fait la connaissance d'une veuve excentrique et sympathique qui vit seule. Ils découvrent un intérieur déconcertant: contemporain, sur-équipé en technologies de pointe. Des objets lumineux flottent dans l'air. Les enfants sont enchantés par cet univers.
Episode 5: Ils narrent leur aventure. La femme ne semble pas surprise. Elle explique que les gens de la région ont un sang rare synonyme de longévité hors norme, qu'une secte sévit dans la région, que des enlèvements se sont multipliés depuis sa création.
Episode 6: Les femmes font des recherches généalogiques sur le net, découvrent que la famille de James est connue pour leur appartenance ancestrale à cette communauté, qu'un oncle appartient à la secte. Les boules colorées que crée la femme permettent de voir dans le temps.
Episode 7: Sophie se voit dans une boule avec un bébé dans les bras. Léa et Martin voient leur père enfermé dans une cave. Ils échafaudent un plan pour délivrer James.
Episode 8: Les femmes entrent dans la secte à l'occasion d'une fête. La veuve occupe les responsables. Sophie délivre son mari guidé par les enfants et les boules. Ils s'enfuient de justesse.
Episode 9: James narre son enlèvement et ses péripéties, dit que des hommes l'ont examiné et questionné avant de lui prélever du sang.
Episode 10: Ils contactent la police qui démantèle la secte, laquelle se livrait à différents trafics de sang et d'organes sur des êtres humains afin d'assurer à leurs membres un système immunitaire et une longévité exceptionnels. Sophie annonce sa grossesse à Martin.
1er épisode
"Martin, Léa, arrêtez de vous chamailler! On s’arrête bientôt pour déjeuner. N’est-ce pas chéri? interrogea Sophie en posant la main sur l’avant bras de son mari.
-Absolument, répondit James à son épouse. J’aurais bien besoin de faire une pause. Quelle chaleur! Je te laisserai le volant après le déjeuner. Je suis crevé. Une petite sieste ne me fera pas de mal. Les enfants, vous avez vu? Nous sommes sur l’aire du Diable! L’aire des diablotins, ajouta t-il en souriant. Ils vendent peut-être des déguisements avec des queues fourchues ?
-Papa, je veux un déguisement, s’écria Martin, je le mettrai pour Haloween!
-J’ai peur du diable, susurra Léa.
-C’est malin de leur mettre des idées pareilles dans la tête, rétorqua Sophie en regardant son mari d’un œil noir.
-Mais c’était une blague! pouffa James. Vous savez bien que le Diable n'existe pas les enfants. C’est le nom du ruisseau qui coule ici. Désolée chérie, dit–il en effleurant les lèvres de son épouse tout en coupant le contact.
-Allez, tout le monde descend! Léa, avec ta mère, Martin, avec moi. On va tous se laver les mains avant de déjeuner. Chérie, on se retrouve à la cafétéria, le premier qui arrive fait la queue!
-Oui mais ne traînez pas les garçons, répondit Sophie avec un sourire. Sinon on vous commande du jambon sauce madère avec des coquillettes!
-Non, pas de jambon chaud, Maman, supplia Martin. C’est beurk!
-Si on arrive avant vous, promis, je te prendrai du taboulé, s’esclaffa James.
-Si tu fais ça, je te tue! dit son épouse en éclatant de rire.
Dix minutes plus tard, la famille au complet était attablée sous un parasol sur la terrasse de la cafétéria. Les enfants dévoraient un steak frites arrosé de ketchup pendant que leurs parents mangeaient avec des regards sous-entendus une salade César sans goût, manifestement sortie tardivement du réfrigérateur. James, captant une œillade significative de son épouse, la réconforta:
-Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Regarde, les enfants sont ravis! Dans trois heures au grand maximum, nous serons arrivés. Ce soir, pas question de faire la cuisine. On décharge le coffre et on fait les lits. Ensuite, direction la trattoria de la place du Marché. Pizzas pour eux et antipasti arrosé d’un Chianti pour nous, vue sur l'océan. Ensuite, on couche les enfants. Puis, si tu es sage, je te ferai danser sur la terrasse, puis…hum, conclut-il en désignant les enfants.
-Une invitation pour le paradis sur l’aire du Diable? questionna t-elle malicieusement les yeux plissés, c’est vraiment tentant, et…un peu effrayant. Je vais y réfléchir. Tu as intérêt à tenir tes promesses, ajouta Sophie en dardant James d'un regard Véronèse brillant. Je t’aime, chuchota t-elle à son époux en mimant un baiser.
La pause déjeuner achevée, James décida de reprendre la route sans tarder.
-Allez, les enfants, on y va. Posez vos plateaux sur la desserte. Marie, on se retrouve à la voiture, je vais me chercher un café serré. Tu en veux un ?
-Non merci. Pas question d'avoir des brûlures d’estomac pendant deux jours. Mais dépêche toi. Je n’ai pas envie d'attendre trop longtemps avec les enfants dans la voiture avec une chaleur pareille.
-T’inquiète, dans cinq minutes je suis là.
-Léa, Martin, allez, hop, on va boucler nos ceintures le temps que papa revienne. Vous aurez même le temps de choisir un film que vous pourrez regarder jusqu’à ce qu’on arrive. Tu préfères lequel, Léa, La Petite Sirène ou La belle et la Bête ?
-Ah non, s’exclama Martin, c’est des trucs de fille et de bébés, moi je veux regarder le film de Kung-fu que papa a acheté, celui où Bruce Lee se bat comme ça, dit le garçonnet en esquissant des coups de pieds sur le parking.
-Je t’arrête tout de suite Martin, répondit sa mère. Je t’ai promis de t’inscrire à un club de karaté à la rentrée, mais je ne conduirai pas en ayant dans les oreilles des bruits de combat et les cris de ton idole. En plus, ce n’est pas un film pour ta sœur. J’ai besoin de calme. Je suis fatiguée. Léa et toi avez dormi une bonne partie du trajet depuis ce matin, mais papa et moi nous sommes levés à quatre heures du matin et il faut que je reste concentrée si nous voulons arriver à bon port d’ici quelques heures. Surtout si papa dort comme il l’a dit. Il ne me fera même pas la conversation pour me tenir éveillée. C’est donc Walt Disney ou rien.
-Mais, Maman, tenta une dernière fois Martin.
-C’est non, n’insiste pas, rétorqua sa mère.
-Bon, d’accord, se résigna le garçon. D’accord pour la Belle et la Bête.
Ils s’installèrent dans le véhicule. Sophie régla les rétroviseurs et avança le siège, glissa le DVD dans le lecteur, se frotta les yeux en essayant de faire le vide. Elle n’avait pas osé dire à son mari qu’elle aussi était épuisée et aurait bien aimé piquer un roupillon. Le film était commencé depuis dix bonnes minutes et James n’était toujours pas revenu. Elle soupira en se disant que son mari était décidément incorrigible avec cette manie d’être toujours en retard et définitivement brouillé avec l’espace temps. La semaine dernière encore, elle se rappela comment il était parti chercher du pain au village à 500 mètres de la maison avant de revenir deux heures après, la bouche en cœur, sans penser à fournir une explication. Elle s’était inquiétée, avait essayé de le joindre en vain sur son portable qu’il avait, comme souvent, laissé sur le buffet de l’entrée. Le comble est que lorsqu’elle l’avait interrogé, il avait répondu avec sa décontraction naturelle: «Ma pauvre chérie, tu t’es fait de la bile pour rien! J’ai rencontré Paul, tu sais, l'ancien postier. Imagine toi que je l’ai croisé en sortant de la boulangerie avec sa canne à pêche. Il a commencé à me raconter sa vie. Du coup, comme il allait jeter sa ligne vers le pont, juste en face, je l’ai suivi. Si tu savais ce qu’il m’a dit! Sa vie n’a pas été simple. Sa femme est morte en couche et il ne s’est jamais remarié. Sa mère a eu Alzheimer et son père est tombé d’un escabeau. Il a fini dans un fauteuil…» Le récit de la vie du facteur avait duré près d’une heure, laissant à Sophie le temps de finir de préparer une ratatouille et une mousse au chocolat. Comme d’habitude, il avait fini son histoire en l’enlaçant et en lui glissant quelques baisers à la racine des cheveux pour se faire pardonner.
Sophie se retourna. Les enfants regardaient leur film, la petite Léa commençait à s’assoupir. Elle regarda sa montre. Vingt minutes s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient regagné la voiture. Une franche colère succéda aux souvenirs du dimanche précédent. Elle en pinça les lèvres de contrariété tout en expirant bruyamment. Elle décida de téléphoner sur le cellulaire de son mari avant de constater qu'aucun réseau n'était disponible.
« C'est quoi ce trou? Murmura t-elle.
-Martin, je vais chercher papa. Je ne sais pas ce qu’il fabrique mais j’en ai assez d’attendre. Tu ne bouges pas de la voiture et tu surveilles ta sœur le temps que je revienne. Je laisse les fenêtres entrouvertes mais je ferme la voiture. Tu ne sors pas, c’est bien clair?
-Oui maman, répondit-il distraitement, l’œil rivé sur l’écran du lecteur portable.
-Martin? interrogea sa mère d’une voix plus ferme.
-Oui, j’ai compris, je ne bouge pas et je surveille Léa…qui dort, ajouta t-il avec un sourire moqueur.
Sophie descendit de la voiture et prit garde de fermer la portière doucement afin de ne pas réveiller la fillette. Elle s’engouffra à l’intérieur du hall commercial dans lequel se trouvaient les distributeurs de boissons, chercha son mari du regard au milieu des nombreux automobilistes sirotant leurs breuvages. La haute stature de rugbyman de James aurait dû être facile à repérer mais, avec ce monde, il était difficile d’espérer entrevoir qui que ce soit au premier coup d’œil, d’autant qu’un car entier d’hommes arborant des physiques de viking semblait avoir investi l’espace, lesquels gesticulaient à qui mieux mieux en se faisant passer des canettes de bières au-dessus de la tête. Elle prit conscience qu’une de ses migraines habituelles s’était déclenchée qui lui taraudait la tempe droite. Il manquait plus que ça, pensa t-elle, tout en réfléchissant au fait que sa trousse de toilette contenant les précieux médicaments était rangée dans le coffre de toit. Elle décida de faire le tour de la salle, cheminant à travers la horde de géants blonds et quelques familles. Pensant que son époux avait pu sortir par une porte de côté alors qu’elle faisait le tour des tables à l’intérieur, elle ressortit et courut à la voiture. Martin regardait sagement le dessin animé, Léa semblait dormir à poings fermés. Elle se retourna, cherchant la carrure large et la chevelure brune bouclée de son conjoint, allant jusqu’à monter sur un banc de béton pour mieux explorer l’espace du parking. Pas de James au milieu de ceux qui promenaient leurs chiens ou pique-niquaient à l’ombre des pins. Elle se plia brutalement en deux. Au mal de tête s’ajouta une douleur abdominale violente. Elle courut à nouveau dans le hall. Le froid dû à la climatisation ambiante acheva de lui donner la sensation d’avoir la tête prise dans un étau. Elle se dirigea vers les toilettes pour hommes en essayant de se murmurer des paroles rassurantes. «Tu es bête ma pauvre fille, il a dû vouloir faire une dernière halte avant de repartir. Il devait y avoir la queue, comme d’habitude.» Elle se glissa au milieu d'hommes en s’excusant, fit le tour de l'espace verdâtre avant de constater que son mari n’y était pas. Une envie de vomir soudaine la submergea. Migraine, chaleur et peur panique faisaient leur œuvre. Elle se précipita au-dessus du premier lavabo en refrénant son envie de restituer l’ignoble salade avalée précédemment, s’imposa de respirer calmement afin de recouvrer un peu de lucidité. Le robinet d’eau tiède s’étant déclenché grâce au capteur ayant décelé sa présence, elle passa la main dessous avant de s’asperger le visage et le cou. Ouvrant les yeux, le miroir couvrant le mur lui renvoya l'image d'une femme aux yeux affolés et cernés. Derrière elle, des hommes la regardaient comme si elle était folle, certains ne se gênant pas pour lever les yeux au ciel ou croiser les bras sur leurs bedaines afin de manifester ouvertement leur désapprobation. L’eau lui avait fait du bien. Elle pensa immédiatement aux enfants. Elle ne pouvait pas les laisser dans la voiture plus longtemps avec cette chaleur. Elle se précipita à l’extérieur, gardant espoir de trouver James l’attendant, goguenard, les poings sur les hanches devant le véhicule, un sourire aux lèvres et une explication ahurissante de plus à lui fournir. Mais elle déchanta instantanément en débouchant sur le parking. La voiture était là. Elle apercevait les boucles châtain des enfants à travers les vitres mais pas celles de son mari. Elle s’obligea à respirer un grand coup avant d'ouvrir sa portière afin de ne pas montrer à Martin et Léa la panique qui s’était emparée d’elle.
-Martin, je ne trouve pas papa. Tu vas arrêter le film, vous finirez de le regarder plus tard. Je vais prendre Léa dans mes bras et nous allons partir le chercher ensemble.
Le garçonnet jeta un coup d’œil interrogateur à sa mère avant de murmurer un «OK» et de déboucler sa ceinture. Sophie fit le tour du véhicule, délivra sa fille du harnais la maintenant au siège-auto avant de la prendre dans ses bras, lui chuchotant des paroles apaisantes, destinées à la réconforter aussi.
-Ne t’inquiète pas ma chérie. Nous allons boire quelque chose de frais à l’intérieur, le temps que papa veuille bien sortir de sa cachette.
Léa susurra:
-Il s’est caché papa?
-Oui, papa est un farceur. Tu le sais bien, ma chérie.
Sophie posa sa fille doucement sur le sol, l’embrassant au passage, priant muettement que ce blagueur de père réapparaisse rapidement. Prenant ses enfants par la main, elle les entraîna à sa suite et franchit pour la troisième fois le seuil du hall commercial. Jetant un bref coup d’œil, elle constata que l’espace s’était vidé depuis son précédent passage, les touristes étrangers ayant certainement repris leur route. Seules deux familles sirotaient des boissons pendant que quelques personnes cherchaient des pièces à glisser dans les machines et que d’autres attendaient de payer friandises, chips et sandwichs. Elle se rangea dans la file des clients tout en fouillant du regard chaque recoin visible de l’espace, se disant qu’elle vivait un cauchemar, que cette fois-ci, James allait l’entendre, que ce n’était pas drôle, qu’il aurait intérêt à avoir une sacrément bonne explication pour justifier la trouille que sa disparition lui causait. Pensant à lui, elle se mordit les lèvres pour essayer de ne pas fondre en larmes, tentée de se rouler en boule sur le sol poisseux en se mettant à hurler tant la situation lui semblait improbable, tant le mal de tête était devenu insoutenable, tant elle était exténuée après ce réveil nocturne, ces heures de trajet et cette touffeur ambiante. L’inquiétude se muait progressivement en une peur sourde, laquelle lui déchirait les entrailles, provoquant simultanément des fourmillements épars dans ses jambes ainsi qu’une pénible sudation qui lui dégoulinait le long de l’échine. La voix de la caissière la fit sursauter:
-Madame?
-Euh, oui, excusez-moi, je suis ennuyée mais je ne sais pas à qui m’adresser, bafouilla Sophie. Nous avons déjeuné avec mon mari et les enfants à la cafétéria il y a maintenant plus d’une heure, puis mon mari a décidé de venir chercher un café ici et depuis, il a comme...disparu. Je l’ai cherché partout, ici et dehors, mais il n’est nulle part. Je commence à vraiment m’inquiéter et je ne sais pas quoi faire.
-Vous avez appelé sur son portable? demanda l’hôtesse qui étouffa simultanément un bâillement.
-Bien sûr que j’ai appelé son portable mais il semble qu'il n'y ait pas de réseau ici, répondit vivement Sophie d’une voix devenue plus aiguë sous l’effet de l’angoisse.
-Ouais, un jour ça passe, un jour non. Attendez là, répondit la femme en lui désignant le coin de la caisse, je vais finir d’encaisser les gens derrière vous puis j'appelerai mon responsable. D’ici là, votre mari aura sans doute réa-ppa-ru, conclut-elle un sourire en coin, détachant chaque syllabe comme si elle n’y croyait pas.
Sophie dut refréner son envie de crier au visage de la bonne femme, une fausse rousse hommasse ficelée dans une veste de travail en nylon orange, qui, à l’évidence, n’était pas pressée de l’aider. Léa, chafouine d’avoir été réveillée, se tortillait aux pieds de sa mère en gémissant, pendant que Martin, après avoir fait le tour de l’espace à son tour, affichait une mine soucieuse et un silence inhabituel, témoignant de sa compréhension de la situation. Les derniers clients ayant réglé leurs achats, la caissière regarda Sophie d’un air las avant de la questionner d’une voix monocorde.
-Bon alors, il s’appelle comment votre mari? Il ressemble à quoi? Il est venu se chercher un kawa à quelle heure? Mieux que je vous demande avant d’appeler le boss. L’est pas aimable aimable si vous voyez ce que j’veux dire.
Alors que Sophie s’apprêtait à répondre, un hurlement résonna dans le hall suivi d’un bruit de chute. D’autres cris fusèrent quasi instantanément. Sophie et les enfants se retournèrent. Un homme couvert de sang gisait inanimé sur le sol. Une femme hurlait à ses côtés.