L'amour ?

leeman

La fluctuation des relations influence amplement le rapport que nous entretenons avec les autres. C'est que nous aimons, haïssons autrui, ou éprouvons pure indifférence à son égard. Cet amour ou cette haine manifestent une certaine tendance affective : nous voulons, pour nous, ce que nous aimons, et rejetons absolument ce que nous haïssons. Autrement dit, nous voulons garder l'objet de notre amour, et écarter l'objet de notre haine. Garder, c'est faire sien cet objet-là : se l'accaparer, et l'aimer d'autant plus qu'il est "à nous". Sans pour autant réduire autrui à un objet, il faut concevoir ceci comme preuve inévitable de notre possessivité. Mais c'est ici que se concrétise ce paradoxe : qu'autrui ne sera jamais un objet, parce qu'il est un corps ainsi qu'un esprit, et que nous le considérons presque comme tel. Vouloir autrui, c'est le vouloir pour soi, le posséder autant que possible, sans qu'un autre individu puisse y avoir accès. N'est-ce pas ainsi que fonctionne l'amour ? S'accaparer autrui, c'est vouloir faire corps avec lui. L'acte charnel est une manière de symboliser cette possession dépréciative. Elle apparaît dépréciative sous cet angle, mais je ne conçois pas la relation charnelle comme telle. Elle est, à mes yeux, ce qu'il y a de plus fort pour montrer la puissance des sentiments à l'être aimé.
Toutefois, notre rapport à l'autre ne se limite pas à l'acte charnel, et il est vrai que, parfois, le désir de possession se fait plus grand et plus douloureux pour celui ou celle qui se fait "posséder" à la manière d'un objet. Pourquoi vouloir posséder ? C'est une bien étrange question. L'amour semble offrir un certain statut de "privilégié". Je t'aime, alors je suis, théoriquement, l'homme qui est censé être le plus proche de toi, le seul que tu es censé/e chérir en retour. Voilà ce que nous attendons communément de la dualité du "je t'aime". Le couple engendre une attente mutuelle : "je te veux pour moi". Garder autrui, comme un objet pour certains, comme un trésor pour d'autres. Mais un trésor, peu importe sa valeur, reste un objet ; mais cela ne peut résumer de la consistance de chacun. C'est un être fait de peau, d'émotions, de forces et de singularité. Précisément, ce sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons garder pour nous la personne qui nous émerveille : elle a tout ce que nous aimons, et qui nous manque parfois. Aimer est un autre mot plus simple pour dire "garder pour soi ce qui fait naître nos désirs et attirances". Aimer, c'est garder, fictivement ou physiquement, ce qui nous est cher au plus près possible de nous. Vouloir ainsi l'autre, c'est vouloir l'enlacer pour tout ce qu'il nous apporte ; l'autre ainsi façonne notre vouloir, et notre vie prend un nouveau sens dès lors que nos sentiments sont suivis d'une réciprocité. Finalement, garder n'est qu'une étape du corps ; il y a l'étape moins concrète et toute aussi puissante : le regard. Nous gardons l'être aimé deux fois, physiquement, et mentalement. Cet enlacement nous fait du bien : nos bras enlacent, et notre regard se saisit pour toujours de l'image de l'être aimé. C'est en cela que l'amour, parfois, est d'un grand bénéfice pour soi. Un être qui aime, c'est un être qui garde et regarde pour soi, qui prolonge sa possession par la contemplation : le bonheur est double.

  • C'est tellement juste, nous en sommes tous là, mais quelle souffrance pour beaucoup d'entre nous....

    · Il y a presque 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • vous évoquez là une modalité bien archaïque des relations humaines, réduites à sa composante sphinctérienne : garder ce qui nous est cher( autre= mon précieux) ou rejeter. vous démontrez assez bien qu'il n'y a pas d'autre dans ce type de relation: soit l'autre est un autre soi meme, spéculaire, soit c'est une version haïe de soi

    · Il y a presque 6 ans ·
    Humain

    Pas Humain

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