L'amour aux croix
laura-lanthrax
L'amour aux croix
Note d'Intention
C'est Juin, on fête le Débarquement, on est aux fenêtres pour le défilé, on agite ses petits drapeaux, on crie des mots que l'on a plus l'habitude de prononcer, on croit à ce que l'on dit, on applaudit bien fort, on verse des larmes car c'est plus fort que soi, on est dans la joie, on entend la clameur de la mer, on est tout prêt des héros, pourtant, on est là aussi à attendre, au dernier étage, dans l'appartement, le souffle cours, on regarde la retransmission, on est là avec eux, Théda et Massimiliano, dit Mili, les affabulateurs, les menteurs, les torchons, les lépreux, les maudits à l'abandon. On ne sait quoi penser, ils disent n'importe quoi, on est là pour les interroger, ils ont fait le pire avec la fille, ils s'accrochent encore un peu, ils ont pourtant encore la parole, ils vont la prendre, ils hésitent, ils doivent tout donner, ils ne cherchent pas le pardon, ils crient la victoire, peut être que ce qu'ils ont à dire sera pire que l'accusation, ils ont encore cinq jours pour tout inventer, libres, avant qu'on les emmène devant leurs juges.
La fille, Maridée, est assise dans un fauteuil à bascule qu'elle ne quittera pas, c'est la fille, leur bébé chauve, dans ses yeux un arbre mort dans un ciel bleu, ou bien un fantôme, ou j'aime à penser qu'il s'agit aussi de leur imagination, la parole ininterrompue, qui dégueule n'importe quoi n'importe comment, tout cela fait une histoire pourtant, dramatique et imprévue, la fille raconte le pourquoi et le comment, le pire comme elle peut, les autres racontent une autre histoire pour faire diversion, après un moment ils alternent peut être chacun leur tour leur place dans le fauteuil, ils s'embrassent, ils n'ont pas peur, ils se tournent vers les caméras qui les observent et les haut-parleurs qui les écoutent et déversent parfois des borborygmes, ils font du bruit, c'est la dernière représentation.
A la fin, on vient les chercher, ils se taisent, ils sourient, ils bayent, ils ne s'excusent pas.
Première Journée
Scène 1
Théda : Et puis Laura Lanthrax finit par voir la mer, un bébé chauve, un arbre mort dans un ciel bleu.
Mili : On a emmené Laura Lanthrax en voiture. D'abord les arbres défilent sans la gêner. Mais bientôt, après que Laura ait vu l'arbre, le tronc de, elle dit qu'elle les scie et qu'ils tombent, les uns après les autres.
Théda : Je ne compte pas tous ceux qui tombent. Parfois je n'aime pas quand j'en oublie un, je me retourne et je vois bien qu'ils sont encore debout.
Mili : Si je lui dis : on arrive, elle ne crie pas : On arrive, On arrive ! On aurait pu l'imaginer.
Théda : On a emmené Laura Lanthrax dans la ville aux mystères !
Mili : On a emmené Laura Lanthrax dans un cimetière !
Théda : Américains qu'elle veut.
Mili : Aux marbrées blanches pierres.
Théda : Oh mais Laura pourquoi t'arrêtes-tu là, à cette pierre-là, à cet homme-là, la la la je suis une fille.
Mili : Oh mais je le connais l'homme d'ici, je le reconnais, viens là ! je le reconnais, viens ici, je le reconnais celui qui n'a pas voulu de moi !
Théda : Je regardais l'homme beaucoup ! Longtemps ! Encore un peu ! La femme arrive et il me désigne du doigt tendu, et à me regarder et à me montrer les autres aussi !
Mili : Je fuie qu'il le dise aux autres exprès. Je suis seule contre tous les autour encerclés avec l'envie de massacrer les figures.
Théda : Je parle d'un regard qui se détourne vite quand il m'a vu. Massacrer les figures et je parle d'un regard qui se détourne vite quand il m'a vu le voir me regarder. Je me fiche des gens qui savent car c'est la guerre qui bientôt les tue et les fige en champs de croix devant mes yeux rieurs. Applaudissez à l'événement qui ne se sait plus !
Mili : Enfin toutes ces croix te désignent Laura Lanthrax.
Théda : Toutes ces croix sont pour toi Laura Lanthrax.
Mili : Pas pour la guerre, n'y croit pas !
Théda : Et blanches pour dire tous les puceaux sans trace d'avec toi.
Mili : Qu'ils le méritent d'être là rassemblés.
Théda : Moi Laura je les contemple de haut. Ne me demandez pas pardon les morts. Si l'on m'amène vous voir c'est pour dire tous les puceaux sans trace d'avec moi, pour vous cracher des saletés à la gueule. Ma profession n'est pas laver les morts.
Mili : Je me rappelle moi Laura, juste après le cimetière, les femmes qui viennent et font l'amour aux croix, la nuit, je suis cachée et je regarde faire l'amour aux croix.
Théda : Mais elles peuvent bien tout essayer, elles n'auront rien de leurs soldats morts. Que du mal au ventre bien fait !
Mili : Les femmes se battent pour un général, à la première d'être sur la croix !
Théda : Elles se font petites et se crucifient.
Mili : Non non non elles s'empalent sur la croix puis les autres les enterrent à l'aube sous la croix souillée.
Théda : C'est pourquoi cette pelouse synthétique qui s'ôte si facilement !
Mili : Il faut laver la croix, ensuite trouver d'autres femmes car c'est à leur tour à celles qui ont lavées les morts de s'empaler la nuit prochaine.
Théda : C'est mon tour à moi Laura ! Le vertige, la jouissance mal au ventre !
Mili : Un bébé chauve naît de cet amour dans le monde, un bébé chauve beau pour tout le monde et aux yeux comme le ciel bleu, le bébé joufflu.
Théda : Le bébé chauve devient vite un arbre mort dans un ciel bleu.
Mili : Dans ces yeux, un arbre mort dans un ciel bleu. Je réfléchis et je pleure à cette image belle de la mort.
Théda : Aux bras tendus de l'arbre mort, figé figé dans la mort !
Mili : Figé figé au soleil !
Théda : Je le regarde comme il ne faut pas regarder celui qui n'a jamais regardé ce que nous lui décrivons.
Mili : Parlez ! Parlez !
Théda : Il ne faudra pas nous aimez pour ce que nous avons perpétré dans ces champs maudits.
Mili : Encore ! Encore !
Théda : Laissez-moi être Laura Lanthrax ! Laissez-moi ne pas y être à tout prix !
Mili : Mais je n'ai pas peur du tout !
Théda : Avec les amis, ces bons à rien comme elle.
Mili : C'est bon à tout comme elle.
Théda : C'est bon à tout faire l'amour !
Mili : J'insiste !
Théda : L'amour quand c'est impossible…
Mili : C'est impossible
Théda : Incapacité ! Dégradation ! Justification !
Mili : Justifiez !
Scène 2
J'ai eu la chance de naître dans un pré gras et vert. Je ne me rappelle plus les circonstances exactes. Je n'en ai pas les moyens. Mais c'est pourquoi j'aime l'herbe grasse. Maridée est mon nom. Ainsi m'ont-ils baptisée. Il doit bien y avoir une date mais je ne me rappelle plus non plus la date. Il y a longtemps. Il faudrait leur demander. Je suis dans un fauteuil aujourd'hui, mon corps s'adapte à cette position, aime se balancer et quand la fenêtre est ouverte je respire encore l'herbe coupée par les tondeuses, l'hiver ou l ‘été, je ne sais plus, oh qu'on m'apporte mon herbe, j'en mangerai tout l'hiver, tout l'été, peu m'importe, mais cela m'est juste refusé. Je suis résignée. Maridée la résignée. C'est pourtant mon seul souvenir, je veux dire le seul moyen pour moi de me souvenir et de raconter. Aussi est-ce à l'été, à l'hiver, je ne sais plus, où je mange l'herbe coupée par les tondeuses, que je me rappelle. Comment je me rappelle? je ne le sais pas, mais je me rappelle, et cela est dû à l'ingestion de l'herbe par moi. Aujourd'hui je suis sortie un peu dehors, de bonne heure ce matin, quand l'herbe est encore fraîche, rosée, perlée, je n'ai pas su attendre, j'ai mangé, je me suis coupée la langue avec, j'ai saigné dans ma bouche un long moment mais j'ai eu ce que je voulais, le goût de l'herbe dans ma bouche et mêlé à celui du sang, comme un mélange inédit de rouge et de vert, et c'était bon, je referai la même chose si l'occasion se représente, c'est-à-dire demain matin, chaque matin, quand ils dorment encore et que je suis là encore à me balancer sur ma chaise avant le lever du jour, somnolente mais aussi prête à bondir, à me jeter dans l'herbe et à mâcher, oh mâche, mâche, Maridée, fais ton travail Maridée, n'ai pas peur, ils ne regardent pas, ils dorment encore, ils sont encore douillettement dans les couvertures, la rosée ils détestent, alors ne te gène pas, Maridée, va manger.
Je ne sais pas encore comment j'ai réussi à sortir du fauteuil aujourd'hui et comment j'ai pu marcher jusqu'à l'herbe, j'ai dû faire des progrès, manger mon herbe est le seul moyen pour moi de raconter, c'est pourquoi je raconte maintenant, pour combien de temps je raconte je ne le sais pas non plus, jusqu'à la fin de ma digestion probablement c'est-à-dire jusqu'à élimination du dernier brin d'herbe par les voies naturelles, je mange pour raconter, même si cela doit saigner à l'intérieur de moi, oh Maridée, raconte encore, ne t'arrête pas, peut-être qu'alors une fois terminée ma digestion je retourne au fauteuil, ils sont réveillés, alors ils me ramènent au fauteuil, car comment expliquer que je retrouve mon fauteuil si facilement, j'ai dû faire des progrès cependant, je retourne au fauteuil pour un long moment, je fais la sieste, ils espèrent peut-être ne plus entendre parler de moi, mais je recommence, comment il m'arrive de recommencer je ne le sais pas, mais cela arrive régulièrement, aujourd'hui en est la preuve, aujourd'hui je raconte, donc je recommence, ma petite mémoire me dit que je recommence, alors je raconte, je vais encore raconter.
Que vais-je bien pouvoir raconter ? J'étais un animal. Je marchais sur quatre pattes, je mâchais de l'herbe, je ne réfléchissait pas, j'avais trop mal aux mâchoires, ma douleur m'empêchait de réfléchir et puis la douleur un jour a disparu, j'ai pu réfléchir, j'attendais ce jour avec impatience, ils m'avaient prévenu, ceux qui étaient passés par là, par cette douleur inimaginable que le temps - oh Maridée va chercher ton herbe – j'étais un petit animal et j'ai continuer à faire ce pourquoi j'étais faite, mâcher, mâcher mon herbe toute la journée, je ne me rappelle plus la naissance ou si je préfère mon arrivée en ce lieu gras et vert, mais les autres y étaient déjà, grand déjà, vieux déjà, mâchant déjà et je les ai imité bien évidemment, je n'ai pas résisté, j'ai mâché moi aussi et la douleur n'a pas tardé à apparaître, mais c'était le seul moyen pour moi de raconter, alors j'ai continué à mâcher, pour raconter, je voudrais pouvoir raconter jour et nuit, mais cela m'est refusé, aujourd'hui ils me donnent parfois un substitut, une gomme à mâcher, pour patienter, je mâche sans manger, ils me disent que c'est pour mon bien, car ainsi je saurais ne pas engraisser trop, cela facilitera mes déplacements, je saurais retrouver mon herbe sans difficulté, quand les douleurs apparaissent, je crache la gomme sans goût sur la moquette. Quand j'ouvre les yeux, assise sur mon fauteuil, je suis bien obligé de constater, que les gommes s'accumulent autour de moi, comme des petits points blancs sur la moquette, ils ne les enlèvent pas, et j'ai compris pourquoi en me réveillant, ils espèrent ainsi que j'éviterai de me lever, car j'ai pu observé que je restais collé aux gommes si je marchais dessus, cela gène ma progression jusqu'à l'herbe, ce n'est qu'un des subterfuges pour m'empêcher l'accès jusqu'à l'herbe. Il y en a d'autres.
Je recommence, j'ai du me tromper, ce n'est pas ça du tout, je ne sais plus où j'en suis, que vais-je bien pouvoir raconter ?, j'habite cette charmante maison, on m'a dit ici passe le méridien de Greenwich, un jour mon fauteuil est à gauche, un jour il est à droite, les jours de tempête je suis sur le méridien et j'attends, que la tempête se calme, que le vent se calme, j'aspire à plein poumon, je respire fort, j'avoue ne plus bien comprendre la signification de ces changements de positions, ne pas céder cependant, poursuivre mon chemin, à gauche puis à droite, recommencer encore, tenir, avancer, sur le vifs, à petits pas, mais je sais aussi m'accrocher à mon fauteuil à bascule s'il le faut, car le vent pourrait bien m'emporter, mais je ne veux pas partir d'ici, l'herbe y est trop délicieuse, parfois je vois quelque chose qui s'approche, ce n'est pas eux, je demande qui es-tu, que viens-tu faire là, je connais ton visage, qui es-tu fille du vent, ne m'approche pas, reste loin, je te voie, ne parle pas, éloigne toi, laisse moi maintenant, j'ai – oh Maridée ne pleure pas – elle est partie, tu n ‘avais pas à lui dire toutes ces méchancetés, après tout, c'est de ta faute, tout est de ta faute, la laisser partir, tu exagères, tu n'es pas sérieuse, c'est ta fille peut-être, c'est ton enfant, ta chair, reviens maintenant, reviens enfant sage, fais moi une caresse, embrasse moi la joue, dis moi que tu es belle, comme je l'étais autrefois, ou bien est-ce moi qui recommence, oui c'est moi debout devant moi qui recommence, je te voie, tu recommences Maridée, je ne comprends pas, je te vois, tu t'éloignes, je m'éloigne, je m'éteins tout à coup, les forces me manquent, je retourne dans mon fauteuil, et le mouvement de bascule me raconte une histoire pour m'endormir, je m'endors, je me tais, je m'éloigne, j'arrête…..
Deuxième Journée
Scène 1
Mili : Et c'est fou cette facilité à me rappeler tous nos dialogues pour elle seule !
Théda : Et c'est fou cette capacité à créer, à penser pour Laura seule !
Mili : J'ai pensé Laura Lanthrax celle qui n'existe pas.
Théda : J'ai pensé avec toi Laura Lanthrax celle qui meure maintenant, là à notre mariage, comme le petit cadeau empoisonné de notre attente.
Mili : Laura marche dans la nuit seule. Laura vit à la rue et voyage sans trèves.
Théda : Une fois pour toute, mourir Laura Lanthrax il le faut.
Mili : Alors quoi, qu'allez vous faire désormais, oui, vous, John Flinger ?
Théda : Quittons-nous désormais. A l'intersection des chemins, John Flinger et Siméon se séparent. Mais leur route à chacun se longent encore l'une l'autre, séparées par une petite rangée d'arbres. Siméon saute de pierre en pierre, jusqu'au moment, où piéger, il doit revenir sur ses pas.
Mili : Quand reviendrez-vous me voir ?
Théda : Je reviendrais les voir.
Mili : Faut-il vous croire ? Vous ne répondez jamais que par oui ou par non. Il n'y a jamais de conditions.
Théda : Adieu, je reviendrais les voir.
Mili : Vous dites ce que vous voulez. Cela ne ressemble à rien et n'a pas de sens. Vous m'êtes désagréable.
Théda : Adieu, je ne vous vois plus.
Mili : Adieu comme vous voulez. John Flinger arrive dans la plaine. Et des champs à perte de vue. Il continue à marcher, l'horizon l'attire à lui et le vent le pousse loin devant. Une petite fille est là qui cueille des coquelicots, elle le voie, le regarde un instant, le temps qu'il la voit et c'est fini.
Théda : Il s'approche pourtant et il lui dit : Je ne peux pas m'arrêter.
Mili : Faut-il vous suivre où vous allez ?
Théda : Non je vais seul, c'est le vent qui me pousse et qui m'écarte de votre chemin. Pourtant je vous rencontre, et je vous souris, mais je vous dis adieu, il faut crier pour nous entendre, ne courrez plus, retournez vous et oubliez.
Mili : Vous êtes mon fiancé désormais. C'est vous que je décrierais aux autres pour qu'ils s'intéressent à moi. Ils ne seront plus jamais les premiers les autres hommes, sachez le, sachez le longtemps, je ne vous oublierais pas car vous êtes le vent, vous m'avez réveillé du sommeil des coquelicots qu'on m'envoie cueillir tous les jours et je le sais sans raison aucune.
Théda : John Flinger court encore sans entendre les derniers mots de la petite fille. Il a rendez-vous avec le nouveau prochain village. Avant la nuit il faut qu'il arrive car il sait sinon qu'il dormira à la rue. Rien en vue, il s'arrête pourtant, très loin déjà des champs à coquelicots. Il est à nouveau dans la forêt. Il suivait un petit chemin, couvert de mûriers sauvages, que l'on devine, mais maintenant, il arrive dans un endroit déboisé, travaillé par des mains d'hommes. C'est là qu'il s'arrête un peu, s'allongeant sur la mousse et profitant un instant de l'ombre rafraîchissante, après cette course à la recherche du nouveau prochain village.
Mili : John Flinger est père d'un enfant qu'il n'aime guère. Il n'aime guère les enfants en général. John Flinger est devenu père par inadvertance, à cause de la petite fille aux coquelicots. Il y a pensé longtemps, d'abord à elle, puis d'y retourner là-bas, de retourner la chercher pour lui caresser son corps de fleur rouge, piqué à l'air vif des champs de coquelicots.
Théda : Regarde, LA voilà qui regarde couchée les nuages du ciel et le bleu. Elle est silencieuse, cachée par les tiges. John Flinger cherche longtemps, n'appelle pas. Il se tait, ne fait pas de bruit. Il marche longtemps. La fille se lève, va s'en aller, le bouquet à la main. Elle voit l'homme enfin pendant qu'il cherche toujours. C'est la rencontre tant attendue !
Mili : John Flinger a le désir de caresser un corps. Il fallait faire vite, faire vite ce geste sur elle, à peine y réflêchir. C'est le geste que vous auriez fait si vous l'aviez rencontrée.
Théda : John Flinger habite à Bugeels. John Flinger est mécanicien mais nous n'en parlerons pas. John Flinger est un fantôme lui aussi. John Flinger a un message à remettre. Il s'en va demain. Il ne prépare rien. Il s'en va comme il est aujourd'hui. John Flinger si on lui met un chapeau sur la tête ne peut plus bouger. Il a dit aux siens de toute façon je n'ai plus l'âge d'être avec vous. Il peut être violent envers le plus faible car il ne supporte pas en lui-même le regard des autres posé sur lui. A quel prix, John Flinger….
Scène 2
Tiens, encore à me balancer, j'ai dû m'assoupir puis m'endormir, cette pièce est trop petite pour moi, je suffoque presque, j'aime l'espace vert du jardin, j'aime sentir l'herbe coupée après le passage de la tondeuse, ici ils tondent deux fois par semaine, j'en conclue que l'herbe pousse très vite, ou bien soit il pleut beaucoup, soit ils arrosent beaucoup, soit l'engrais est spécialement efficace, soient ils veulent me surveiller sans en avoir l'air, je ne sais pas, je ne sais pas qui tond, ma vue a bien baissé, je distingue très mal les objets à ma portée et les êtres qui passent par ici, mais mon ouie est bonne encore, je crois savoir pourquoi, j'entends leurs voix me raconter leur confidence ou me dicter mon programme de la journée, il y a cette fille qui passe me servir mes repas, repas dégoûtants au demeurant, je lui réclame mon herbe, donne moi l'herbe, s'il te plait, que font-ils avec l'herbe après l'avoir coupé, qu'ils m'en donnent, ce n'est rien pour eux, je t'en supplie, fais un effort pour moi, je ne mange pas n'importe quoi, je suis herbivore tu le sais, voilà le secret, je comprends tout, vous voulez m'affamez, pour que je cède a vos suppliques, ma pauvre Maridée, tu ne t'en sortiras pas sans ton herbe, tes forces diminuent chaque jour, ta vue s'échappent, ton ouie donne quelques signes de faiblesse, ta parole reste brillante, mais voilà, peut-être n'avons nous pas tous le même langage, je suis en terre étrangère, voilà tout, et cette fille, Clarisse, non Délice, qui m'adresse parfois la parole, je suis bien obligée de dire que je ne comprends pas tout, je me laisse guidée, je me lève du fauteuil, elle prend mon bras et me guide à petits pas, à la porte-fenêtre, quelques mots et nous franchissons l'allée et je me laisse tombée dans l'herbe et j'en respire chaque brin, je ne bouge plus, j'attend qu'elle vienne me rechercher, l'allée, la porte-fenêtre, le fauteuil, voilà toute ma journée si on veut, mon quotidien, ma routine, mon jour ma nuit, bien que je n'ai plus jamais aucune notion du jour et de la nuit, depuis combien de temps suis-je ici, depuis combien de temps ?
Clarisse, non Délice, Clarisse je le sais maintenant, c'est ma poupée, le seul réconfort ici, je dors avec, je respire avec, je rêve avec, Clarisse est belle avec sa petite robe à fleurs, et son air toujours ravissant, je le sais car elle dort tout contre moi, je lui parle, je lui raconte des histoires, car je le sais, elle aussi a beaucoup souffert, elle aussi a besoin de réconfort, oui voilà Délice, voilà cette fille qui vient me voir, la voilà qui arrive, elle ouvre la porte et me prend par le bras, je me lève, comme un rituel, nous nous approchons de la porte fenêtre, je dis Clarisse où est-elle ?, je ne la vois plus, où est-elle ?, je la veux avec moi, non pas aujourd'hui Maridée, aujourd'hui j'ai à te parler, aujourd'hui nous avons eu des nouvelles de ton papa, il va venir te délivrer, il va venir te chercher, il a réuni l'argent nécessaire pour te libérer, tu n'auras plus à rester ici, c'est un grand jour Maridée, mais Clarisse ne doit rien savoir, Clarisse doit rester ici, tu comprends, elle ne pourra pas partir avec toi, elle doit rester ici, c'est les dernières paroles que j'entends avant de tomber dans mon herbe, et les larmes se mettent à couler tout contre la terre, je sanglote un petit ruisseau salé de toute mon âme, quelle méchanceté, Clarisse, ma chérie, je ne t'abandonnerai jamais, Clarisse, je ne partirais pas sans toi, quel papa ?, qu'est-ce qu'elle invente encore, je n'ai jamais eu de papa, je reste là sans me retourner, mes cheveux éparpillés tout autour de moi, je reste face contre terre, dans mon petit ruisseau, je n'ai pas la force de me retourner, je ne verrai pas aujourd'hui ce bleu immense au-dessus de ma tête, je ne comprend pas pourquoi je devrais abandonner ma Clarisse, est-ce papa qui l'exige ?, mais je n'ai jamais eu de papa, est-ce ces gardes qui arrivent sans prévenir ?, voilà je crois savoir pourquoi j'entends encore, un jour le sang qui coule de mon oreille, je cherche avec mes petites mains d'où vient ce saignement, je palpe, je cherche, je dois me rendre à l'évidence, mon oreille a disparu, j'entend Délice dire, ton oreille c'est pour papa, j'éclate d'un rire immense, et cette Délice aussi, avec moi, rit aux éclats, ton oreille c'est pour papa, mais que va-t il en faire ?, la manger, l'enterrer dans son jardin, la mettre dans son porte monnaie ?, et nous rions de plus belle, je continue à saigner, elle va chercher le coton, elle revient et me dit je ne trouve pas le coton, je n'en ai plus, elle s'empare de Clarisse, et met Clarisse tout contre l'orifice qui saigne, elle appuie de toute ces forces, je suis sur mon siège à bascule, je me laisse faire, si Clarisse est là, rien ne peut m'arriver, je vois cette Délice avec un air de panique, elle me dit ce n'est rien, ça va s'arrêter, tu n'as rien à craindre, je le sais déjà, je continue à me balancer sur mon siège, je me laisse faire, elle appuie encore très fort sur l'endroit de mon oreille, je n'ai pas mal, non je n'ai pas eu mal, alors d'un seul coup elle enlève Clarisse, tout est en ordre, mon oreille c'est pour papa, nous nous mettons à rire à nouveau, elle me caresse les cheveux, elle m'embrasse les joues, elle me dit tout va bien, c'est rien, tout va bien maintenant, tu n'as plus rien à craindre, elle recule, en me regardant elle recule, et je vois Clarisse qui s'éloigne aussi dans ses mains, je ne comprends pas tout de suite, que Clarisse s'éloigne de moi, qu'elle n'est plus contre moi, elle a un drôle de visage, elle est maquillée comme une drôle de fille, elle a pleuré peut être car le maquillage a coulé, elle utilise comme c'est drôle du maquillage rouge pour ses yeux, on dirait qu'elle a pleuré ou qu'elle pleure encore, je réalise enfin que cette fille, Délice, part avec elle, je reviens dit-elle, je reviens, je vais la laver, ne t'inquiète pas, je vois la porte se refermer, je hurle Clarisse.
Troisième Journée
Scène 1
Mili : John Flinger traverse la région aussi vite que possible car sa haine du premier venu peut le hanter jusqu'à son retour. De toute manière, il ne reviendra pas, c'est promis. Il n'a pas l'habitude de s'asseoir aux tables des cafés et de désigner du doigt tendu celle qu'il voit pour la première fois, plongée dans la turpitude de ses pensées, oui brutalement la poussa, alors chuta dans les ronces, rapidement s'y précipita, s'élançant l'y enlaça, sécheresse volontaire, il l'appelle par son prénom, alors roulent, roulent dans les ronces, et s'écorchent vite, pourtant il s'arrête, le café n'est pas bon au café du jardin des plantes, il préfère le regret d'une vinasse vinaigrée qu'il peut boire d'un coup sec, et régulièrement il redemande un verre de plus, jusqu'au soir, ici depuis la matinée, assis sur la même chaise, les coudes posés sur la même table, l'œil aux aguets, c'est là qu'il la voit, ma petite Laura, de retour de sa cueillette, perdue dans sa nuit, marchant en canard, car ivre elle aussi des verres répétées, et maquillée outrageusement pour croit-elle approcher la réalité de ce qu'elle est vraiment, une grande dame tu sais, là quelque part au fond de son cerveau, une petite voix, dure et métallique, hachant ses mots et répétant sans cesse : une grande dame, tu sais, en apparat du soir, une grande dame, c'est moi, valsant au bras du général, lui aussi demain sera sous sa croix, lui aussi demain sera mort, ivre dans sa mort, pour moi, au combat, allez embrasse moi encore, il en est encore temps, c'est là qu'il la voit, assis à sa table, marchant comme une grande dame, c'est ça, la regarde, le regarde, c'était ne rien faire vraiment, imagine une petite maison de brique rouge où nous serions ensemble, alors quel soulagement enfin, le jour tombe pour laisser place a l'obscurité. Elle s'approche, et le reconnaît l'homme qui un jour la reconnut lui aussi, la désignant du doigt tendu, c'est elle, vous m'entendez, c'est bien elle, cette petite pute hallucinée qui m'a pris par la main pour m'allonger avec elle dans les champs à coquelicots, le temps d'une valse général, le temps d'une valse, le vent juste au-dessus de nos crânes explosés, dispersant pour un moment nos cendres orgasmiques, fertilisant les champs à coquelicots, pour une guerre de cent ans, oh te voilà ma belle au bois dormant…
Théda : ASSEZ ! ASSEZ !
Mili : Non, je recommence il le faut, cette vaste plaine un jour deviendra un immense champs de bataille, on y plantera un jour des tournesols et peut être à nouveau des coquelicots, et ton histoire Laura se répètera, infiniment, pour dire tous les puceaux sans trace d'avec toi, ce champs de bataille finira par un cimetière aux croix blanches, et tu reviendras la nuit pour voir les femmes faire l'amour aux croix, sans possibilités pour toi même de réaliser ce que tes yeux auront vu, la peur mal au ventre, indéfiniment, la peur mal au ventre, cachée là dans les ronces, à même le sol, oui à l'affût de la première venue cherchant sa croix, sa jouissance mal au ventre, oh assez, assez avec ça, je recommence encore, encore…
Théda : Alors quoi, alors quoi, toujours les mêmes et pauvres gestes toujours et puis de même les mêmes, alors quoi, alors quoi, toujours les mêmes et pauvres gestes toujours à accomplir une mission. Alors oui réfléchissent et perfectionnent, oui exagèrent, gesticulent, séduisent, apprennent à faire de même….
Mili : Alors qui, alors qui, toujours les mêmes et vieilles putréfactions toujours et puis de même, les mêmes, alors qui , alors qui, toujours les mêmes et vieilles putréfactions toujours, qui nous regardent et nous encensent, nous contemplent et nous adulent encore, alors s'approchent oui se bousculent et s'égratignent, giflent et oui s'éloignent comme si de rien n'était, s'isolent et se retournent, oui surélèvent leurs extrémités, et puis s'en vont, on les appelle les irrésistibles pour ceux qui les détestent, encore pas si sûr !
Théda : Cela n'a plus aucune espèce d'importance, vite, Allez viens ! Vite ! Cours plus vite ! Rattrape-moi bientôt ! On va réussir ! Viens vite on va se bagarrer, se précipiter l'un contre l'autre, se fracasser contre les mûrs, se massacrer les figures, se faire les yeux rouges, allez viens, avant on va s'évanouir dans les ronces, fouler pieds nus les orties, se trancher la gorge au couteau, on va mordre dans nos chairs, boire nos sangs jusqu'à la lie, viens on va faire trembler la Terre, s'aplatir sous les camions des routes, s'éparpiller en morceaux multicolores, se couper dans les verres sous les trains des campagnes, on va s'allonger sous l'arbre le plus haut, attendre la foudre tomber, on va s'ensevelir sous les pierres, on va se priver d'air, on ne fléchira pas, on va s'aider toi et moi, viens vite, on va se débarrasser de nous, on va réussir ce prodige, on va croire à ce miracle, on va disparaître très vite, tout cela est possible, allez viens, tout en finesse, qu'on en finisse avec nous avant que cela nous arrive, je veux t'embrasser, finir comme elle tu t'en rappelles et non, oh je veux t'embrasser !
Scène 2
Je continue à me balancer, j'attends, j'aimerais que l'on m'accorde un peu d'attention, s'il vous plait, silence, je ne pense pas être désagréable, alors il faudrait quand même que l'on m'écoute, j'ai des choses à révéler, je ne veux plus me taire, je veux tout avouer, je veux dire la vérité, toute la vérité, par où commencer, voilà, Maridée, mon nom, je m'en souviens, j'aimerai commencer par le début, mais il y a urgence, je ne veux pas quitter cet endroit, aujourd'hui elle est venue, elle m'a dit, prépare tes affaires, quelles affaires ?, on s'en va, où est-ce que l'on va ?, dans une heure, prépare toi, j'ai peur, je suis bien ici, le bruit des tondeuses, l'herbe fraîche, la rosée du matin, j'ai tout ce qu'il faut pour vivre, je veux vivre ici, ne pas quitter cet endroit, j'ai le droit de le crier haut et fort, je ne veux pas finir comme cette Clarisse, cette sale petite Clarisse, qui a disparu, pour ne plus jamais réapparaître, ma seule amie, cette Délice ne compte pas, c'est une serveuse, elle exécute les ordres, je ne peux pas avoir confiance en elle, lui confier mes secrets, mais Clarisse, je lui confiais tout, je dormais avec elle, je sortais avec elle, partir et me laisser seule ici, quelle sale petite, je n'aurai plus jamais d'amie, je me le suis juré, plus jamais d'amie, et certainement pas cette Délice, elle a bien essayé, j'ai bien compris son manège, les jours de confidence, les petites attentions, rien à foutre, dans une heure je m'en vais, mais où, rejoindre Clarisse ?, j'y ai pensé, pourquoi pas, ce n'est peut être pas sa faute, après tout, un jour on déménage et on disparaît à tout jamais, pour ne plus laisser de trace, mais le monde est petit, et il suffit de sortir pour retrouver sa Clarisse, voilà c'est moi, mais non, elle ne m'a pas parlé de Clarisse, elle a dit, je répète, prépare toi, on s'en va, dans une heure, tiens toi prête !, mais je suis prête, on y va !, oui on y va, tout de suite, pourquoi attendre, je vais donc partir d'ici, j'aimais cet endroit, j'y suis née, pour tout dire, j'y ai vécu mes plus belles années, les souvenirs s'accumulent, j'aurai bien profité, je revois encore ma petite Clarisse m'accompagner jusqu'au dehors, s'allonger avec moi dans l'herbe et attendre avec moi bien sagement qu'on vienne nous chercher, je nous revois, les jours de maquillage, bleu, blanc, bouge, c'est un jour de maquillage qu'elle a disparu, j'ai pleuré et l'air bouffi, j'ai décidé que plus jamais je ne me maquillerai, cette Délice a bien insisté, tu es plus belle quand tu te maquilles, mais non, j'arrête, je sors sans mon maquillage, les gens ne me reconnaissent plus, je ne suis plus leur petite Maridée, je ne suis plus leur petite protégée, mais j'ai grandi après tout, je suis une femme maintenant, une femme qui a des responsabilités, je fais bien mon travail, je dirais même que je suis une grande travailleuse et que l'on m'apprécie, je suis irremplaçable d'un certain coté, j'aimerai pouvoir faire une pause, mais le travail s'accumule, on m'en demande toujours plus, comment refuser, j'aime que l'on m'aime, j'ai toujours le sourire, je ne rechigne pas, je suis une parfaite femme d'affaires, elle a dit, prépare tes affaires, on s'en va, elle est là, je n'ai pas fait attention, je n'ai pas le temps de t'écouter Délice, soit brève, j'ai du travail tu comprends, reviens une prochaine fois, ce n'est pas le moment, elle recommence à me dire, reste dans ton fauteuil, tu n'as aucun effort à faire, il est sur roulette, je te pousse, laisse toi faire, on va bien s'amuser, on va faire la course, toi dans le fauteuil, moi qui te pousse, on déménage, je t'emmène dans un endroit plus sûr, tu n'as plus à avoir peur, quel peur ?, tu n'as plus à te faire des idées, quelles idées ? on sort, je ne savais pas que l'on pouvait sortir si facilement, je demande où est Clarisse, tu m'emmènes chez Clarisse ?, non , je t'emmène sur le méridien de Greenwich, c'est toi même qui l'a décidé, je n'ai rien décidé, elle pousse mon fauteuil, je voudrais me maquiller, ais-je fini par dire, cela pour retarder le départ, et qui sait je n'aurai pas à partir, il est interdit de se maquiller maintenant, tu n'as pas besoin de maquillage, tu es belle comme ça, nous arrivons devant une camionnette, tout est prêt, elle me pousse toujours, je monte dans cette camionnette, elle claque la porte, je suis seule, et de nouveau j'attends, je dois dire que c'est exactement comme ça que cela s'est passé, j'ai repris mon mouvement de bascule, j'ai somnolé un peu, j'ai fermé les yeux, j'ai fredonné mon air favori, le temps à passer, j'ai repris mes esprits, j'ai à nouveau entendue les tondeuses au dehors, et j'ai respiré l'herbe fraîchement coupée, j'ai dit c'est parfait, c'est cela ce que je voulais, j'ai rouvert les yeux, j'étais dans ma chambre, et Clarisse aussi, assise sur mon lit, rajeunie, plus belle qu'autrefois, j'ai rejoins mon lit, j'ai dit bonjour à Clarisse, je l'ai approché tout prêt de moi, et je lui ai raconté une histoire, tu vois m'a dit Délicia, ici rien a changé, tu n'as plus rien à craindre ici, le méridien nous protège, chez mon amie Barbara, j'ai dit quelle Barbara ?, tu n'as rien à craindre, j'ai dit oui je te crois maintenant, j'ai dit on va pouvoir couper l'autre oreille maintenant, car j'entends moins, je suis prête, Clarisse est prête aussi, j'entendrai mieux après, je me suis levé, j'ai pris le couteau sur le plateau repas préparé par Délice , et j'ai coupé l'autre oreille.
Quatrième Journée
Scène 1
Théda : Sécheresse volontaire. Deuxième jour. Le café n'est pas bon au café du jardin des Plantes. John Flinger, régulièrement, demande un verre de plus, jusqu'au soir, là depuis la matinée, assis sur la même chaise, qu'il ne quitte plus, l'œil aux aguets, la revoilà, deuxième jour, c'est elle.
Mili : C'est elle, Laura, ma petite Laura, perdue dans sa nuit, marchant en canard, car ivre elle aussi des verres répétées, et maquillées outrageusement encore,
Théda : Une grande dame, en apparat du soir, une grande dame, c'est moi, valsant aux bras du général,
Mili : Lui aussi demain sera sous sa croix, lui aussi demain sera mort pour moi, allez embrasse moi encore ce soir, pendant qu'il en est encore temps, le général l'embrasse fougueusement, devant son état major, il veut croire à la victoire future, à la postérité et à la gloire, Laura ce soir, tu es l'espoir de celui qui valse dans tes bras, petit garçon trop grand pour toi
Théda : Je ne suis pas sûr qu'elle apprécie la tournure des événements, elle pense peut être à la prison de ses bras, qui l'entourent et l'enserrent, et ce général qui finalement ne pense qu'à lui, à ses victoires et à sa gloire, il lui faut bien une femme, ce soir, une Laura exemplaire, la plus belle de la garnison, elle s'échappe soudain, c'est le scandale tant attendu, l'atmosphère est trop lourde, le plafond va s'effondrer, un monde s'évanouit, et la revoilà, deuxième jour, au café du jardin des plantes, devant lui, devant sa table, muette mais suppliante, dans sa petite robe froissée, implorant son pardon, mais qu'a-t-elle à se faire pardonner ?,
Mili : Il recommande un verre mais ne l'a prit pas de s'asseoir, elle reste là devant la table, à attendre, une grande dame ébréchée, le regarde, la regarde, lui demande finalement de s'en aller, sans un bruit, elle ne bouge pas, elle attend jusqu'au soir, immobile, devant la table, alors quel soulagement quand le jour tombe pour laisser place à l'obscurité.
Théda : Il a posé sa tête sur ses avant-bras, il a gardé ses yeux grands ouverts, à l'intérieur de ses bras, il fait nuit là aussi, des images floues traversent l'espace, la musique fait son apparition, c'est parti pour la danse, il ne la voit pas pourtant, elle n'est pas arrivée, voilà tout, une autre fille danse pieds nus, au milieu de la salle, Maridée est son nom, il l'a déjà vu, avec Laura, aux auto-tamponneuses, dans la voiture, Laura à ses côtés, riant aux éclats, plus qu'il ne faut, et elle, fonçant sur les autres voitures, à la rencontre des inconnus indécents qui hurlent leur nom dans la foule, Laura et Maridée, elles n'ont pas peur, elles profitent du temps présents, à la recherche des garçons, qui ce soir seront réunis dans les champs à coquelicots, pour elles seules, pour eux seuls.
Mili : Ils sont là réunis à la regarder, dans un cercle, les soldats de la mort, le spectacle est lancinant, le général n'est pas encore arrivé, ils profitent de tous leurs yeux, elle soulève sa robe au fur et à mesure qu'elle tourne sur elle-même, elle bascule ses hanches, saccadée, et l'orchestre ne s'arrête pas, il faut un événement particulier pour que ce moment s'achève, c'est Laura, elle a franchi la porte, elle s'arrête et dévisage chacun d'entre eux, le silence s'est fait, elle n'hésite pas, elle rejoint Maridée, au centre du cercle, et Maridée lui parle dans un souffle, à ses oreilles, qu'elle possède fines et courtes
Théda : Nous allons danser toutes les deux, ma belle au bois dormant, je t'attendais, tu sais, nous leurs montrerons de quoi nous sommes capables du haut de nos cent ans, un instant, rien qu'un instant, car ce soir, j'ai cent ans d'amour à délivrer, ce soir c'est le grand soir de notre vie,
Mili : Oui, regardez bien les hommes, c'est le grand soir de notre vie, oui regardez bien les hommes, nous dansons comme deux petites fleurs jaunes et rouges, tournesol et coquelicot, unies ne faisant qu'une, et ne pensant qu'à vous, au premier soldat qui viendra rompre le charme de notre nuit hantée, Laura et Maridée, amies pour la vie, qui deviendras-tu Laura ce soir, qui embrasseras-tu au grand jour ?
Théda : Le général vient de faire son entrée, c'est le silence à nouveau, il n'hésite pas, lui non plus, il va droit rejoindre le cercle d'un pas décidé, c'est un homme qui décide, il s'empare de la plus belle des deux, c'est notre petite Laura, Maridée s'en souviendra un jour, elle lui fera payer à cette petite pute, elle n'a pas eu le courage de rester, de se battre pour s'imposer, dans ses bras, tout contre lui, sur la pointe des pieds, pour être plus prêt de sa bouche, pour l'embrasser à la fin du tourbillon, comme sa récompense.
Mili : Elle s'est même inclinée devant lui, tirant sa révérence, elle n'a pas eu un regard pour Laura, elle lui fera payer cher ce spectacle, déjà elle mijote son plan, un soir de grande lune, pour y voir clair, dans leurs champs respectifs, entourés des soldats, attendant leurs tours, morts demain, enterrés sous la croix, quand ça ne suffit pas, elles vont, bien obligé, faire l'amour aux croix, la nuit, la souffrance, le vertige mal aux ventres
Théda : Laura avait fermé les yeux, elle n'a rien vu, je ne l'excuse pas, elle n'est pas capable de faire la différence entre un général et celle qui danse pieds nus, elle se laisse faire, elle danse comme une grande dame, elle tourbillonne sans cesse, quel vertige, quelle jouissance mal au ventre aussi, que cela dure encore et encore, Laura comme la première fois, ressent le bonheur d'être sur Terre, elle est regardée et désignée du doigt tendu, par tous les autour encerclés, sur la piste, aux bras du général pourtant, rien ne peut arriver, elle veut remercier, mais quand elle ouvre ses yeux, Maridée a disparu, elle voit l'homme qui l'entoure de ses bras, et sur le point de l'embrasser, ce n'est pas l'endroit pour cela, elle repense aux auto-tamponneuses, à la rencontre tant attendue, aux champs à coquelicots, elle veut fuir maintenant, où est-elle ? , où est-elle ?
Mili : Elle ne réfléchit pas, elle se débat, elle veut partir, elle veut retrouver Maridée, son amie belle au bois dormant, quel affreuse méprise, on la retient pourtant, il n'est pas question de la lâcher, elle sera pour le général ce soir ou ne sera pas, elle a compris, elle arrête tout mouvement, on la conduit jusqu'aux appartements du général, elle a compris, elle ne pleure pas, elle n'a aucun sentiment, elle sait déjà le pourquoi de ce sacrifice, demain il sera mort au combat, elle l'a vu dans ses yeux au moment d'ouvrir les siens, sur la piste de danse, tout à l'heure, ce sera sa dernière nuit, il aura bientôt sa croix lui aussi, deuxième jour, peu importe, la nuit on viendra aussi, sur sa croix comme sur les autres, il ne sera pas oublié, elle s'en fait la promesse, il est général après tout, les femmes se battront pour lui, il ne sera pas oublié
Théda : John Flinger relève la tête, il est midi cinq novembre, elle a disparu, il a dû rêver de sa présence à sa table, il se lève, deuxième jour, il ne sent plus la fatigue, il semble plus léger, il a pourtant cru danser toute la nuit, aux bras de Laura ou Maridée, il ne sait plus très bien, elles ne font qu'une après tout, la jaune et la rouge, elles ne reviendront jamais, elles sont assises sur l'arbre mort, sur fond de ciel bleu, elles le regardent passer son chemin, c'est terminé, au suivant !
Scène 2
Ici il n'y a pas d'herbe. C'est sec et décharné. Nous sommes à l'intérieur des pierres. J'ai froid. Clarisse a pareillement froid. On se blottit toutes les deux contre le radiateur bien qu'il ne soit pas allumé. Et on attend. J'ai demandé qu'on nous apporte à manger, et cette Délice s'est exécutée, nous avons eu notre plateau, j'ai dit à Clarisse qu'elle avait un peu grossi depuis notre départ précipité, qu'elle mange trop, qu'il faut qu'elle fasse attention, je ne voudrais pas avoir d'ennui, je ne sais pas où tout cela va nous mener, j'aimerai pourtant pouvoir continuer à sortir sans difficulté, c'est raisonnable, enfin je crois, j'ai fait des progrès, je veux dire, je me suis raisonnée, je ne fais plus n'importe quoi, je réfléchis avant de m'enlacer au premier venu, j'aime regarder ma cible, m'en faire une idée et furtivement, me lancer dans l'escalade, si cela vaut le coup, j'ai la tête qui tourne comme dans un manège, je brave les difficultés, je suis plus forte depuis cet affreux périple dans la camionnette, j'embrasse à pleine bouche, je vais au devant des problèmes, je les affronte non plus à regret mais avec un détachement nouveau pour moi, je n'oublie pas que je suis une femme d'affaires, une femme qui décide et que l'on écoute, par exemple je commande à cette Délice et à ma petite Clarisse, et elles obéissent sans rechigner, elles savent le pouvoir qui est le mien, il me suffit de dire un mot, un seul, et leur vie peut en être réduite à zéro, en résumé, depuis quelques temps, je vois une avancée, un progrès, me concernant, j'ai eu le temps de réfléchir à mon avenir, Délice m'a confirmé l'existence de papa, il doit venir me chercher bientôt, ici, chez Barbara, alors tout redeviendra calme et paisible, comme autrefois, sur mon fauteuil à bascule, de l'herbe à volonté, du maquillage si je veux, Clarisse habillée comme je l'entend, j'ai hâte je dois l'avouer qu'il vienne me chercher, je n'en peux plus d'attendre et de ne rien faire, je crois que je ne pourrais pas me contrôler très longtemps, ma raison va éclater, ma parole se disloquer et je vais finir par mourir.
Je n'avais jusqu'ici jamais envisagé de mourir, je ne suis pas faite pour mourir, je ne savais pas qu'une telle chose existait, il a fallut que j'arrive ici pour me confronter à cet état des choses, la possibilité de disparaître, à tout jamais si je comprends bien, voilà ce qui c'est passé, exactement, Délice est arrivée, peu après ma décision vaine de me réchauffer au radiateur avec Clarisse, avec cette Barbara, jamais entendue parlée, quelque chose d'étrange pourtant chez elle, à première vue, m'inclinait à dire qu'une vague ressemblance existait entre elle et moi, j'ai compris rapidement en la scrutant de plus près, j'ai pu apercevoir qu'elle se déplace dans un fauteuil elle aussi, Délice la pousse et l'embrasse à pleine bouche, sans gène, devant ma pauvre Clarisse, à qui je cache ce spectacle de débauche, je crois cependant que je suis jalouse, absolument, je veux dire, je croyais jusque là que Délice avait pour mission de ne s'occuper que de moi, comme je m'occupe de Clarisse, tout le monde doit s'occuper de quelqu'un, voilà ce que j'ai appris, mais quand vous découvrez que ce n'est pas le cas, qu'un autre individu existe par derrière vous, qu'il est de plus, l'autre adoré, vous ne pouvez qu'être déçu, j'ai immédiatement pensé à me débarrasser de cette Délice, j'ai élaboré un plan pour l'éliminer, purement et simplement, voilà où je voulais en venir, quand j'ai vu ces deux êtres faire comme si je n'existais pas, j'ai pris conscience, je veux dire j'ai eu une vision de moi, morte, absolument morte, comme une pierre sur laquelle on s'assoit, une mauvaise herbe que l'on arrache et que l'on jette dans le fossé, un bijou toc écrasé au marteau, je ne me maîtrisais plus, j'ai sauté sur cette Délice pour lui faire la peau, j'ai voulu aussi étouffé cette Barbara, je les voulais toutes les deux mortes, voilà où je voulais en venir, je voulais pour la première fois, la disparition pure et simple du vivant, j'ai compris sur le moment même, la mort cela se donne tout pareillement comme la vie, on vous donne la vie, on vous donne la mort, pareillement, voilà où je voulais en venir, j'ai échoué tristement pourtant, dans la confusion , j'ai perdu toutes mes forces, elles ont maîtrisé ma colère, j'ai promis de recommencer.
J'ai pu observer cette Barbara, car après l'incident, elle est restée près de moi, à m'observer calmement, je n'ai pas ouvert la bouche biensûr, nous nous sommes regardés comme des ennemis sur le point d'appuyer sur la cartouche, j'avais un véritable sentiment de haine, sur le moment, Clarisse me l'a confirmé après, le silence s'est imposé entre nous, elle ne me quittait pas des yeux, nous aurions pu recommencer à nous étouffer mais nous sommes restées à notre place, chacune dans son fauteuil, dans l'attente d'un événement qui finalement n'a pas eu lieu. Comprendre: nous sommes restés assises face à face sur notre fauteuil, hautaines et froides à nous regarder, sans dire la moindre parole, sans bouger le moindre cil, sans exprimer le moindre sentiment. Nous étions comme pétrifiées par notre beauté, car belle elle est, belle elle m'a désignée le lendemain, après la réconciliation, ma belle, ma beauté, tu vas aller te promener, tu as besoin de prendre l'air, mon ami est arrivé, un ami qui te veut du bien, soit sage, ne te laisse pas emporter par l'escalade.
Je suis sortie effectivement le lendemain avec cet homme-ami de sa connaissance, Clarisse ne semblait pas contente, car je l'ai laissé près du radiateur, presque sans un regard, malgré ses supplications, ses gémissements répétés, tellement je me faisais une joie de la promenade. Le soleil était écrasant, nous sommes sortis en plein après-midi, pourquoi ? cet homme avait l'air bon, étais-ce papa ?, on ne m'avait rien dit et je n'ai pas osé lui demander, je suis restée silencieuse pendant tout le trajet, je peux avouer que nous sommes près de la mer, car j'entends les vagues clapotées au loin, nous sommes arrivés devant la statue promise, une statue représentant grossièrement un homme allongé, j'ai aussitôt fermé les yeux pour m'imprégner de l'atmosphère du lieu, j'ai eu une vision de cet homme vivant il y a des millénaires, alors debout et charmant, déclamant je ne sais quelle parole annonciatrice de la peste noire aux siècles suivants, j'étais sauvée, j'ai demandé à toucher cet homme de pierre, j'ai supplié pour obtenir l'autorisation, j'ai quitté mon fauteuil et cherché désespérément à palper chaque recoin de la statue allongée pour en faire la description à Clarisse, plus tard, près de notre cher radiateur, je le sais, j'ai agi avec précipitation, je suis désolé maintenant, je ne voulais pas finir étouffée par l'air putride du lieu qui m'envahissait peu à peu, je voulais retrouver un espace vert, mon herbe, mon maquillage, j'ai paniquée, je dois bien l'avouer maintenant, je voulais absolument rentrer le plus vite possible, retrouver ma Clarisse, sans crier gare, je suis monté sur la statue, j'ai esquissé quelques pas, bras écartés, pour garder l'équilibre, je n'ai jamais eu le vertige, je suis solide comme un roc, bien que j'entende moins bien, alors j'ai vu son regard changer sur moi, l'autre homme s'est précipité sur moi, il a voulu me faire descendre, il m'a répété interdiction de monter, j'ai glissé, j'ai cogné ma tête contre l'homme-pierre, l'autre homme n'est pas bon, ce n'est pas papa, il a tiré mes cheveux et m'a cogné la tête contre la statue, mais j'ai vite réagi, je ne me laisse plus faire, j'ai réussi à me relever, dans le sang, j'ai combattu, j'étais plus forte que lui, j'ai frappé moi aussi de toutes mes forces, j'ai cogné sans réfléchir, jusqu'à ce qu'il s'écroule, quand j'y pense, je suis un monstre, j'ai peut être tué cet homme, je l'ai mis sur le côté, j'ai essuyé le sang qui coulait de son visage, et pareillement j'ai essuyé mes mains sur l'homme-pierre, je ne sais pas pourquoi j'ai laissé une empreinte, ou plutôt si, je me rappelle toujours papa me répétant qu'il faut laisser une empreinte sur son temps, je me suis exécutée et je me suis enfuie, laissant tout derrière moi, mon fauteuil, ma Clarisse, ma vie mouvementée, il n'y avait plus qu'une issue, retrouver papa.
Cinquième Journée
Scène 1
Je suis recroquevillée dans une grotte. Après avoir laissé mon empreinte sur l'homme-pierre, j'ai couru sans reprendre mon souffle, le plus loin possible, en haut de la colline, en sortant mes griffes et en prenant appui directement dans les mottes de terre, puis je suis redescendue de l'autre côté, en mordant la poussière et me suis réfugiée dans les buissons, j'ai couru encore un peu et je suis tombée sur cette grotte, où je suis, et j'attend maintenant, que la nuit tombe, mais je m'aperçois que je n'ai plus à attendre, elle est là, il fait nuit, la lune est bien visible, jaune sale, en quartier brumeux ou autre ?, le mot m ‘échappe à ce moment même, je n'y arriverai pas, il faut garder mon sang froid pourtant, et rester vigilante, ils peuvent survenir à tout moment, surtout ne pas s'endormir, rester bien calme, tranquille, comme lorsque je suis sur mon fauteuil, à me balancer, Clarisse me manque tout à coup, car je pense au fauteuil, à ma vie d'avant, je n'avais pas le choix, je ne pouvais faire autrement que de l'abandonner, elle retrouvera bien quelqu'un d'autre pour s'occuper d'elle, Délice ou Barbara, au choix, moi, c'est terminé, je ne retournerai pas là bas, de toute façon je ne sais plus mon chemin, j'ai froid, je me suis repliée sur moi, je frotte mes mains, je vais essayer de faire du feu peut être plus tard avec un bâton et une pierre, au fond de la grotte, en faisant bien attention, je n'y crois pas beaucoup, mais je pense qu'il faut préserver mes chances de retrouver papa, d'abord ne pas prendre froid, puis je verrai pour m'alimenter, je ne suis pas difficile, je mangerai des racines, des bulbes, des baies, des insectes ou des vers, des petits animaux, pourquoi pas ?? j'irai boire dans les creux des cailloux, je me ferai des réserves pour l'hiver, je m'en sortirai, une fois encore, je retrouverai papa, et puis quand tout sera fini, je retrouverai ma Clarisse, mon fauteuil, et nous recommencerons à sortir, maquillées comme il faut, pour rejoindre notre herbe, je m'allongerai dans l'herbe face contre terre puis, et il me suffira plutôt de rouler sur moi même pour découvrir la couleur bleu au dessus de moi, j'ai très envie d'y arriver, de retrouver papa, je ne tiendrai pas longtemps ici, pourquoi cet homme m'a-t-il frappé ?, je n'aurais pas dû sortir, ou exiger Délice avec moi, on ne laisse pas une jeune fille comme moi sortir avec un homme en plein après midi, il peut se passer n'importe quoi, il est arrivé n'importe quoi, je voudrais rentrer mais j'ai peur qu'il surgisse pour me tuer, une bonne fois pour toute, je sais bien heureusement que l'arrivée de papa est proche, il va engager les recherches, il s'est passé tellement de choses depuis mon arrivée, le théâtre, les répétitions, le voyage en camionnette, le radiateur, je voudrais que tout cela se termine.
Je parle pour rester éveiller, je parle pour ne pas oublier, je témoignerai contre cet homme, je serai vengée, une bonne fois pour toute, il mérite ce qu'il mérite, je ne sais plus ce que je dis, j'ai froid, je ne suis pas une femme préhistorique, je suis une femme d'affaire, qui aime son confort, je ne sais pas faire du feu, c'est aussi simple que cela, je m'avoue presque battue, il faut déguerpir d'ici, je suis sortie de ma grotte et j'ai couru sans réfléchir vers la lumière, en trébuchant, en me relevant, en rugissant, peut-être, je ne me souviens de rien, rien pour m'arrêter si par malheur…, je ressentais une force décuplée par l'envie de la bataille, j'étais une lance de feu, les rats s'écartaient sur mon passage, les visages effrayés disparaissaient dans l'ouragan, j'étais devenue un ouragan, dans ce pays si calme, dans cette lenteur de l'instant, j'entendis soudain l'eau clapotée, je revenais à la vie, je reprenais conscience de la proximité de la mer, une île, pourquoi ne pas l'avoir découvert auparavant, j'étais perdue sur une île, aussi simple que cela, je ne pourrais donc pas m'échapper, je ne me rappelais plus pourtant d'avoir fait le voyage jusqu'ici, je veux dire d'avoir traversé l'océan, et d'avoir eu le mal des mers, car c'est une expérience que j'ai déjà vécu, il y a longtemps peut-être, c'était avec papa, ou maman, ou maman était déjà morte de moi, je ne sais plus très bien, j'avoue encore que la mémoire me fait défaut, je n'y suis pour rien, je me rappelle pourtant avoir évoqué ce souvenir de la traversée des mers avec l'un ou l'autre, cela ne joue pas d'importance, j'avais apprécié la traversée, j'avais exigé de recommencer, ça remonte à la surface, maintenant, alors j'avais obtenu ce fauteuil, pour me balancer, comme dans un bateau, et j'avais tout de suite exprimé une grande joie, j'étais heureuse de nouveau, voilà l'explication du fauteuil, je réalise seulement cela aujourd'hui, le fauteuil est apparu un jour parce que j'avais réalisé la traversée, j'avais connu la splendeur et la solitude des ciels marins, voilà l'explication, je n'en reviens pas, je découvre dans le même temps, que je n'ai jamais eu le mal des mers, j'ai donc une chance de m'en sortir, à la nage, je veux dire m'enfuir de cette île à la nage, vers le continent, je dois pouvoir y arriver, je n'ai pas le mal des mers, je pourrai tout aussi bien embarquer clandestinement dans la première embarcation venue, et me terrer dans la soute, sous les cartons, silencieuse et affamée, fermant mes yeux puisque cela ne fera pas de différence, dans le noir évanouie, retrouvée par papa, car c'est lui le capitaine, je l'ai rêvé comme cela, je me suis endormie, mais je viens de reprendre conscience, je suis sur la plage, j'ai réussi à me rapprocher, je ne suis plus seule, j'aperçois au loin quelques fantômes, des hommes probablement, sur une place, les lumières, je vois parfaitement bien, je vois qu'ils se déplacent encore dans la nuit, je vais attendre encore un peu avant de me montrer, je sais que papa n'est pas loin, je sais qu'il va arriver, je voudrais le reconnaître avant de m'élancer vers lui, surtout ne pas se tromper, l'erreur serait fatale, aux yeux de tous lui dire comme je l'aime, qu'il n'aura plus à me reprocher mon comportement, j'écouterai, désormais, je serai une fille modèle, une petite fille à poupée, assise bien sagement, répondant aux questions par oui, les bonnes manières, la couture et la cuisine, c'est cela, j'en suis capable, après tout, il suffira d'un peu d'habitude, j'apprendrais, je suis sûre d'y arriver, je l'ai toujours vu faire, j'ai toujours réussi ce que je m'étais promis d'accomplir, je ferai sérieusement mon travail, personne n'aura à se plaindre de moi, j'abandonnerai mon air hautain et perfectionné, je redeviendrai celle d'avant la chute, la longue traversée prendra fin, j'abandonnerai mon fauteuil s'il le faut, pour redescendre sur Terre, les pieds bien accrochés, une seule requête pourtant, Clarisse à mes côtés, elle me comprend, nous n'avons pas de secret entre nous, elle m'aidera à surmonter les épreuves qui m'attendent, et qui ne manqueront pas d'arriver, car je suis maladroite, malgré tout, malgré mes efforts, ma bonne volonté, j'ai décidé une bonne fois pour toute d'écouter, alors, il faut me laisser une petite chance d'y arriver, et j'y arriverai, coûte que coûte, mais j'aurai besoin du réconfort sans borne de Clarisse, à mes côtés, depuis toujours, depuis la traversée en bateau, voilà que je recommence à me souvenir, je reviens à moi, je remonte des profondeurs, où j'ai côtoyé le pire, les monstres marins, sans yeux, sans visages, aux dents effarantes, aux formes phénoménales, je suis sur la plage, et les vagues sont proches, je n'ai pas vu papa, sur la place les lumières se sont éteintes, il me faut trouver une solution, je dois encore une fois me débrouiller seule, la solution je la vois, j'en ai déjà ressenti les prémices, car je suis sur une île, il n'y a qu'une solution, pour s'échapper j'entends, je me lève, j'avance, le sable est encore chaud, a-t-il conservé la chaleur des réverbères ?, c'est une constatation bien curieuse car je n'ai plus froid, je marche droit devant, j'entre dans l'eau, je suis prête pour la grande traversée.
Scène 2
Théda : Surpris éternuer dans la forêt.
Mili : Surprise distribuant des prospectus à un corner. Le petit commerce au fond, avec les morts.
Théda : Surpris encore mâchant moult confettis, étouffant !
Mili : Terminons le travail. Il y a une chose encore dont elle veut qu'on parle. Gebru son enfant, l'enfant de Laura Lanthrax. Celui qu'elle n'aura pas eu. L'enfant, dans ses yeux, un arbre mort dans un ciel bleu.
Mili : Le sang lui coule, elle mange des abricots et se gratte offensivement. Il a disparu, elle veut lancer un avis de recherche. On a frappé à toutes les portes. Personne ne fait l'effort de comprendre. Il faut pardonner aux uns et aux autres maintenant. Il n'y aura plus de révolte. Même cela est oublié, la révolte des oubliés.
Théda : Des acteurs entrent, scène décharnée à l'accueil, des acteurs qui entrent et qui d'un lieu disent : je le hante !
Mili : Se faire soigner la crainte de la mort et plus encore, apprendre la voix, la voix rauque des requins.
Théda : Nous interdisons à quiconque de jouer à notre place. C'est la guerre, vous demandez de frapper les coups, les trois, vous jurez de gémir sans contrainte, vous jurez de taire vos insultes. Reprenez vous que diable, c'est la guerre, c'est la prison, les acteurs doivent mourir eux aussi, le plus tôt sera le mieux, les personnages le sont déjà, ils ont traversé la scène les yeux fermés, les yeux clos si vous préférez, ils ne regardent plus en passant vers moi, vers toi, nous leurs sommes parfaitement indifférents, il y a la musique au loin, les canons qui tombent les uns après les autres, l'autoroute a remplacé le champs de bataille, nous avons réussi, nous avons accompli notre travail, nous nous sommes débarrassés d'elle, Laura, notre petite adoptée.
Mili : Veuillez vous asseoir, je vous pris, nous avons à parler. Je suis poli.
Théda : Le rideau tombe déjà, dépêchez vous, il ne reste que très peu de temps, à peine pour nous embrasser, il ne manque rien pourtant, on peut s'arrêter là.
Mili : Je veux laisser entrer les hôtes inévitables, les autres, les souvenirs, les tous les noms, ceux qui souhaitent bonne chance à l'instant ultime et s'en allant.
Théda : Comme je vous comprends, je ne me lasse pas de vous écouter encore parler, encore un peu, même s'il faut finir, en finir avec elle, comme le temps passe soudain.
Mili : Cela je l'avoue, ce n'était pas écrit, nous l'avons trouvé sur une table promis à l'effaçage, la petite amie de Gebru, je lui ai donné un nom : Pholé.
Théda : Gebru et Pholé, importunés par les veilleurs de jours, si calme, insultés, fils de, boude au bout du couloir, après la fessée, comprennent à peine, reviennent en force, caressent les tables, embrassent les petits objets, enserrent de leurs petits bras les écrans, disparaissent à nouveau,
Mili : Rendez vous, crachez !
Théda : Immédiatement avouez !
Mili : Croyez moi sur parole, cette situation ne saurait durer, la bouche suinte, le nez suinte, l'oreille suinte, le corps dans son ensemble suinte, se liquéfie, se répand, au contact de la chair pourrit.
Théda : J'en boirai de leur jus si tu m'en donnes, agite ton chiffon, maintenant, ils approchent, nous sommes sauvés !
FIN