Lana Del Rey : après le buzz, l'album

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D’abord, il y eut le buzz : un clip, celui de Video Games, posté sur youtube, l’été dernier. Quatre minutes et cinquante secondes assez troublantes qui ont totalisé, à ce jour, quelque 30 millions de vues.

Un concept intéressant, d’ailleurs, que la "vue" sur le net. Dans l’échelle actuelle du succès, la notion a remplacé depuis longtemps celle du nombre de disques vendus. On pourrait presque en parler à la manière d’un Patrick Abitbol lorsqu’il évoque les "Ricains" et les dates dans La vérité si je mens 2 : « Une vue, ça veut dire que tu crois que tu vas vendre mais en fait, tu vends pas. C’est ça, une vue. »

Dans le cas de Lana Del Rey, la question des stocks écoulés importe peu, au final. Car au-delà du simple clip concocté par les soins de la demoiselle à partir d’images d’archives récupérées ça et là, le mystère qui plane autour du personnage plaide en sa faveur et la condamne, pour ainsi dire, à un succès assuré.

Avant le buzz, il y eut Elisabeth Grant dit Lizzy Grant, jeune New Yorkaise, née au moment même où Luis Fernandez trompait une dernière fois le gardien brésilien Carlos et envoyait les Bleus en demi-finale de la Coupe du monde. Un souvenir qui se mesure désormais en siècle. Un quart, en l’occurrence…

Principal atout : sa voix

En 2008, la jeune femme sort un EP trois titres, Kill Kill, suivi, quelques mois plus tard, d’un premier album baptisé Lana Del Ray aka Lizzy Grant. Le succès est relativement modeste. Pour autant, la miss ne baisse pas les bras. La retouche qu’elle apporte à son pseudonyme (le Ray devient Rey), né de la combinaison du prénom de l’actrice Lana Turner et de la Chevrolet Delray, fait moins parler que les petites transformations physiques qu’elle persiste à nier.

Certes, quelque chose a changé. Mais, très sincèrement, on se contrefiche royalement du volume actuel des lèvres de l’intéressée qui, effectivement, n’est pas sans rappeler celui de Tata Geneviève quand elle a fait son allergie aux kiwis.

Car le principal atout de la jeune femme, au-delà de son allure de pin up tout droit sortie d’un film de David Lynch ou de ses yeux de biche qu’on croirait sans cesse affectés, c’est sa voix. Tantôt grave et chaude, tantôt enfantine et espiègle.

Couplée à l’atmosphère pesante de Video Games, à sa mélodie vaporeuse à souhait dont on dit, aujourd’hui, qu’elle serait inspirée d’une chanson grecque sortie en 1991(1), l’organe aguiche autant qu’il trouble.

A l’image, Lana vous regarde presque de haut, attisant les foudres de ceux qui ne voient en elle qu’un coup de marketing orchestré en douce par une maison de disques. Un quiproquo de plus s’installe quand certains médias se mettent à comparer la jeune artiste à Amy Winehouse alors que son registre vocal rejoint plutôt celui de chanteuses comme Nancy Sinatra ou, plus proche de nous, Nicole Atkins. La faute pourrait incomber à Blue Jeans et ses relents fifties. On préférera simplement pointer du doigt l’étroitesse d’esprit de certains musicologues en herbe en perpétuelle quête de repères.

Non, Lana Del Rey n’est pas la première dauphine de la plus récente des pensionnaires du Club des 27. Pas plus que Born To Die, son album fraîchement sorti, possède un quelconque rapport avec Back To Black. Winehouse faisait dans la soul intemporelle, semblait s’être servi de vieilles recettes pour pondre un disque devenu instantanément un classique. Les sonorités de Born To Die sont, elles, plus modernes.

Fortunes diverses

En douze morceaux, Del Rey passe en revue divers registres. L’urbain Off the Races vient ainsi glisser son beat hip-hop entre l'orchestral morceau-titre et Blue Jeans pendant que Diet Mountain Dew ou Radio redorent un peu un R’n’B au blason sérieusement terni par quelques poupées de cire devenues que son, faute de talent.

Si, encore une fois, la voix permet de transformer bien des essais, elle ne parvient cependant pas à masquer les quelques faiblesses du disque, à commencer par le médiocre This Is What Makes Us Girls. National Anthem voit son intro lorgner vers le thème du Better Sweet Symphony des Verve et ne se défait jamais vraiment de la fadeur qui lui colle à la peau. Million Dollar Man aurait pu compter parmi les réussites de l’album mais l’ambiance délicieusement sombre des couplets et autres ponts, dans laquelle la midinette excelle, est quelque peu affaiblie par un refrain convenu. Dommage. Il ne manque pas grand-chose pour que la chanson atteigne le niveau de Video Games.

Finalement, en marge des tubes, les autres bonnes surprises sont à chercher dans l’entêtant Summertime Sadness ou le lancinant Carmen. De là à ranger Born To Die en bonne place au panthéon de la musique, il y a un pas qui se chiffre en kilomètres. Pour autant, la Del Rey a montré qu’elle en avait bien plus sous le capot que ce que ses détracteurs (restés, pour la plupart, cantonnés à une performance foireuse au Saturday Night Live) veulent bien laisser entendre. Artiste à suivre.

(1) Lana Del Rey aurait copié I dromi pou agapisa interprétée par Eleni Vitali. L’Américaine a dit ne jamais avoir entendu la chanson grecque auparavant. Si des similitudes entre les deux morceaux sont indéniables, on ne peut pourtant pas affirmer qu’il s’agit d’un plagiat.

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