L'année de mes trente ans

Marx Daria

Synopsis

Paula va avoir trente ans et elle a décidé que rien ne serait plus pareil après son anniversaire. Lassée d’une vie trop sage, perdue dans des relations sentimentales sans avenir et persuadée d’être passée à côté de la vie dont elle avait rêvée, elle va tout changer, sans rien épargner autour d’elle.  C’est la métamorphose de Paula que nous allons suivre dans ce roman, qui commence le jour de son anniversaire, par une drôle de cérémonie expiatoire sensée créer autour d’elle le vide nécessaire à la création de sa nouvelle identité. Elle décide de se séparer de tout ce qui la définit comme une trentenaire célibataire un peu triste, pour chercher en elle ce qui lui plait vraiment, ce qui la fait vibrer, ce qui l’a rend vraiment heureuse.

Ces changements vont influencer sa carrière et sa vie sociale, mais vont aussi bouleverser sa famille et surtout sa mère, qu’elle pense responsable de son début de vie ratée. La question qui se pose tout au long du roman est celle de l’adolescence perdue, des rêves impossibles qu’on se construit tout au long de sa vie sans jamais les réaliser : faut –il renoncer, ou au contraire courir derrière l’image améliorée de nous-mêmes que nous projetons devant nous ? Paula, petite fille fantasque devenue adulte rangée, peut-elle trouver le juste milieu entre son envie de tout envoyer bouler et sa vie de jeune femme ? Elle va se découvrir une âme de prédatrice, grâce à une amie rencontrée lors d’un séminaire pour célibattante : Marie. Avec Marie, elle va écumer les lieux de rencontres, les soirées et les week-ends, accumulant les situations excitantes et grotesques, se perdant dans une foule de prétendants jamais ennuyeux mais toujours très peu stables.

 Paula a pour nouvelle devise cette année de ne rien refuser, de tout essayer, sans se mettre de barrière. Elle passera donc quelques jours dans un camping naturiste dans le Sud de la France, dont elle se fera renvoyer pour port illicite de vêtements, à la grande honte de ses compagnons de voyages, beaucoup plus libérés qu’elle. Marie devient sa coach de vie, et lui lance chaque semaine des défis à relever, des obstacles à sauter : séduire un inconnu rencontré dans la rue, se rendre à un cours de yoga tantrique, infiltrer une soirée très huppée en prétendant être une vedette de la télé-réalité, teindre ses cheveux en blond platine, dédier une balade romantique à un homme lors d’un karaoké, toutes les occasions sont bonnes pour tester la volonté de Paula. Cette dernière doit jongler entre les impératifs de sa vie professionnelle et les exigences de Marie, ce qui la mène peu à peu à inventer des excuses de plus en plus rocambolesques pour ses retards et absences au bureau. Sa réputation de femme prête à tout arrive aux oreilles de ses collègues, et pousse son supérieur hiérarchique à lui faire des avances lors d’une réunion importante, pendant laquelle Paula doit garder son calme tout en repoussant la main de son patron sous la table en bois. Au terme de cette réunion, Paula gifle son patron, ce qui lui vaut d’être suspendue et mise à l’épreuve. C’est le début d’une remise en question totale pour Paula, qui ne sait plus qui elle est vraiment, et hésite sur son avenir. Doit-elle renoncer à sa vie et à son amitié avec Marie la tentatrice, ou tout plaquer pour se lancer à corps perdu dans l’inconnu avec elle ? Elle tente de trouver du réconfort auprès de ses parents qui ne la reconnaissent plus, et sa mère tente de lui expliquer le bonheur simple des petites choses, alors que Paula s’entête à vivre toujours plus vite et plus fort.

Pendant son séjour chez ses parents, alors qu’elle se coupe de son univers parisien pour mieux réfléchir, une rencontre va venir compliquer la vie de Paula. Il s’agit de Marco, un homme à milles lieux de ceux qu’elle a fréquenté durant cet année, un garçon timide, bourru, charmant mais peu facile à aborder. Elle se découvre une attirance physique très forte pour lui, et tente de le séduire en se rendant en petite tenue une nuit chez lui. Marco la repousse sèchement, et c’est pleine de honte qu’elle rentre sous la pluie chez ses parents. Ce n’est qu’au bout de quelques jours qu’elle retrouve le courage de parler à Marco, pensant lui dire ses quatre vérités, mais elle s’effondre devant lui, lui expliquant sa fuite en avant de l’année passée et le trouble qui l’envahit lorsqu’elle est en sa présence. Marco l’écoute, et lui avoue à son tour ses sentiments. L’homme dont elle va tomber follement amoureuse, lui propose de vivre une vie rangée, faite  de petits bonheurs et de petits folies, loin de ses projets grandiloquents. Paula devra faire un choix, celui du bonheur quotidien auprès de Marco, ou celui d’une vie moins ordinaire mais plus risquée.

C’est Marie qui va finalement donner à Paula la liberté de devenir ce qu’elle est réellement. En s’invitant chez les parents de Paula pour un week-end, Marie crée le chaos le plus complet autour d’elle : elle boit trop au déjeuner et fait des propositions salaces au père de Paula, elle décide d’emprunter la voiture des parents sans leur permission et la plante dans un fossé, et termine la soirée en essayant de séduire Marco sous les yeux plein de hargne de Paula.  Elle réalise alors qu’il n’y a pas de fatalité à être une personne extérieurement ordinaire, et que son bonheur peut se trouver dans une vie plus simple, moins trépidante, car elle sait enfin ce qui la rend réellement heureuse, et ce qui lui donne envie de se lever chaque matin. Elle retrouve dans sa chambre de petite fille son journal intime d’adolescente, dans lequel elle avait écrit ce qu’elle espérait être à tente ans : une femme comblée et amoureuse. C’et ce qui la décide définitivement à quitter Paris et son travail pour venir s’installer dans la maison familiale, et à construire avec Marco une relation plus simple mais aussi plus forte. Elle garde en elle son côté un peu fou, en ouvrant un centre de saut à l'élastique pour parisiens surmenés.

Chapitre 1

Cette année sera mon année. C’est décidé. Fini les rendez-vous ratés, les opportunités qu’on laisse filer, les fêtes qui finissent mal et les samedi soir devant la télé. Moi Paula, 29 ans et 364 jours, j’ai décidé que mon passage dans la prochaine décennie marquera mon avènement, mon heure de gloire. Je refuse de continuer plus longtemps à vivre une vie médiocre, comme celle de mes parents et de mes sœurs, métro boulot dodo, une verveine et un téléfilm, un mari ventripotent à la libido moribonde : non merci. Ma vie sera extraordinaire, extravagante, pleine de rebondissements, de rencontres, et d’amour. Oui, d’amour, parlons en. On ne peut pas dire que j’ai vraiment tiré le gros lot ces derniers temps. Entre l’informaticien trop timide pour m’embrasser, qui m’avoue au bout de cinq dîners que je ressemble étrangement à sa grande sœur Odile, le vendeur de voiture au costume en polyester rayé qui ne pense qu’à me mettre dans son lit, et le prof de maths dépressif incapable de parler sans pleurer, je traîne tellement de boulets que j’ai l’impression d’avoir un orchestre de violons mal accordés derrière moi quand je marche dans la rue, un concert de relations sans avenir et d’espoirs déçus qui me collent à la peau comme un vieux chewing-gum mâchouillé.

C’est pour ca qu’aujourd’hui, le vendredi 30 novembre, je consacre les quelques heures qui me séparent de mon état de trentenaire à une opération de terre brûlée. J’ai refusé l’invitation de mes collègues, de ma meilleure amie et de mes parents pour me consacrer uniquement à la préparation de ce passage vers ma vie rêvée. Je commence par mon téléphone portable : j’efface un à un, méthodiquement, les numéros de tous mes ex petits copains, sans en oublier un. Oui, même toi, le beau brun croisé lors d’une folle soirée l’été dernier, je n’ai aucune pitié, tu disparais ! J’en ai assez de me servir de mes exs comme un matelas confortable sur lequel retomber, marre de tenter de réanimer des histoires définitivement enterrées. Je veux être une nouvelle femme, toute neuve, sans bagages, enfin libre ! Les photos de vacances avec mon anciennes belle famille, les Noëls avec Fabrice, les tickets de cinéma que je conserve comme une gourde dans une boîte à chaussures au fond du placard, tous les souvenirs qui pourraient me rappeler le passé, je les déchire, je les broie, et je les envoie finir leur destinée au fond d’un sac poubelle de 100 litres, c’est dire si j’ai accumulé. Ma garde robe aussi subit un grand tri, à la poubelle les chaussures de randonnées et la veste en laine polaire achetées pour essayer de séduire ce bel italien moniteur en montagne, dehors les petites culottes en coton blanc destinées à plaire à mon pharmacien obsédé, à la rue mes soutiens gorges troués et mes collants filés, mes jupes trop longues et mes chaussures usées ! La porte de mon appartement se noie presque devant la masse de sacs et de cartons à descendre à la poubelle demain, mais je ne dois pas reculer, si je veux changer, je dois employer les grands moyens, tout épurer par le vide pour tout reconstruire et tout changer. Je ne veux pas faire dans la demie mesure, j’en ai assez de ma vie trop grise, sans couleurs franches, petite souris toujours cachée, je veux qu’on me remarque, je veux mettre du rouge sur mes lèvres, je veux qu’on se retourne sur moi dans la rue, je veux exister !

Déjà toute petite, je voulais être différente. Quand mes sœurs faisaient un caprice pour s’inscrire à la danse, je suppliais ma mère pour faire de l’escalade en salle, dans la ville d’à côté. A l’âge des premiers petits copains, des premiers maquillages, des premières sorties, j’étais tombée  dans le hard rock comme dans une marmite, et je passais mes week-ends avec des amis peu fréquentables aux yeux de mes parents, à secouer ma tête en rythme sur de la guitare électrique. Je n’étais pas une rebelle pourtant, je n’ai jamais pris de drogue, je suis toujours rentrée à l’heure, je n’ai jamais oublié de me brosser les dents. J’avais juste envie d’autre chose. C’est après le baccalauréat que les choses ont changé, j’ai réussi un concours pour une école de commerce à Paris, j’ai déménagé dans un petit meublé, j’ai quitté mes amis d’enfance, et j’ai du m’adapter. Personne n’écoutait de rock dans ma promotion, ils sortaient tous en boîte de nuit, ils suivaient la mode, ils voulaient ressembler aux cadres dynamiques des séries télévisées. Alors moi aussi, j’ai mis mon uniforme, j’ai troqué mes jeans troués et mes t-shirts floqués contre un tailleur strict et des ballerines à petits talons, j’ai attaché mes cheveux et j’ai postulé pour des stages dans des banques et des administrations. Voilà plus de dix ans que je joue à être quelqu’un d’autre que moi, à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler, à vérifier que toutes mes prises de position sont politiquement correctes, plus le temps passe, plus j’oublie ce que j’ai été. Je m’en suis rendue compte en regardant mes photos de classe sur Facebook il y a un mois. Je me suis demandée ce que j’avais fait de mes ambitions, de mes idées, de ma folie. Je crois que si l’adolescente que j’étais rencontrait l’adulte que je suis devenue, elle me passerait un savon. C’est pour ça que je me dois de changer. Pour lui donner une chance de se réaliser.

Ce qui m’énerve le plus, c’est ce sentiment de ressembler de plus en plus à ma mère. Je me rends compte qu’en vieillissant, j’adopte ses mimiques et ses expressions, j’ai même presque la même coupe de cheveux qu’elle. Je ne sais pas ce qui m’a pris ce jour là, j’étais assise dans le fauteuil en cuir du coiffeur, je feuilletais le catalogues de coupes et des couleurs, et je me suis arrêtée sur la photo de cette femme aux cheveux courts, sans pour autant réaliser qu’elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à ma maman. Tout le monde dans le salon m’a demandé de réfléchir avant de tout couper, j’avais une chevelure magnifique, blonde, juste en dessous des épaules. Je n’ai pas hésité, c’était comme une révélation, je devais être exactement comme cette mannequin sur papier glacé, je devais me conformer. C’est seulement quand je suis rentrée pour les vacances dans la maison familiale et que je me suis retrouvée en face de ma mère que je me suis rendue compte que mon inconscient me jouait des tours, qu’il se passait quelque chose à l’intérieur de moi que je ne maîtrisais pas. Pourquoi cette envie de ressembler à quelqu’un que je n’estime même pas ? J’aime mes parents, c’est sur, mais je ne les admire pas. Ils ont vécu une vie exemplaire de français moyen, avec des petits carrières et des petites envies, une résidence secondaire en Bretagne et des loisirs ennuyeux, je ne sais pas comment ils arrivent à respirer sous le poids de tout cet ennui, de toute cette vie passée à faire comme tout le monde, à s’habiller comme tout le monde, à penser comme tout le monde. J’ai parfois envie de les épaules et de les secouer, comme si j’espérais qu’ils se réveillent de leur coma, qu’ils cessent d’être si mou, si neutres, qu’ils reprennent des couleurs et qu’ils commencent à s’animer, comme un film en noir et blanc qu’on colorise enfin, et qui dévoile toute sa beauté.

23h55, dans cinq minutes, j’aurai 30 ans. Dans cinq minutes, tout commence pour moi. Je débouche la bouteille de champagne que je garde au frais pour les grandes occasions. Ce soir, la grande occasion, c’est moi. Je le vaux bien non ? Et puis qu’est ce que je peux fêter d’autre de toutes façons ? Je remplis ma coupe jusqu’au bord, j’ouvre la boîte en carton du pâtissier, et je place une unique bougie sur un cupcake au chocolat, mon gâteau préféré.  Je n’ai pas besoin de trente bougies, une seule suffira, une seule allumette et une seule flamme pour marquer le début du reste de ma vie. Ce moment est juste pour moi, j’en profite, je retourne m’asseoir sur le canapé, je valdingue un peu dans le couloir, quelques gouttes débordent et se renversent sur le parquet, ce n’est pas grave, je ne veux pas perdre de temps, je veux être à l’heure pour mon rendre-vous avec moi. Je mets un peu de musique, du rock mélodique de mon enfance, quelque chose de puissant et de sensible à la fois, c’est la seule chose du passé que je veux emporter avec moi dans ma nouvelle année. A minuit pile, j’avale la première gorgée d’alcool, les bulles me piquent la gorge, j’avais oublié que je n’aimais pas ca ce n’est pas grave, j’apprendrai, la nouvelle Paula boit, danse, et se laisse aller. Je souffle la bougie, les yeux fermés, je me souhaite une année merveilleuse, des fêtes sans fin, des hommes beaux et intelligents, d’apprendre une nouvelle langue, de partir au bout du monde, mais je me souhaite surtout d’être moi, sans avoir besoin de porter un masque ou de me cacher. Être moi, tout simplement, me retrouver.

  • Je suis encore un peu loin des 30 ans, mais je crois que si je les avais eus, j'aurais pu écrire un texte semblable... Enfin semblable dans le fond, pas dans la forme, puisque je ne sais pas écrire comme ça...
    Ce texte m'a énormément touchée, j'ai eu le coeur serré, franchement. Qu'est-ce qu'on attend pour vivre notre vie ?

    · Il y a plus de 13 ans ·
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    eleonore-chantelouve-labuissiere

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