Salaud 2.0

grenouille-bleue

SYNOPSIS


Adrien est blogueur et chroniqueur dans les magazines masculins. La cruauté de ses articles et la description cynique des filles qu’il séduit contribuent à lui assurer un immense succès. Malgré les menaces, les insultes et les critiques, il va toujours plus loin dans la surenchère.

Une nuit, il rencontre Léa, étudiante en sociologie bien sous tous rapports. Elle a de l’humour, du charme – il en tombe aussitôt amoureux. Elle ne connaît pas sa réputation, son métier ou son blog et les premières semaines passent comme dans un rêve. Adrien découvre le plaisir d’une relation suivie et le désir de partager un quotidien.

Une première crise apparaît lorsque des amis bien intentionnés font découvrir à Léa les écrits d’Adrien. Elle ne comprend pas qu’il ait pu lui cacher cette part de sa vie. Les commentaires ambivalents de certains lui reviennent en mémoire, désormais beaucoup plus clairs. Elle a l’impression de n’être qu’une fille parmi des centaines, un jouet à jeter lorsqu’on en a terminé. Après une violente altercation, la rupture est consommée.

Adrien refuse de baisser les bras. Il use de tous les artifices pour la reconquérir, jusqu’à se servir de ses chroniques comme d’un moyen de la toucher. Amadouée, elle finit par revenir. L’histoire pourrait, l'histoire devrait se terminer ainsi.

Malheureusement, tout n’est pas aussi simple. Adrien n’a désormais plus rien à raconter de cruel ou de cynique. Il sort beaucoup moins, refuse les soirées défonce et alcool auxquelles il participait avant. Petit à petit, il se renferme sur son couple. Son blog perd de son intérêt, ses critiques de leur mordant. Les lecteurs désertent le navire, rejoignant d’autres écrivains désormais plus trash que lui.

En rejoignant un soir ses amis pour le repas, il se rend compte qu’il est la risée de ses anciens admirateurs, qui ne voient plus le moindre intérêt en lui. Adrien réalise que son ego a besoin des autres, de leur admiration, de leur respect. Il ne supporte pas de se retrouver ainsi conspué, identique aux couples qu’il a critiqués pendant si longtemps. Dans un accès de colère, il rompt avec Léa et retourne à sa vie de célibataire forcené.

Adrien se plonge à corps perdu dans le tourbillon des soirées, de l’alcool, de la coke et des filles sans nom. Il reprend son blog ; sa plume lui permet de détruire la concurrence. Il est de nouveau le prince de la critique, le vampire des nuits parisiennes. Les fans reviennent et l’argent avec. On lui demande d’écrire un livre.

Lorsqu’il s’attaque à la rédaction du roman, Adrien réalise soudain le vide de son existence. Léa lui manque, son sourire, ses mots, sa chaleur, l’importance qu’elle prenait dans sa vie. Il a beau tenter de l’oublier, sa présence se dessine entre chaque page de l’ouvrage. Il suffoque.

Il tente de convaincre Léa de revenir, mais elle a trop souffert de son abandon et de ses moqueries. Elle refuse de croire qu’il puisse changer. Il tente tout pour la récupérer, sans résultat.

Alors il ferme son blog. Alors il ferme ses chroniques. Et il écrit, il se jette à corps perdu dans l’histoire de cet homme qui a perdu la femme de sa vie pour une simple histoire d’orgueil.

Le livre sera un bide. Sans le soutien de son blog, après avoir tourné le dos à ses lecteurs, Adrien n’a plus aucune crédibilité. Mais il y gagne finalement bien plus : lorsqu’il sort de l’agence où il a résilié le bail de son lupanar – par manque d’argent et d’occasions – il trouve Léa qui l’attend. Elle a son livre dans les mains et elle lui sourit.

Ce n’est qu'un début, mais il se sent soudain mieux.

INTRODUCTION

Entrée du 26 juin 2007 – 7h18

C’est amusant de voir l'alcool prendre le contrôle.


Vous partez en soirée avec un seul objectif, passer du bon temps entre amis. Vous buvez quelques verres en frimant sur vos succès professionnels ou votre dernière conquête. Au fil des vodkas-pomme, ça se transforme en comparaison, puis en compétition. Ca parle nombre, volume, quantité, et vous finissez par juger de critères qualitatifs en vrais gentlemen, un point par taille de bonnet, cinq points bonus si elle avale.


Vous réalisez que vous êtes loin derrière malgré vos nombreux mensonges et votre maîtrise de l’hyperbole ;  vous passez donc à l’action. Les 3 grammes d’alcool que vous portez sous chaque paupière vous donnent de l’audace : vous abordez la première personne de sexe vaguement féminin qui croise votre chemin. Comme vous êtes complètement bourré, vous ne vous souciez pas de son embonpoint (de la chaleur humaine !), de son visage disgracieux (de la créativité !) ou des morceaux de poulet coincés entre ses dents (de la nourriture !).


J’ai beau réfléchir, je ne vois que cette explication à la présence de cette… fille dans mon lit. Je viens d'ouvrir les yeux, je ne la connais pas, et ses ronflements agitent le lustre renaissance au plafond. Mon sexe honteux se dissimule dans la touffe de poils qui me sert de dignité.  Un préservatif usagé pendouille contre mon boxer sur le sol. Je n’ose pas imaginer ce que…


Chers lecteurs, je vais devoir stopper mon histoire car Cendrillon remue. Le bruit des touches a réveillé la brave citrouille. Je ne sais pas ce que je vais lui dire, mais ce sera un grand moment de_


Voulez-vous sauvegarder ? Oui.


« Qu’est-ce que tu fous ? » marmonna la jeune fille en se tournant vers moi, les yeux gluants de sommeil. Elle jeta un regard sur sa montre et grogna.  « Huit heures du matin ? Putain, tu pourrais éviter de taper comme un sourd sur ton ordi à l’aube ? On est dimanche, bordel, ça fait quatre heures qu’on est rentrés, je suis encore morte. ».

Je souris intérieurement. La beauté et le langage châtié, tout ça dans le même emballage. Bravo Adrien. Non, vraiment, tu fais fort quand tu as bu.

Elle se frotta les yeux puis se haussa sur un coude pour regarder ce que j’écrivais. Je baissai l’écran de mon portable jusqu’à le refermer. Je ne supportais pas qu’on lise mes articles avant publication. Après tout, j’y mettais ma sensibilité à nu. Un vrai travail de poète.

« J’étais en train d’écrire. Désolé du dérangement…. » Je fouillai machinalement mon esprit pour un nom avant d’embrayer vers la solution de secours. « …ma chérie, mais l’art n’attend pas. Tu veux prendre un café ? »

Un café, un thé, un chocolat, n’importe quoi pourvu qu’elle se rapproche ainsi de la sortie. Je pouvais voir ses habits en tas sur le sol. Si tout se passait bien, elle pouvait avoir disparu dans quelques minutes. La plupart des filles avaient la politesse de voir qu’elles dérangeaient et que l’apothéose copulatoire de la veille, entre yeux mi-clos et haleine fétide, n’allait pas déboucher sur un mariage en robe blanche et lâcher de colombes. Rêve d’une parfaite stupidité, soit dit en passant : les fientes et la soie n'ont jamais fait bon ménage.

Cette fille-ci ne saisit pas la balle au bond. Elle reprit la couverture avec un soupir de satisfaction et se cala confortablement contre le coussin.

 « C’est vrai, tu m’avais dit hier que tu écrivais. C’est quoi, l’adresse de ton blog, encore ? »

« Adrienaparis.com, tu ne peux pas faire plus facile. Les tribulations d’un parisien qui refuse de grandir. Je ne suis pas sûr que ça te passionne… »

« C’est sûr… » commença-t-elle dans un baillement.

« … mais il est possible que je parle de toi et de la soirée de la veille »

Ses yeux s’illuminèrent. C’était une impression assez perturbante, cette lueur d’intérêt dans un regard aussi vide.

« Vraiment ? De moi ? Qu’est-ce que tu vas dire ? »

Je me contentai de sourire sans un mot. Mes heures de pratique devant la glace finissaient par payer ; le rictus ironique se fondit en une grimace bienveillante et mystérieuse. Essayez, vous verrez que ce n’est pas si facile.

« Je ne sais pas encore… » Elle avait bien dû me donner son nom à un moment dans la nuit ! « …ma grande, je ne suis même pas sûr de le faire, mais n’hésite pas à y jeter un œil plus tard, ce soir ou demain. Et puis, ce sera une façon de mieux me connaître ! »

L’inconnue-au-bataillon gloussa entre ses mains. Je me levai prestement du lit pour esquiver la manœuvre d’approche qu’elle amorçait puis fouillai mon tas de linge sale pour un boxer encore convenable. Le temps que je mette mon jean, elle avait enfin compris et enfilait sa robe jaune et moche. Elle tenta de me serrer une dernière fois dans ses bras, je lui rendis mollement son étreinte, puis la porte claqua et j’entendis ses pas lourds dans l’escalier.

Une de plus.

Je me laissai tomber sur ma chaise. J'allumai une cigarette avec le geste désabusé de l’écrivain maudit. Ce n’était même pas que j’appréciais fumer ; au contraire, l’odeur de tabac froid me révulsait. Mais il y avait des matins où je me levais avec l’impression d’etre un parfait enfoiré ; la clope complétait bien ma panoplie. Je relevai l’écran de mon ordinateur pour pianoter la fin de l’article puis le publiai d'une pression de doigt. Au plafond, les volutes de fumée dessinaient un nuage de rien-du-tout, une sorte de test de Rorschach pour cancéreux. Certains pouvaient y deviner un papillon. J’y voyais un sexe en érection. Un somptueux orgasme littéraire, au jet puissant et libérateur. Je ne sais pas comment Freud aurait interprété ça. Pour ma part, je me contentai de rafraîchir la page de garde de mon blog en attendant l'approbation de mes milliers de lecteurs.

Mieux que du Levy, que du Musso, que du Gavalda. Mon blog leur apportait leur dose de trash et de cynisme au quotidien. Ils riaient de bon cœur devant les descriptions apocalyptiques que je faisais de mes conquêtes, les critiques acerbes de leur physique ou de leur esprit, les vacheries que je pouvais trouver dans ces quelques minutes de semi-conscience à la limite de l’aube, alors que l’alcool envahissait encore mes veines mais que l’ivresse était partie.

Je souris en voyant les premiers messages s’afficher. Il n’y en avait qu’une dizaine pour l’instant. Bientôt, il y en aurait cinquante. Et lorsque cette fille – quel était son nom, bon sang ? – allait se connecter et voir ce que je disais d’elle, elle posterait un commentaire également en me traitant de connard. C’est ce qu’elles faisaient toutes, tellement prévisibles. Parfois, elles parlaient en langage SMS, et c’en était encore plus poignant.

T kun konar, Adrien !

Oui.

  • au risque de me répéter, cette contribution aurait dû faire partie des sélectionnées. Je vais pas refaire le match mais peut-être y a-t-il eu un petit malentendu au niveau de l'énoncé? (ahem)

    · Il y a presque 14 ans ·
    New orleans louisiana may 1953 chevrolet orig

    victoria28

  • Je suis d'accord avec Victoria28, un des meilleurs textes pour le concours (si ce n'est le meilleur). J'aimerais bien connaître la suite :)

    · Il y a presque 14 ans ·
    Default user

    sushi

  • je parie sur cette contribution pour les 5 sélectionnées... l'une des meilleures avec facebook me à mon avis. on verra ça bientôt...

    · Il y a presque 14 ans ·
    New orleans louisiana may 1953 chevrolet orig

    victoria28

  • Extra Grenouille Bleue ! Du cynisme jubilatoire ! Une très belle réussite, j'aime ton style et ta créativité ! Je te laisse en PJ ma contribution au concours si tu as le temps. Très heureux de te lire me concernant !

    · Il y a presque 14 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Oui, j'avais mis un commentaire excellent car j'avais trouvé l'idée non seulement brillante mais en plus c'était écrit divinement bien. Suis impressionnée. D'après la photo, vous êtes jeune en plus. Excellent oui. Un avenir en perspective.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

  • Transposer l'univers de Californication à Paris est une bonne idée, d'autant plus si c'est réussi. J'espère pouvoir lire la suite ! :)

    · Il y a presque 14 ans ·
    35073 410434652707 773327707 4368511 7167334 n 300

    William Doise

  • Jolie surprise,j'aime beaucoup, beaucoup d'humour, c'est assez limpide à la lecture, je repasserais certainement sur votre page. Au plaisir de vous lire...

    · Il y a presque 14 ans ·
    L b346aeecaa114d1f9fec116ac42461cd 58

    Viviane Chester

  • ton personnage est de province. il n'est pas né à Paris. en tous cas c'est ce que je ressens. son vocabulaire. sa façon de vouloir s'imposer dans la ville. il a donc peut-être un passé, d'autres visions...
    qu'est-ce que cela induit ?
    si c'est le cas ne l'oublie pas.

    à+

    · Il y a presque 14 ans ·
    Photo du 04 12 2014 %c3%a0 09.19

    alexe

  • Excellent. J'aime le ton, le style, la fluidité et l'humour. Un plaisir de lecture. Merci

    · Il y a presque 14 ans ·
    Alice orig

    merielle

  • Merci beaucoup pour votre commentaire, Sabine. C'est effectivement le premier texte que je propose sur ce site et votre soutien me va donc droit au coeur. Je dirais bien que vous me faites rougir, mais ce serait difficilement compatible avec le rôle de salaud assumé dans le roman !

    · Il y a presque 14 ans ·
    Portrait orig

    grenouille-bleue

Signaler ce texte