L'annonce

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- "Bonjour, nom, prénom et date de naissance s'il vous plait?" Une secrétaire à l'air fatigué enchainait les dossiers en levant à peine les yeux vers les patients qui défilaient derrière la vitre de son box.

- "William Cetterno, avec un C. Le douze juin 1991." L'homme n'était pas très grand, des cheveux châtains coupés courts. Il portait un sweat à capuche foncé et un jean. Il aurait pu être de ces gens ordinaires qu'on oublie aussitôt après les avoir rencontré. Mais il avait ce regard vif et acéré, d'un bleu incongru, qui pouvait aussi bien rassurer que mettre mal à l'aise.

- "Alors... Cetterno... Cetterno... Voilà, William Cetterno. Vous aviez rendez-vous avec le Docteur Flemon c'est ça? Il est malheureusement absent aujourd'hui, mais vous verrez sa remplaçante. Tenez. Vous pouvez patienter en salle d'attente numéro trois. Vous continuez tout droit, puis ce sera le deuxième couloir sur votre gauche. Vous verrez des portes numérotées. Bonne journée." Elle lui glissa un feuillet d'étiquettes à son nom, en lui adressant un sourire peu authentique.

Il adressa un signe de tête en guise de salutation aux deux personnes présentes dans la salle d'attente : un homme d'une cinquantaine d'années, qui semblait ailleurs, et une petite femme du même âge, avec des cheveux courts dont la coloration blonde semblait récente, qui avait l'air de veiller sur le quinquagénaire.

La pièce était austère, avec des murs peints en blanc, et quelques posters présentant différents schémas du cerveau humain. Il s'installa sur une chaise inconfortable, avant de mettre son casque sur les oreilles et de lancer sa musique en fermant les yeux.


- "Monsieur Cetterno?"

Il rouvrit les yeux à l'instant où il fut appelé. Il retira son casque en se redressant, faisant tomber son feuillet d'étiquettes au sol. Il les ramassa en maugréant, avant de rejoindre la femme brune habillée d'une longue blouse blanche qui l'avait appelé.

- "Bonjour, je suis le Docteur Gharris, c'est moi qui vais vous recevoir en l'absence du Docteur Flemon. Suivez moi."

Elle le mena à travers les couloirs jusqu'à une salle de consultation exigüe, où trônait un petit bureau équipé, en tout et pour tout, d'un ordinateur et d'un téléphone. Elle l'invita à s'assoir sur une chaise tout aussi inconfortable que celles de la salle d'attente, avant de prendre place à son bureau.

- "Bien. Comment vous sentez-vous aujourd'hui?" Elle avait une voix chaleureuse et des yeux rieurs, mais son visage affichait un air grave.

- "J'ai toujours quelques maux de têtes. Mais dans l'ensemble ça va..." Dit-il d'un air prudent. Il avait toujours été très doué pour lire le regard des gens. Et il n'aimait pas ce que les yeux de la doctoresse lui renvoyaient.

- "Vous continuez les antalgiques? Excusez moi, je relis rapidement votre dossier en même temps, et je vois que vous aviez évoqué avoir des voix, c'est bien ça?" Elle fixait l'écran de son ordinateur, les sourcils froncés.

- "Seulement le soir pour dormir si les maux de tête persistent. J'essaye de pas trop m'y habituer. UNE voix. Oui. C'est ce qui a conduit le Dr Flemon à me faire passer une IRM la dernière fois." Il se fit violence pour ne pas laisser sa jambe gauche battre la mesure, comme à chaque fois que l'anxiété le gagnait.

- "Je vois. Ne forcez pas trop quand même, si vous avez mal, vous avez un traitement prescrit. Ca ne sert à rien de garder la douleur quand vous pouvez vous en passer." Elle prit une longue inspiration en se réadossant à son siège. Elle fixait l'écran de son ordinateur, les lèvres pincées. Elle semblait hésiter sur la suite. "Bon. Nous avons les résultats de votre IRM." Elle tourna l'écran pour que William puisse le voir. "Vous voyez cette auréole blanche ici? Elle est située dans le lobe temporal droit. Cette zone gère, entre autre, l'audition." Elle montrait les zones en question du bout de son stylo en même temps qu'elle donnait ses explications.  "L'auréole blanche que vous voyez pourrait..."

- "C'est une tumeur qui expliquerait mes hallucinations auditives." Coupa William d'une voix neutre. C'était le résultat qu'il avait anticipé. Il resta impassible, se contentant de fixer la tâche blanche sur l'écran.

La doctoresse le regardait d'un air gêné.

- "Enfait, la compression provoquée pourrait engendrer des sortes de mini crises d'épilepsie, pouvant effectivement provoquer des hallucinations auditives. Il faudrait faire une biopsie pour confirmer le diagnostique. Dans l'immédiat nous ne pouvons rien affirmer..." Sa voix avait perdu l'assurance qu'elle affichait plus tôt.

William se pencha en avant, posant son front sur ses mains.

- "Donc j'serais juste un cancer? Boh... Ca m'va." Nargua la voix, qui profita de la nouvelle pour faire irruption. Elle n'avait pas décroché un mot depuis des jours. William s'était même demandé si elle n'était pas finalement partie.

- "C'est pas le moment..." Fit-il, les yeux crispés et fermés.

- "Ecoutez, plus tôt on confirmera le diagnostique, plus tôt on pourra démarrer un traitement. De plus, encore une fois, nous ne pouvons pas affirmer que c'est une tumeur maligne. En général, les cancers dans cette zone créent des troubles du langage, ce qui ne semble pas être votre cas. Le tableau que vous présentez est plutôt atypique de ce que j'en sais. Nous devons faire plus d'examens..." Elle avait cru que William s'adressait à elle. Elle tentait de trouver des arguments rassurants et encourageants.

- "Elle rame sec la toubib... Elle sait que t'es du métier? Elle est pas mal quand même... Tu veux pas lui demander son numéro?" Fit la voix.

- "Ferme la..! C'est pas le moment j't'ai dit. Surtout pour dire des conneries..." Souffla William.

- "Je sais que l'annonce n'est pas simple mais..." Commença à s'indigner la doctoresse.

- "Pardon, ce n'était pas pour vous... Je crois que je suis en train de faire une nouvelle crise d'épilepsie, si vous voyez ce que je veux dire..." S'excusa-t-il en se redressant. "Oubliez la biopsie et les examens complémentaires. Merci docteur." Conclu-t-il en se dirigeant vers la porte de la salle de consultation.

- "Att.. attendez ! ne partez pas comme ça! je..."Fit-elle, mais il s'était déjà éclipsé dans les couloirs blancs de l'hôpital.




- "Qu'est ce que tu fous? Tu vas rien faire? Tu vas me laisser te crever à petit feu? J't'ai connu plus combatif, Will..." Railla la voix.

William s'était allongé au sol d'un module pour enfant dans un parc non loin de chez lui. Il aimait s'y poser la nuit pour regarder les étoiles en écoutant de la musique. Il y chérissait de lointains souvenirs. De bons souvenirs.

- "On croirait presque que tu préférerais que je te crame." Répondit-il d'un air las.

- "Non, pas vraiment. Mais techniquement, si tu calanches, je disparais avec toi. Y'a ptet un moyen de prolonger un peu l'agonie non?" Rétorqua la voix.

- "Prolonger l'agonie... Putain, y'a pas à dire, t'as vraiment des arguments convaincants..." William fixait son étoile favorite. Une petite étincelle qui brillait en direction de l'Est. Elle apparaissait tôt dans la nuit, non loin de l'étoile polaire. "Après tout, j'vais p'tet pas crever si tôt... Si t'es bien une tumeur, ca voudrait dire que je fais crise d'épilepsie sur crise d'épilepsie, vu la fréquence à laquelle tu viens me faire chier. Et franchement, soit je suis déjà complètement grillé et je me rends plus compte de rien, soit on est très loin des cas typiques d'épilepsie..." Il ne savait pas s'il devait pleurer, rire, hurler... Il se sentait figé de l'intérieur.

- "Si ca se trouve ils se sont plantés de radio, c'est un autre pauvre type qui se trimballe avec une pêche dans le crâne, et toi t'es juste un dingue de plus qui parle tout seul." Fit la voix.

William médita quelques instants cette possibilité. Il était peu convaincu.

- "Mouais... Désolé mais j'achète pas cette hypothèse..." Il se repositionna un peu plus confortablement sur le sol dur du module. "Tais-toi un peu, tu veux? J'aimerai pouvoir penser un peu. Seul." Il monta le son de sa musique, et ignora la remarque de protestation de la voix, qui fini par accéder à sa demande.

William passa la nuit à se plonger dans son passé, et à admirer son étoile.



TTR.




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