L'appel de Londres (deuxième partie)

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En circulation depuis le début des années 1860, le métro de Londres traîne une injuste mauvaise réputation. On le dit cher (c’est vrai), difficile à utiliser (une excellente guide et un peu d’acclimatation au départ suffisent) et sale (c’est à se demander si l’auteur de cette dernière ânerie a eu, ne serait-ce qu’une seule fois, l’occasion de mettre un pied dans le métro parisien).

Le tube, comme il est plus juste de le nommer, nous emmène aujourd’hui vers le nord-ouest de la cité. Sur le trajet, un arrêt à la station Bond Street nous rappelle qu’en 1978, les Jam de Paul Weller ont pris la pose au bout de ce même quai. La photo devait servir de pochette pour leur sixième 45 tours, Down in the tube station at midnight, dont le fond sonore en ouverture a été enregistré à St John’s Wood, l’endroit même où nous descendons.

Au bout d’un escalator, soudainement devenu interminable, on voit poindre la lumière du jour. Là haut se trouve la sortie et à quelques rues de là, Abbey Road. Tandis que le pas se fait instinctivement plus pressant, on s’attarde à peine sur le panneau indiquant la direction des célèbres studios d’enregistrements du même nom.

A l’empressement initial vient se mêler, semble-t-il, une anecdotique lacune de vocabulaire puisque les quelques rues précitées se transforment en pâtés de maisons. Rapidement, on se rend à l’évidence : on fait fausse route. Toutefois, à l’envie de maudire Brian, héros de la poignante saga scolaire Imagine you’re english, son histoire de kitchen et sa foutue umbrella, on préfère en sourire et profiter du coin.

Le soleil printanier donne à ce quartier résidentiel tout de briques vêtu des couleurs magnifiques. L’erreur d’orientation n’est d’ailleurs plus qu’un souvenir lorsque l’on finit par arriver sur l’artère convoitée. Au loin, un attroupement laisse deviner la direction à prendre. Malgré la circulation, Abbey Road est une rue étonnamment calme où l’animation se concentre essentiellement à proximité du n°3 : l’adresse des studios EMI dans lesquels les Beatles ont enregistré leurs albums. Après eux, Pink Floyd, Radiohead ou encore Elliott Smith viendront peaufiner leurs œuvres.

Abbey Road et sa baie vitrée. Abbey Road et ses escaliers où, pendant l’enregistrement de Wish you were here en 1975, David Gilmour et Rick Wright, du Floyd, venaient prendre leurs pauses. Abbey Road, enfin, et son passage clouté. De loin, le plus célèbre au monde.

Chaque jour, de nombreux touristes viennent se faire photographier en train de traverser la rue à la manière des Beatles. Les poses prêtent parfois à sourire. Là où les quatre garçons déambulaient nonchalamment, les modèles d’un jour semblent, pour la plupart, figés. Bustes bombés, bras formant un parfait angle droit à hauteur des coudes, jambes en V, on s’approche parfois plus de Robocop au pays des Fab Four que de Mc Cartney & co en route pour la postérité.

Un rapide coup d’œil, à quelques pas de là, sur le grand oublié de l’histoire (le passage piéton de Grove End Road) et on répond à l’invitation d’un vieux bonhomme venu sur place faire de la publicité pour la boutique dédiée aux Liverpuldiens qu’il a aménagée dans l’entrée de sa maison. Située à deux rues de là, sur Violet Hill (clin d’œil à Coldplay), cette dernière se révèle être un petit coffre à trésors d’où l’on ressort avec la promesse du maître des lieux qu’il viendra, un jour, en Corse. Il adore le Sud de la France, connaît le Lavandou et sait d’ores-et-déjà que l’île est accessible depuis le port de "Toulonne".


Le périple se poursuit du côté de South Kesington. Entre le Natural History Museum, au charme suranné, et Kesington gardens, on retrouve l’imposant Royal Albert Hall, l’une des salles de spectacles les plus célèbres de Grande Bretagne. Après avoir accueilli la crème du rock international, le bâtiment ovale, où a été enregistré le Remember that night de David Gilmour, attend les venues, d’ici quelques jours, de Jackson Browne et de Crosby, Stills & Nash.

Une "rapide" traversée de Hyde Park, où a eu lieu le célèbre concert du Live 8, en 2005, nous ramène vers le métro grâce auquel on rejoint un Londres moins bucolique. Celui des marchés, de la culture punk, des façades bigarrées et gothiques : Camden.

Pour reprendre les mots de Guillaume Ledoux, l’endroit « sent bon la canaille et les jeux à gratter ». Si les Sex Pistols sont nés bien plus loin, au 430 King’s Road, adresse où se situait Sex, la boutique de leur manager, Malcolm Mc Laren, les Clash, eux, ont débuté ici. En 1976, ils y ont installé un local de répétitions baptisé "Rehearsals rehearsals" dans un bâtiment désaffecté.

Camden est un tel fourre-tout qu’on pourrait inlassablement y passer des après-midi sans pour autant arriver à en faire le tour. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que des milliers de personnes s’y pressent chaque jour.

Moins prisé, Archway, plus au nord, vaut le détour pour son célèbre pub, The Archway Tavern, qui servit de décor, en 1971, au Muswell Hillbillies des Kinks. Laissé quelque peu à l’abandon, l’édifice impressionne par son architecture à mi-chemin entre maison hantée et bâtiment officiel.

Tout aussi imposante : la centrale de Battersea, au sud de la ville. Fin 1976, au cours d’une balade, Roger Waters, bassiste et parolier de Pink Floyd, est frappé par son aspect « abandonné et inhumain » et choisit de s’en servir pour la pochette d’Animals. Construit dans les années 30 et doté de ses quatre cheminées si caractéristiques quelque vingt ans plus tard, l’œuvre de Giles Gilbert a définitivement fermé ses portes en 1980. Le site a été, depuis, déclaré patrimoine historique. En cours de réhabilitation, l’usine risque, hélas, d’être prochainement entourée d’immeubles modernes.

Quitte à se trouver de l’autre côté de la Tamise, on ne résiste pas, enfin, à l’envie d’aller faire un tour dans le très populaire Brixton, le quartier de naissance de David Bowie et de Paul Simonon, bassiste des Clash. Si ce dernier s’en souvient en des termes élogieux (« C’était un endroit fantastique pour un enfant : il grouillait d’énergie et sa population métissée lui conférait une atmosphère unique »), l’endroit a connu des heures sombres. Simonon évoquera d’ailleurs la répression policière dans Guns of Brixton (samplé en 1990 par les Beats International de Norman Cook, ex Housemartins et futur Fat Boy Slim).

Le périple touche à sa fin. Plutôt qu’énumérer tout ce qu’il restait encore à faire, on préfère s’attarder sur ce qui a été fait. « Quand un homme est fatigué de Londres, il est fatigué de la vie », écrivait Samuel Johnson. Dans ce cas, que Saint-Pierre ne prenne pas encore nos réservations en compte. Parce que la seule envie qui nous vient à l’esprit, c’est d’aller chercher Hard day’s night des Beatles, de zapper les douze premières chansons pour écouter la dernière. Son titre ? I’ll be back.

Juin 2010

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