L’ara du cap’tain

Hervé Lénervé

L’ara, beau parleur, appât comme rabatteur des sirènes.

A gauche, sous sa boucle d'oreille d'or, il avait une vilaine cicatrise qui lui mangeait la joue jusqu'à l'oeil. A droite un ara, perché sur son épaule et entre les deux, une tête de boucanier, ce qu'il était au demeurant. Bien, que lui, se prétendît flibustier. Maintenant, on ne va pas se chicaner sur les termes, ce ne sont que des mots, pourtant certains en perdirent la vie pour si peu. L'homme n'était pas facile, il ne fallait guère le chercher. Il aurait pu être un agréable compagnon et l'on aurait pu prendre plaisir à écouter ses aventures pittoresques menées sur toutes les eaux des Antilles, mais l'homme était mal conseillé.

Dans ses moments de soulographie dans tous les bouges des îles éparses, une voix rocailleuse lui soufflait souvent le pire. Son perroquet était atrabilaire et ne possédait aucun humour, son second degré était primaire.

L'homme s'appelait « Cap'tain », c'est du moins tel qu'on le surnommait, car personne n'avait jamais connu son véritable nom. Quant à l'intéressé, lui-même l'avait oublié. L'ara s'appelait Philomène, il n'avait pourtant rien du rossignol. De toute façon, les perroquets finissent toujours par s'appeler tous Coco, aussi nul ne connaissait davantage son patronyme, si ce n'était l'oiseau, car lui avait la mémoire claire sans brume enrhumée des vapeurs de rhum. Il ne buvait que de l'eau.

Philomène n'était pas charitable, il laissait cela aux hommes de bonne volonté, lui, sa volonté c'était celle de tuer par procuration. Il avait sous les serres, le bon instrument pour faire cela, car notre cap 'tain était adroit de son coutelas et ne rechignait pas à le tirer à tort et à travers pour le planter au travers de la moindre remontrance, fusse-t-elle qu'une gentille taquinerie. Combien d'écumeurs, combien de chevaliers de fortune en portent aujourd'hui le souvenir, pour peu que vie leur fut épargnée.

Dans ces lieux de libertés, la vie d'un homme était peu de choses, elle allait un jour sur des alizées et n'en revenait qu'alitée dans une boite de mauvais bois.

Janvier 1633, vent froid, mer agitée, le bateau remonte au prés serré en tirant des bords. On n'y voit pas à dix brasses. Il a une certaine gueule le capitaine derrière le mât d'artimon, grand, raide, taciturne, une allure à la Corto Maltese. Il a une certaine aura avec son ara perché sur l'épaule.   Dans les embruns une voix, un chant appelle. On l'entend par moment puis on le perd dans les vents. Il tournoie, il chuchote, il susurre, il dit : « vient mon beau marin ! Je t'attends ! Je t'attends depuis trop longtemps déjà. Maintenant, je te veux, veux-tu de moi ?» Arrimé à la barre, le cap'tain scrute les brumes. Il croit y voir par instant l'image évanescente d'une jeune femme, bras ouvert, poitrine offerte, sourire ravageur, regard ensorceleur. La Femme qu'il a cherchée en vain sous toutes les allures, sur toutes les mers. Il l'aime déjà, banal, il l'a toujours aimée. Maintenant, on ne parcourt pas les Océans sans en connaître les tentations, le chant des sirènes, aucun marin de ce nom n'y succombe. Notre homme connaît les mœurs assassines des ondes marines. Il n'est plus de la naïveté du mousse épris, ébloui par ce miroir aux alouettes. Il ignore dédaigneusement les appels. « Passe ta nage démone, je ne suis pas ton homme ! A d'autres, dans leurs lits, je me donne !  »

-         Croa ! Ecoute ton cœur ! N'écoute plus les recommandations de ta pute de mère. Elle t'a abandonné gamin. Soit un homme ! Croa de merde !

-         Ta gueule Coco ! Ferme ton bec de malheur !

-         Regarde, comme elle est belle ! As-tu déjà vu une femme aussi belle ?

Non, de sa vie, jamais, il n'avait rien vu de si beau, ni le disque rouge grand comme une planète, déteindre dans les flots en s'y baignant, ni la cicatrise de l'éclair déchirant la toile noire de la nuit, ni l'intrépide goéland défiant le soleil, ni le même blond, de plomb, pesant sur les frégates.

-         Croa ! Depuis le temps que tu boucanes, quand prendras-tu le temps du réconfort à l'extérieur du rhum ? Croa ! Quand deviendras-tu celui que tu cherches dans les bras de celle que tu recherches depuis toujours ? Croa ! Laisse-toi aller, mon gars, il est grand temps pour toi de te poser au rivage. Oublie le grand large. »

Il est déjà terrible de résister aux chants des sirènes, seul, alors comment le faire quand votre meilleur ami vous encourage au contraire. Vous, peut-être, y auriez-vous réussi, car vous avez une vie. Notre homme n'en avait pas, il succomba.

Plus personne n'entendit parler de « La Fulgurante » ni de son équipage, ni de son capitaine, dont on ne connaissait rien, ne serait-ce même jusqu'au nom. Seul revînt au port, un magnifique ara rouge et vert qui se trouva, bien vite, une autre épaule solide pour parcourir les mers.

 

Aout 2017, j'achetais dans une échoppe aux Antilles, une bouteille de rhum dans laquelle voguait un magnifique voilier. Rentré chez moi, je la posais sur un secrétaire. Parfois, par des nuits de pauvre solitude, s'échappe de son goulot des sons de flots. J'entends un homme déclamer des poèmes d'amour à sa belle et un chant cristallin lui répondre par la voix de Cybèle « je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai à l'infini. Le temps ne peut plus rien contre nous. Nous avons tué la vie du temps, seul reste notre Amour embouteillé à jamais dans l'oubli de l'éternité des siècles. »

  • De temps en temps, je m’auto-commente, si ce n’est pas de la prétention ça ? « Le perroquet qui rit, ça ne le fait pas ! L’ara qui rit, c’est mieux. »

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • So romantic!!!

    · Il y a plus de 6 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

    • Merci ! Mais le romantisme c’était pour hier, aujourd’hui, ça se gâte un peu. Tu verras.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • J'adore les histoires de pirates, la flibuste et tout ça, je me suis régalé, pis c'est bien écrit en plus

    · Il y a plus de 6 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • Les histoires de pirates ont tous les ingrédients, aventure, exotisme, alizées des mers chaudes et ces bateaux beaux comme des vaisseaux et majestueux comme des monstres de bois, de tissus et de cordes qui défient les tempêtes, enfin tous les ingrédients pour séduire le romantisme des enfants que nous sommes un peu restés. Si un peu, quand même.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • C'est ben vrai, et j'ai vu au moins trois fois "Pirates" de Polansky, qui joue avec tous ces ingrédients, et qui est un VRAI film de Pirates malgré tout, pas comme cette cochonnerie de "pirates des caraïbes" aux décors remarquable certes mais au scénario complètement crétin

      · Il y a plus de 6 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

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