L'Arbre Crochu

Lunapple

J'ai toujours connu Juliette. Même avant notre naissance, on se connaissait, nos mères étant amies depuis longtemps. Elles semblent même s'être rapprochées, depuis quelques jours. La mère de mon amie n'arrête pas de venir chez nous en pleurant avant que ma mère ne la console. Celle-ci ne veut jamais que j'écoute leur conversation, car je suis trop jeune, selon elle. Quinze ans, ce n'est pas si jeune !


Chaque soir, c'est la même chose ! La mère de Juliette vient voir ma mère pour parler dans le salon, et ma mère me demande d'aller jouer dans ma chambre, car elles veulent être tranquilles. Je crois que cela a un rapport avec Juliette, car je n'ai plus le droit de prononcer son nom, devant sa mère. Mais je ne comprends pas ! Elle n'a pas disparu, comme le dit si souvent sa maman, puisque je la vois tous les soirs ! Malheureusement, Juliette m'a fait promettre de ne jamais dire où se trouve notre coin secret et puisqu'elle est là-bas, je ne peux pas dire à sa mère qu'elle n'a pas disparu.


Chaque soir depuis la soi-disant disparition de Juliette, j'attends que mes parents s'endorment, puis je sors de ma chambre par la fenêtre. C'est facile ! Je suis au premier étage. Je m'assure ensuite que mes parents ne se sont pas réveillés, puis je cours vers la forêt derrière ma maison. Chaque fois que je crois entendre un bruit, je me répète la même phrase dans la tête :

« Ici, pas de bruit. Tout est dans ma tête »

Ça me calme. Finalement, j'arrive à l'arbre crochu, notre coin secret. Comme d'habitude, Juliette est là, mais depuis quelques jours, elle ne me parle plus. Je crois que cela a un rapport avec le fait que son père l'a touché sans ses vêtements. Je n'ai jamais compris où était le mal là-dedans, et quand je le disais à Juliette, elle me répliquait que je ne comprenais rien, car j'étais folle. Mais je sais que je ne suis pas folle ! J'ai juste manqué d'air à la naissance, c'est ce que ma mère m'a dit. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je ne pense pas que ce soit important.


Je viens m'asseoir près de Juliette et me mets à l'observer à la dérobée. Elle porte toujours la même robe, car c'est la seule robe qu'elle aime. Je l'aime bien aussi, mais elle commence à sentir mauvais. Ou peut-être que c'est Juliette, car elle ne quitte jamais cet endroit, donc elle ne se lave plus. J'essaie souvent de lui dire que l'hygiène, c'est important, mais elle ne répond pas. Elle ne répond jamais. Elle ne fait jamais rien, sauf regarder devant elle, les yeux perdus dans le vague. Des fois, j'ai envie de la ramener chez moi, parce que je veux lui montrer mon nouveau poisson rouge, mais elle est accrochée à une vieille branche crochue, d'où le nom de cet arbre.


J'arrivais à aller sur la branche, avant, car Juliette m'aidait à grimper, mais maintenant, elle veut juste la garder pour elle toute seule. Quelquefois, pour passer le temps, j'essaie de la faire parler, car je ne me rappelle plus de son de sa voix, mais elle n'ouvre jamais la bouche.


Mais je la comprends un peu. Quand on est mort par pendaison, on n'est pas très bavard ensuite.

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