L'Arc d'Eros, Chapitre Quatre
Ecriveuse
Ce samedi de mai, la matinée ensoleillée promettait déjà une journée délicieusement agréable. Le ciel azuré, pur de tout aspect nébuleux, donnait cette impression particulière d’infini et d’éternité.
Finalement, même les terribles courses du week-end pouvaient ne pas paraître si corvéesques que ça. Et puis quand il faut, il faut, surtout lorsqu’on a le casting de toute la famille qui doit venir déjeuner le lendemain midi.
Je mis donc le moteur en marche et démarrai après m’être assurée que j’avais bien et carte bleue et liste de ce que je devais acheter.
Curieusement, au moment où je prenais la route, la sensation de ne pas être seule dans la voiture me frappa, et, allez comprendre pourquoi, je ne pus m’empêcher de penser à Éros. Deux mois pleins s’étaient écoulés depuis sa dernière visite et un accès de pitié inattendu me serra un peu le cœur en revoyant son visage d’éphèbe en larmes sincères, les premières sans doute depuis des centaines d’années. Oh, bien sûr, il n’avait pas pleuré sur les autres, uniquement sur lui-même (je me demande si Narcisse n’était pas un de ses cousins éloignés) mais n’empêche : être le témoin direct (pour ne pas dire la responsable) de cet écroulement d’Ego Divin ne pouvait pas me laisser réellement indifférente.
J’en étais là dans mes pensées, quand à nouveau, la sensation de ne pas être seule se fit ressentir. Tout en roulant, je jetai machinalement un coup d’œil autour de moi mais non, personne. Haussant les épaules, me moquant de ma paranoïa soudaine, je tournai le bouton de l’autoradio et laissai la voix de Lynda Lemay envahir l’habitacle. Pour une fois, je ne l’accompagnai pas. Une intuition dont je n’étais absolument pas maîtresse me soufflait que quelque chose était sur le point d’arriver mais du Diable si je savais quoi.
Je tâchai de me raisonner : j’étais seule, il me restait encore une dizaine de kilomètres à parcourir, et ma journée ne faisait que commencer. Je me concentrai donc sur la route en me disant que décidément, j’avais besoin de vacances puisque ces impressions bidon étaient sans doute le fruit de mon inconscient qui essayait désespérément de m’envoyer un message.
Et c’est là que je la vis.
D’abord de loin. Une forme imposante qui semblait prendre toute la largeur de la voie… J’aurais pu à ce moment-là faire demi-tour. Peut-être même aurais-je dû. Mais bien entendu, je me contentai de ralentir en pensant qu’au pire je pourrais sans doute contourner l’obstacle.
Sauf que.
Plus je m’approchais, et moins ce que je voyais me semblait réel ; mettez-vous à ma place deux minutes : croiriez-vous vos yeux si d’aventure ils voyaient une huître fermée géante (géante oui, de taille humaine pour vous donner une idée) au milieu d’une route que vous connaissez par cœur ?
J’arrêtai le moteur, serrai le frein à main et enclenchai les feux de détresse (on a certains réflexes comme ça). Je me souviens avoir mis mes coudes sur le volant, mes mains sur les yeux et m’être répété comme un mantra ‘ce n’est pas possible, je deviens cinglée, ce n’est pas possible, je deviens cinglée’ pendant plusieurs minutes avant de me risquer à écarter les doigts pour vérifier soit que j’étais vraiment cinglée et qu’il n’y avait rien, soit que je n’étais pas cinglée et qu’il y avait bien une huître géante devant moi, ce qui ne risquait pas de me rassurer.
Et force fut de constater que non, je n’étais pas cinglée, et oui, je commençais à flipper.
Pourtant, contre toute attente, cette chose me rappelait un tableau célèbre… Pour me donner contenance et reprendre la maîtrise de mes nerfs qui menaçaient de lâcher à tout instant, je me forçai à retrouver le titre de ce tableau.
Au moment où la mémoire me revint enfin en partie (puisque le nom de l’artiste m’échappait encore), l’Huître commença à s’ouvrir et fascinée, terrifiée, tétanisée, j’assistai en direct à ‘la naissance d’Aphrodite’.
Une chevelure dont la cascade dorée eût pu faire honte au Soleil, des yeux en amande à la couleur hypnotique ressemblant à la profondeur insondable des océans antiques, un nez mutin, droit, grec (forcément), des lèvres délicatement ourlées, d’un rose nacré, des pommettes hautes, merveilleusement proportionnées, à la symétrie parfaite, un corps délié, dont les mensurations étaient sans nul doute exactement égales au nombre d’or si cher à Léonard de Vinci.
Subjuguée par cette apparition, j’en oubliai le côté irréel de la situation.
Elle me fit signe d’approcher.
Mécaniquement, je sortis de la voiture.
« Heu, b… b… bonjour, balbutiai-je, vous êtes en panne ? (bah oui, vous auriez dit quoi vous ?)
– Bonjour Écriveuse, me sourit-elle, dévoilant une dentition aussi parfaite que le reste de son anatomie. Perdue ? Moi ? ajouta-t-elle en éclatant d’un rire cristallin. Non, je t’attendais ! »
Ben voyons… Mais pourquoi ça n’arrivait qu’à moi ?
« Hum… vous ? Vous m’attendiez ? Moi ? répétai-je, toujours inquiète mais un tantinet flattée.
– Absolument ! » rétorqua-t-elle de sa voix musicale.
Il existe des moments où le temps semble suspendu. J’étais en train de vivre un de ces moments. J’avais déjà eu un avant-goût avec Éros, et par deux fois, quoiqu’en l’occurrence le temps était VRAIMENT suspendu lors de nos deux entretiens. À force de volonté, je parvins à détacher mon regard de la Déesse pour me rendre compte, que comme son fils, elle avait également arrêté le temps (pour preuve, en plein milieu du ciel, les oiseaux en plein vol ne bougeaient plus).
Tout à coup, je sursautai et ne pus m’empêcher de m’écrier :
« Botticelli !!! La naissance de Vénus !!! C’est de Botticelli !!! »
Elle me dévisagea, perplexe quant à la raison de mon soulagement soudain.
« Pardon, dis-je en sentant mes joues virer au pourpre. Mais lorsque j’ai vu votre Huître s’ouvrir, je cherchais qui avait peint ce tableau auquel la scène me faisait penser… D’ailleurs, ajoutai-je après un instant de réflexion, il ne vous avait pas représentée émergeant d’une Huître mais d’une coquille St Jacques, si mes souvenirs sont bons.
– En effet, sourit-elle avec la patience que l’on réserve aux simples d’esprit ou aux enfants. Mais il trouvait l’Huître moins poétique que la Coquille.
– Oh, je vois. »
À ce stade, j’aurais donné n’importe quoi pour tâcher de faire bonne figure et trouver quelque chose d’intelligent à dire mais le vide intersidéral seul répondit à mes espoirs.
Le silence s’installa donc. Un silence pesant, qui me faisait prendre conscience de mon manque flagrant de charisme : pas coiffée, pas maquillée, fringuée à la va-vite, et elle qui continuait de me dévisager de manière soutenue.
Mon Ego menaçant de s’effondrer, je décidai de faire fi des différences qui nous opposaient de manière aussi évidente (d’un autre côté, entre une mortelle et une Déesse, je ne suis pas certaine que l’on puisse vraiment parler de ‘différences’ !) et osai enfin articuler (du moins, je crois avoir articulé) :
« Vous disiez m’attendre ? Et en quoi puis-je vous aider ?
– Disons que ce qui m’amène est un peu délicat et que j’ignore quelle sera ta réaction quant au marché que je souhaite te soumettre.
– Un marché ? m’étranglai-je de surprise. Quel genre de marché pourrions-nous bien avoir toutes les deux alors qu’en claquant des doigts, vous pouvez tout obtenir ?
– J’ai quelque chose à te montrer, viens avec moi, dit-elle sans répondre, me tendant la main pour que je la rejoigne dans l’Huître.
– Heu, n’y voyez aucune offense mais moi et les fruits de mer… »
Un instant j’aurais juré voir ses yeux virer au noir.
« Ne fais pas l’enfant, je ne te veux aucun mal », continua-t-elle.
Mouais, c’est ce que devait dire le Grand Méchant Loup à tous les petits Chaperons Rouges du Monde et franchement je n’ai ni l’allure, ni la naïveté, ni la couleur d’un Chaperon Rouge.
D’un autre côté, la curiosité finit par prendre le pas sur la prudence (merci Pandore d’avoir ouvert ta satanée boîte!) et je saisis la main tendue en fermant les yeux, plus par réflexe que par réelle anxiété (vous ne me croyez pas ? Vous avez raison).
Aucune douleur, aucun malaise ne me transperça, aussi, lorsque la main d’Aphrodite lâcha la mienne, j’entrouvris les paupières. La surprise de ce que je découvris me laissa bouche bée durant d’interminables secondes.
« Je t’avais dit que je ne te voulais aucun mal, enfin pour le moment, » me susurra-t-elle doucereusement.
Je me disais aussi !
Nous nous tenions à l’intérieur d’une sorte de grotte d’après ce que je pouvais en constater. Les parois suintaient d’humidité salée, creusant des sillons à même la roche.
« Où sommes-nous ?
– Sous un Océan. »
Je ne suis pas claustrophobe, mais j’avoue que là, il y a des limites. Savoir qu’à quelques mètres au dessus de ma tête… Rien que d’y repenser, les sueurs froides reprennent en force.
« Et on fait quoi sous un Océan ? demandai-je en luttant contre la panique.
– Retourne-toi et regarde, vois de quoi tu es l’entière responsable ! »
Je n’étais pas certaine d’avoir envie de savoir, vu le ton où perçait une menace à peine voilée, mais je n’avais surtout pas le choix. J’obtempérai donc, non sans une légitime appréhension, me triturant les méninges pour tenter de comprendre à quoi elle faisait allusion.
Je ne distinguai d’abord que l’obscurité bien sombre, bien opaque, puis, mes yeux s’y habituant, je discernai une forme recroquevillée au sol.
À l’instant même où je m’apprêtais à demander qui c’était, je sus, dans un éclair de conscience et me contentai de souffler plus comme un constat que comme une question :
« Éros ?
– Oui Éros, cracha-t-elle, vois ce que tu as fait de mon fils ! »
J’évitai soigneusement de lui expliquer que pour moi, il était mort, certaine qu’elle n’apprécierait pas.
Je soupirai donc :
« J’avoue que je ne comprends pas. Que suis-je censée faire à présent ?
– Décidément, je crois que l’on m’a trompée en me vantant tes capacités d’analyse et de déduction.
– Je n’ai jamais prétendu non plus être une flèche », soulignai-je, le stress de la situation commençant sérieusement à me faire perdre patience.
Un gémissement me coupa la parole.
Évidemment, parler de flèche devant Éros, c’était peut-être un peu maladroit.
« Bon en clair, vous voulez quoi de moi ? Que je lui rende son Ar…me ? me rattrapai-je de justesse, n’osant imaginer ce qu’aurait provoqué le mot Arc.
– Déjà, oui, pour commencer.
– Hein ? Comment ça pour commencer ?
– Tu ne crois quand même pas t’en tirer à si bon compte ?
– Il me semble que pourtant…
– Pourtant quoi ? Tu l’as méprisé, ridiculisé, humilié et pour finir, tu l’as blessé !
– En l’occurrence, il l’avait un peu cherché, rétorquai-je avec humeur, tout en maudissant mon orgueil démesuré de ne pas savoir la fermer parfois.
– Ah oui vraiment ? Je m’attendais plutôt à une expression de regret, de contrition, fit-elle avec un sourire mauvais.
– Sincèrement, je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus de toute façon.
– Il t’appartient de le rassurer et de lui rendre sa superbe.
– À dire vrai, je ne suis pas douée pour jouer les hypocrites, et n’incarne pas la brosse à reluire de l’Ego d’autrui, même d’Ego divin.
– Je crois que tu n’as pas compris que le choix ne t’appartient plus. »
Dans la mesure où engager un bras de fer avec une Déesse était une mauvaise idée (c’était comme jouer au tennis avec un marteau : stupide donc), je finis par lâcher :
« Ok, mais l’Arme est chez moi, et nous en sommes loin.
– Il te suffit d’ y penser pour qu’elle apparaisse dans ta main, me confia-t-elle avec un satisfaction.
– Je vais essayer. »
En effet, il me suffit de me représenter l’Arc pour le voir se matérialiser, une flèche encochée, comme toujours prêt à l’emploi.
Prêt à l’emploi ?
Je l’ai eue en plein cœur ! À ma grande stupéfaction d’ailleurs : je n’avais pas prévu de tirer.
Bon, l’avantage c’est que désormais elle m’aimait et que du coup, elle m’a même ramenée à ma voiture sans un coup d’œil pour la chair de sa chair. Mais l’inconvénient, c’est que désormais elle m’aimait et que du coup, je risquais de faire les frais de sa jalousie légendaire.
J’ignorais en effet si les conséquences étaient les mêmes pour les Dieux que pour nous autres pauvres mortels. Je gageai que ce ne serait pas éternel, et préférai ne pas imaginer ce qui se passerait le jour où la magie aurait cessé.
Je me contentai donc de soupirer de soulagement en me disant qu’à chaque jour suffisait sa peine et qu’il serait toujours temps d’aviser le cas échéant.
Inutile de pleurer avant d’être battue.
Et Jeanne d'Arc elle arrive quand ? Une seule remarque d'un picard pour les bétises : la ville est Cambrai. J'aime bien.
· Il y a environ 14 ans ·yl5
ça doit être mon côté dingue qui rend fan :p Mais j'aime quand mes bafouilles plaisent ;) Par ailleurs, je suis toujours preneuse de critiques constructives, tant sur la forme que sur le fond ;)
· Il y a environ 14 ans ·Ecriveuse
Complètement fan!
· Il y a environ 14 ans ·ko0