L'Arc d'Eros, Chapitre Six

Ecriveuse

Je faisais mon ménage, jonglant habilement avec mon chiffon, mes produits ménagers (c’est dingue le nombre de marques et de produits qui existent) et mon balai après avoir rangé chaque pièce, quand tout à coup, je me figeai.

Une chose avec plein de pattes, toute noire et toute velue me regardait droit dans les mirettes (et des mirettes, elle en avait plein aussi d’ailleurs) me défiant de l’écraser avec un coup de balai (ben oui, j’allais pas en plus l’écraser avec le talon puisque je fais le ménage pieds nus)(je ne suis pas complètement maso non plus !)(en plus ça en met partout une fois que ça a éclaté et il faut repasser le balai ET la serpillière). J’avais le choix : soit j’essayais de l’hypnotiser, soit je lui collais un coup de balai, soit je la prenais délicatement par l’abdomen pour la jeter dehors (ce qui en soit était résolument infaisable).

J’en étais là dans mes réflexions (d’ailleurs je n’étais pas loin de me demander si ce n’était pas elle qui cherchait à m’hypnotiser) quand une voix étonnamment féminine résonna :

« Je te fais si peur que ça ? »

Je fis un bond et tournai la tête de chaque côté :

« Qui ? Que ? Encore une invitée surprise ? C’est qui cette fois ? Athéna ? Artémis ? Je vous rappelle que mon procès ne comm…

–   En plus tu parles toute seule ? C’est pas gagné dis-moi ! »

Je faillis me ruer hors de la pièce, mais mon courage légendaire, ce courage qui frôle parfois la témérité, reconnaissons-le (qui a dit mon orgueil?) me firent regarder à nouveau la bestiole qui me faisait face.

« Non, c’est impossible…

–   Qu’est-ce qui est impossible ? Tu prétends parler avec des Dieux Grecs, et tu ne veux pas admettre qu’une arachnide puisse être douée de parole ?

–   … c’est sûr que vu comme ça », laissai-je tomber, la perplexité me rendant brutalement muette.

Je lançai fébrilement un regard vers le téléphone avec l’envie folle de faire le 15, ou le 17 ou le 18, suivant le degré d’urgence de la surchauffe de mes deux derniers neurones qui menaçaient d’exploser, sans doute particulièrement énervés de ne pas être entendus quand ils me crient que je leur en demande trop et que j’aurais dû naître blonde, mais elle poursuivit :

« En quoi, une jolie et inoffensive araignée comme moi peut effrayer celle qui a blessé Éros et Aphrodite ? minauda-t-elle.

–   C’est surtout que tu es capable de faire mal avec ta piqûre, grommelai-je.

–   Ma morsure, je ne pique pas moi.

–   Mouais, en tout cas, tu es venimeuse, ça je suis prête à le parier.

–   Uniquement avec ceux qui m’exaspèrent ! Et puis toi, pour le moment, tu m’amuses, à rouler des yeux comme tu le fais en ne sachant pas trop quoi penser.

–   En plus d’être un insecte doué de parole, tu es extralucide, ironisai-je malgré moi (presque malgré moi).

–   Je suis beaucoup de choses oui et je crois qu’on est faites pour s’entendre : ton Ego est proportionnel au mien.

–   Ah ? Parce que les araignées ont un Ego ? éclatai-je de rire.

–   Les Araignées parlantes et extralucides oui, me répondit-elle un brin agacée.

–   Bon, admettons, et en quoi pourrions-nous nous entendre d’après toi ? Je ne gobe pas les mouches, ni aucun insecte d’ailleurs.

–   Moi non plus : je me nourris de vieilles peaux de ton âge qui font les imbéciles », susurra-t-elle en avançant de quelques centimètres.

Le courage a ses limites, et même mon Ego se le tint pour dit. Je me raclai la gorge et reculai d’un bon mètre :

« Ok, le message est passé ; c’est quoi le deal ?

–   Rien d’insurmontable.

–   Mais encore ?

–   Tu me gardes au chaud chez toi pendant quelques jours et je pourrai te rendre de grands services. 

–   La question qui me vient tout de suite, c’est surtout de savoir en quel honneur tu es là : je ne crois pas au hasard.

–   Et tu as raison de ne pas y croire ; disons que j’ai entendu parler de toi, et que j’étais curieuse de voir qui donnait autant de fil à retordre à ces m’as-tu-vu de pseudos Dieux. Et question fil, je m’y connais…»

Mon air incrédule dut la vexer, étant donné qu’elle se posa, d’un bond, sur mon pied gauche et qu’elle commença à grimper le long de ma jambe pour arriver jusqu’à mon épaule et me glisser à l’oreille :

« Vieille peau idiote, je mords, vieille peau intelligente, je sers bien. »

Je déglutis pour tenter de faire passer le nœud de ma gorge et répliquai, non sans une certaine lassitude :

« Le 7 octobre, je suis attendue… heu… comment dire… sur l’Olympe, et je doute pouvoir t’être utile d’ici là… J’ai pas mal de choses à faire, comme préparer ma défense au…

–   Procès, me coupa-t-elle, oui je suis au courant ; mais même là, je pourrai t’être utile.

–   Ah oui ? Vraiment ?

–   Cesse donc de ne pas me croire, ça devient vraiment pénible.

–   Avoue quand même que j’ai un peu de quoi douter non ? À commencer par mon état mental.

–   Ton état mental va très bien, rassure-toi. Mais je te propose un coup de main et dans l’état actuel des choses, tu ne vas pas refuser, ce serait… très très idiot », ajouta-t-elle l’air doucereux.

J’avais compris : idiot équivalait à morsure et sincèrement, je n’avais aucune envie de savoir l’effet que ça faisait.

« Je pense que je vais te croire sur parole. Tu as un nom ?

–   Oui, mais pour le moment, appelle-moi Mygale.

–   Original, remarquai-je, mais comment ça pour le moment ?

–   Voyons, tout d’abord, pas d’hypocrisie entre nous et ensuite, tu comprendras en temps et en heure.»

Non seulement, elle pouvait voir ce que je pensais (ou ce que je ne pensais pas d’ailleurs !)(quoique j’avais surtout l’impression que le second degré et l’ironie n’étaient pas choses qu’elle maniait couramment), mais en plus, elle faisait la mystérieuse, comme si la situation n’était pas déjà assez surréaliste comme ça.

« Bien, je vois que je n’ai pas le choix ! On va faire un essai, conclus-je.

–   Tu verras, nous ne le regretterons pas, ni toi, ni moi.

–   Il est vrai que toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre surtout contre les Dieux. Maintenant, si tu veux bien, je dois terminer mon ménage ; tu sais où dormir ?

–   Oui, j’ai élu domicile dans ta bibliothèque.

–   Dans ma bibl…, hoquetai-je, oh, et puis au point où j’en suis, grommelai-je encore.

–   Je redescendrai demain et nous aviserons d’un plan de bataille.

–   Oui, on va faire ça. »

Aussi vite qu’elle était montée sur mon épaule, elle descendit et fila vers l’escalier. Je restai un instant sans réaction avant de me dire qu’il ne me restait plus qu’à annoncer à ma moitié de pomme qu’une mygale avait trouvé refuge entre mes livres.

D’ici à ce qu’il ne put pas me croire…

Et bien entendu il ne me crut pas, surtout après être monté dans la bibliothèque et l’avoir trouvée résolument comme d’habitude, sans aucune présence étrange puisque Mygale prenait soin de tout camoufler à la vue de tout autre que moi désormais. Je décidai donc d’immortaliser cette rencontre comme les autres : je la notai scrupuleusement et en fis part à quelques amis qui, bien entendu, ne me crurent pas davantage que ma moitié.

Cela étant, mes blogueurs préférés trouvèrent dans cette histoire que j’avais la plume facile et me caressèrent dans le sens du poil en arguant que ces petites nouvelles se dévoraient en un rien de temps ; Moihyène, Pandora, Bonbonze, Lucifer, Ansiva, Thrak, pour ne citer qu’eux, étaient même unanimes : il était temps que je pense à faire un roman.

Sauf qu’ils ne parvenaient pas à croire un mot de ce que j’écrivais…


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