Larme
Sandra Mézière
Mon histoire commence un jour d’hiver incandescent d’une mélancolie douce et amère
Un jour où un irrationnel espoir vous donne la sensation de ne plus toucher terre
Un de ces jours où la vie semble d’une paradoxale intensité légère
Et donner un soudain sens même à votre pire et incompréhensible galère
Mes mots glissent, dansent, jaillissent, s’entrelacent et s’élancent
Vers ce jour où trois destins en un instant ont basculé en une macabre danse
Est-ce pudeur ou fierté d’avoir si longtemps tu ce qu’oublier malgré tout je n’ai jamais pu
Je l’ignore mais je sais qu’aujourd’hui je dois vous raconter cette histoire qui m’obsède
Afin que définitivement ma raison à la folie ne cède
D’abord vous parler de lui, lui dont j’esquisse inlassablement l’image à ce qu’elle en devienne délictueuse
Songeant à cette seconde troublante languissante et douloureuse
Ce tango visuel cette éternité joyeuse
Au souvenir brûlant de cette danse de regards violente et fiévreuse
Capturés captivés par cette évidence ravageuse
Repensant à cette scène vécue dans un délicieux et évanescent brouillard
Lorsque je lui avais demandé mon chemin par le plus heureux des hasards
Repassant sans cesse le film du cœur qui s’emballe de la raison qui s’envole du temps suspendu
Cette sensation de s’être immédiatement reconnus depuis toujours attendus
Ressassant les adresses fébrilement échangés avant de repartir chacun de son côté le cœur serré et léger
Comme si en un instant éblouissant un volcan avait tout emporté
Et que sa lave m’avait imprégné de son brûlant sentiment d’éternité
Ensuite vous parler d’elle, elle dont l’image m’épouvante et me hante
Elle qui, insolemment insouciante, n’avait pas su refuser la énième larme d’alcool
Méprisant d’un rire sardonique les rabat-joies que cela désole
Elle qui, armée de sa folie tristement ordinaire, de ses certitudes et de son audace assassines, se sentait invincible
S’enorgueillissant de ne pas écouter ce pressentiment indicible
Elle qui a repris le volant pour narguer la vie, narguer la mort, se donner l’illusoire sentiment d’exister
Par la vitesse et l’inconscience allant crescendo se laisser emporter et griser
Ne sachant pas qu’elle l’était déjà par l’alcool et son illusoire félicité
Ni que son cheval de Troie allait devenir l’arme de l’effroi
J’imagine en un éclair de seconde le regret fugace qui ne change rien à l’imminent
La musique dans ses écouteurs, un impromptu de Schubert dramatiquement en accord avec ce choc fracassant
Je sais seulement qu’il ne ressentira jamais plus la douce caresse du vent
Prince à jamais immobile à cause d’un crime sans mobile
Je sais seulement dans le journal avoir lu ces lignes dont la seule pensée me glace encore le sang
Alors demain quand le présentateur du journal télévisé parlera des vies achevées sur la route par milliers
En se réjouissant avec un sourire carnassier que leur pourcentage ait bien heureusement ce mois-ci baissé
Alors que sur cette nouvelle pour vous comme une autre vous allez zapper
Je songerai qu’il fait partie des milliers qui n’ont pas été épargnés,
Se révolter, crier, implorer, rien ne pourra y changer
Il aura cessé d’exister quand leurs routes se seront croisées
Depuis mes mots à la dérive me dévorent puis se laissent effacer
Au souvenir de cette journée qui me fait suffoquer
Lettre après lettre, l’un après l’autre, à jamais perdus condamnés
Noyés dans l’assourdissant silence
Avec eux meurt l’insensée évidence de cette coïncidence
De cet instant d’éternité fugace dont l’obsession m’emprisonne et m’enlace
Dont je ne saurai jamais si j’ai été la seule à éprouver la vertigineuse violence
Il serait devenu mon amant, mon ami, mon mentor
Pour lui, j’aurais fait de la vie un art, transformé le sable en or
Malheur à qui comme moi dessine des rêves d’un autre temps
Comme Solal Sorel Nemours Roméo Tristan
Funeste et fascinante valse des mots et d’un regard qui m’obsèdent
Dont la force dévastatrice fait que mes larmes cèdent
C’était un jour d’hiver et depuis pour moi l’été n’est jamais revenu
N’allez pas croire que mon histoire n’arrive qu’aux autres
J’ignore pourtant même si je peux dire qu’elle fut nôtre
Ce n’est malheureusement qu’une variante de tant de destins brisés, éclatés, saccagés
A cause de la bêtise qui confond insouciance et inconscience, courage et lâcheté, héroïsme et égoïsme.
Je n’éprouve ni colère ni amertume ni rancœur
Juste l’envie de verser une larme sur mon océan de douleurs
De leur dire votre larme pétillante peut devenir l’arme sombre du malheur
Redoutable et implacable, son ivresse n’était qu’un leurre de bonheur
Contrairement à celle, l’Amoureuse
Qui rend les bonheurs joliment tristes et les grisailles joyeuses
Je plains ceux qui pensent ainsi prouver une indépendance d’esprit
Oubliant qu’ils placent des vies inoffensives à leur merci
Juste pour éprouver ce fallacieux pouvoir et sentiment d’être rebelles
Pour rire d’avoir enfreint une loi qu’ils jugent inique s’estimant sans doute immortels
Et de briser à jamais ceux qui pourtant ne sont pas tels
Pour satisfaire Narcisse, méprisable cause aux conséquences si cruelles
Pour avoir l’audace de penser que la fatalité les épargnera
Et celle d’ignorer ceux que par leur faute peut-être elle frappera
Ne savent-ils pas que la liberté s’arrête où commence celle des autres
Et que l’impertinence cesse d’être attendrissante là où commence la violence
Mais où est la noblesse dans cette soif d’alcool et de vitesse
Par lesquelles il faut encore et toujours que des vies innocentes cessent
Je ne cherche pas à faire la morale ni à m’ériger en détentrice du bien ou du mal
Simplement à vous dire que la vie peut basculer à cause d’une larme d’apparence banale
N’oubliez jamais que pour lui en une seconde elle fut fatale
Et que je ne saurai jamais s’il était réalité ou juste un idéal
Maintenant, ne me restent que mes mots et ma raison en errance
Pour faire face à l’effroyable fracas de l’injustice et du silence
Sans doute vous dîtes-vous que c’est vain de vouloir vaincre par des mots mon désespoir
A moins qu’un seul d’entre vous ils ne dissuadent d’accepter la fatidique larme qui ferait plonger des vies en rose dans le noir
Trés beau texte et profond, tellement de monde vive cette situation
· Il y a environ 14 ans ·J'aime quand les mots livre des images, merci
dlaniger51
Sensualité exacerbée par la litanie sans ponctuation de mots rendant encore plus fluide et libre sa lecture. J'aime beaucoup
· Il y a plus de 14 ans ·maya