L'art délicat (et pourtant si mal vu) du mensonge

charlie

Avant de commencer à écrire sur le fond de cet épineux sujet, je souhaiterais tout d’abord expliquer pourquoi, dans ce titre, j’associe le mensonge avec cette notion, ô combien plus harmonieuse, qu’est l’art.
Tout commence une nuit de novembre et je partage mon lit avec une femme. Exposé de cette façon, on ne devine pas que cette cohabitation nocturne fait partie des choses les moins enthousiasmantes de ma vie actuelle. Je partage mon lit car il n’y a qu’un seul lit… Tard dans cette nuit (ou bien tôt dans le matin), je sens comme une faiblesse dans mon système immunitaire et les quelques sous de respect qu’il me reste pour ma colocataire du moment m’obligent à aller poursuivre ma petite crise dans le salon. A quatre heures du matin, même les sites internet ressemblent à une rue déserte. Je ne déteste pas la solitude. Je déteste encore moins la nuit. Les deux me font réfléchir. Petit retour sur ma vie d’avant. Quand je dormais peu et fourmillais d’idées…
Je me remémore alors les quelques mots échangés dans la journée avec la demoiselle qui, à quatre mètres de moi, n’a pas été abandonnée par Morphée. Vous commencez à deviner qu’avec cette fille, j’ai entretenu plus qu’une simple relation de colocation. Il devient clair que les événements de la vie ont un poil chamboulé les projets que l’on pouvait, à l’époque, conjuguer à la première personne du pluriel (nous). Et il devient évident qu’on préférerait, tous les deux, être éloignés physiquement puisque, psychiquement, les seuls liens qui subsistent sont plutôt basés sur une ignorance mutuelle, souvent entrecoupée d’un irrésistible besoin d’envoyer paitre l’autre sur une autre prairie que la sienne…
Aujourd’hui, aux yeux de cette demoiselle, je ne suis qu’un menteur. Et c’est à quatre heures du matin, avec la pointe de cynisme qui me caractérise, que je me suis aperçu que je n’étais pas ce qu’elle prétendait que j’étais. A moins que quelqu’un qui interprète sa vérité ne soit un menteur, je ne pouvais être qualifié de la sorte… La pièce était vide. Les rues en bas de chez moi également et je me défendais d’une remarque qui m’avait été faite quelques heures plus tôt… Autant se battre contre le fantôme de De Gaulle déguisé en drag-queen. J’aime les combats perdus d’avance et les causes indéfendables…
Ces quelques propos liminaires, s’ils expliquent pourquoi j’aborde aujourd’hui le thème du mensonge, ne justifient toujours pas pourquoi je compare cette traîtrise du quotidien à une forme d’art. Tout simplement parce qu’il me semble qu’il n’y a pas une seule forme d’art qui ne soit pas mensongère, d’une façon ou d’une autre. Un artiste contemporain donne sa vision des choses. Cette version déformée de la réalité, proposée par l’œil de son auteur est, d’une certaine façon, un mensonge. De même, quand l’art n’est qu’une nouvelle technique pour appréhender la réalité, il n’y a rien d’autre dans tout cela qu’une supercherie… Ainsi, une photographie représente une image à un instant X. Son observateur, s’il consent à ne se laisser tromper qu’un minimum, devra lui-même, faire l’effort de se placer à l’époque du cliché. S’il veut le comprendre, une certaine connaissance des faits, des circonstances qui entourent la photo sera nécessaire. C’est un premier rempart à la vérité emprisonnée dans ce petit bout de papier glacé. Prenez l’exemple de l’Afrique du Sud en plein Apartheid. Imaginez maintenant qu’un noir et un blanc, pour des raisons qui sont les leurs, entretenaient d’excellents rapports. Imaginez encore qu’un photographe passe par là au moment où ces deux hommes se donnaient une franche accolade entre deux sourires. Faudrait-il déduire de cette photo que le problème racial dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid n’était pas si alarmant que cela ?
Les déductions hâtives, les généralités (que nous sommes trop nombreux à faire) entrainent forcément des erreurs d’interprétations de l’art. D’ailleurs, l’artiste prend peut-être un certain plaisir à entretenir cette confusion entre la frontière du réel et du mensonger.
Si l’art est mensonge, laissez-moi la possibilité d’affirmer que le mensonge est un art. Comme tout art, il interprète une réalité, une situation avec une technique qui exige une certaine maîtrise. La suite de cet exposé devrait pouvoir le prouver.
A l’heure de poursuivre la suite des débats, il me parait opportun de définir le terme de « mensonge ». Après tout, il serait inconcevable de tenter d’expliquer une chose sans même prendre quelques temps pour décrypter la définition que nous en a donnée ce cher Pierre Larousse. Lors des recherches que j’ai pu faire à ce propos, j’ai trouvé les définitions suivantes. La première, qui me semble la plus idiote, décrit le mensonge comme le fait de mentir. C’est effectivement utile de le préciser mais avec cela, si nous étions des représentants de la race canine, on se mordrait gentiment la queue… L’on peut encore voir le mensonge comme le fait « de ne pas dire la vérité ». Il me parait que cette définition s’attache surtout à décrire une forme de mensonge. A entendre le dictionnaire dans lequel j’ai pêché cette définition, celui qui déformerait la vérité ne mentirait pas… Une définition, aperçue plus loin, attire mon attention. Le mensonge serait « une assertion contraire à la vérité ». (Il convient de comprendre le mot « assertion » comme « une proposition soutenue comme vraie »). 
Cette description du concept met donc en œuvre une situation où deux parties se retrouvent. L’une exige une explication sur des faits (ou fait sentir, par une pression quelconque, qu’elle souhaite cette explication). L’autre partie, dans une volonté de tromperie, soutient comme étant vraie, une proposition qui en réalité est fausse.
Ainsi, paraitrait-il pertinent de décrire le mensonge comme le fait de ne pas dire la vérité et/ou d’emmètre une proposition soutenue comme vraie qui, en réalité, s’avère être contraire à la vérité.
Alors que je pourrais tout de suite entamer la périlleuse aventure qui consisterait à expliquer pourquoi l’on ment, je préfère, dans un premier temps, tenter de décrire toutes les différentes formes du mensonge. Cette tentative de listing se veut exhaustive mais peut-être, par votre capacité à mentir (qui sera alors au dessus de la moyenne), vous en trouverez d’autres. Pour le moment, je garde la prétention que ma grande expérience de la chose me permettra d’être le plus complet possible.
Je commencerai par m’attarder sur la forme de mensonge qui nous est la moins accessible et dont nous sommes le plus souvent les victimes. Il s’agit du mensonge d’état. Cette carabistouille institutionnalisée n’est le jouet que des plus grands. Une cartouche supplémentaire dans l’arsenal du pouvoir. Un de nos anciens président de la république avait l’habitude de penser à propos de ce mensonge que « plus c’était gros, mieux ça passait ». C’est en effet une de ses caractéristiques principales et c’est en cela qu’il est différent du bobard des petites-gens. Chez nous, plus c’est gros, plus vite on se fait griller. Et il va de soi de rappeler que le but de tout menteur, au-delà de sa volonté de tromper, c’est surtout celui de le faire sans être rattrapé par la patrouille. Le mensonge d’état ne doit, quant à lui, ne jamais être trop petit. Une femme ou un homme politique qui viendrait à faire une promesse doit absolument ne jamais l’emmètre de telle façon qu’elle soit tenable. Car pour se faire, cette promesse serait ridicule. Tenir sa parole vaut moins que la poudre aux yeux pré-électorale. Quand on recherche le pouvoir, on préfère cent fois être en fonction est affublé de l’étiquette (plus ou moins lourde) de menteur ; plutôt que rater le train des responsabilités l’esprit clair de celui qui garde bonne conscience…
Dans la définition proposée plus haut, le boniment est décrit comme une proposition contraire à la vérité mais soutenue comme étant vraie. Cette proposition, si elle est le plus souvent orale, peut également être déduite d’un ensemble de faits. Le mensonge factuel est ainsi le plus vicieux que l’on puisse rencontrer. Le mensonge contenu dans une proposition orale peut être détecté par son destinataire (ou en tout cas, il peut être redouté, craint et donc supposé par lui). Le mensonge factuel, quant à lui, induit en erreur son destinataire qui, en constatant un ensemble d’évènements, croit en sa situation ou s’installe dans une vérité qui n’est pas celle dans laquelle il devrait croire. C’est le cas de celui ou celle qui donne des preuves d’amour à une personne alors qu’il ou elle se refuse d’avouer que ses propres sentiments ont changé.
Troisième forme envisageable : le mensonge accessoire. Comprendre par accessoire le fait qu’il ne s’applique pas sur le principal de la chose. Ici, la contre-vérité ne concerne pas la partie la plus importante des faits, qui reste définie dans son exactitude. Je reprendrai un exemple tiré des relations amoureuses, qui, à côté des relations de gouvernants à gouvernés, sont les plus propices à la tromperie. Lassée, épuisée, déçue ou bien trahie par son mari, une femme rencontre un autre Jules. Par un concours de circonstances qu’il serait inutile de décrire, le mari apprend la relation que sa femme entretient ailleurs. Et celle-ci refuse de contester cette vérité. Elle commet un adultère, ne le dément pas, ni ne s’en défend. Néanmoins, elle pourra ne pas être 100% honnête et mentir quand son futur ex époux lui demandera, par une curiosité mal placée, comment ils se sont rencontrés. Mentir à propos des conditions dans lesquelles ils se sont rencontrés ne changera rien au problème de fond. Il s’agit d’un mensonge accessoire.
Existe également le boniment de courtoisie. L’incidence de ce type de tromperie est assez limitée. Et à vrai dire, elle ne froisse que les plus susceptibles d’entre nous. Son faible degré de gravité fait qu’il est, de nos jours, très répandu. Ce subterfuge est souvent employé dans nos relations avec des inconnus ou bien avec de vagues connaissances. Les milieux mondains (ceux où l’on n’apprécie jamais de rencontrer tout le monde mais où l’on prétend le contraire) sont des terrains favorables à la pousse de ce genre de bobards. Ce mensonge se confond avec une forme d’hypocrisie où, par l’usage de quelques mots, l’on fait croire à son vis-à-vis que l’on est ravi de le revoir alors qu’on n’en pense pas le dixième. Ce mensonge est un peu l’arme des faibles qui préfèrent sagement se retrouver dos à dos avec le sourire tout en gardant pour soi toute sa haine, sa rancœur ou ses ressentiments envers l’autre. Il permet surtout de ne pas faire de vague dans un milieu bien pensant où le moindre écart de conduite est aperçu comme subversif.
Le cinquième mensonge que j’ai pu répertorier me parait être le plus grave. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, il me semble dangereux surtout parce qu’il n’implique personne d’autre que celui qui le raconte. Il s’agit du mensonge auto-persuasif. Se mentir à soi-même revient à croire en une réalité qui n’est pas la sienne. Mes connaissances quant aux phénomènes psychiatriques sont limitées, voire quasi-nulles, mais je ne dois pas me tromper en affirmant que nous sommes ici, en plein dans un cas pathologique. Il faut alors distinguer celui qui se créé une réalité dont il sait très bien qu’elle est fausse et celui qui en plus de se l’inventer, commence à y croire. Surement est-il possible de s’auto-persuader d’une fausseté quand cette dernière s’avère être rassurante et qu’elle permet d’affronter le monde réel dans de meilleures dispositions. Ici, ce mensonge ne fait qu’un moindre mal mais il exige de ne pas se reproduire trop souvent auquel cas, on glisserait très vite dans l’hypothèse de celui qui se crée une réalité et décide de vivre dedans. Vivre dans ses fantasmes est un thème très cher au cinéma contemporain et je ne connais aucun film traitant du sujet se terminant sur une happy-end.
Apparait également le mensonge inconscient. Celui-ci ne sert à rien et n’a aucun objectif particulier. Son auteur, pris d’une forme de mythomanie chronique, va, en réponse à une question sans incidence sur sa vie ou sa situation, sortir un bobard. D’un point de vue personnel, il m’est arrivé de répliquer à ce genre de question par un mensonge. De ce que je m’en souvienne, ma réponse, ce jour là, n’était pas réfléchie. Et je me suis même surpris, quelques minutes plus tard, à me demander pourquoi j’avais répondu de la sorte. Les raisons me sont toujours inconnues. Peut-être convient-il de ranger ces événements dans la catégorie des actes manqués. Ces choses que l’on fait inconsciemment et que l’on ne s’explique pas. Peut-être que ce jour là, je n’avais plus menti depuis si longtemps qu’une tromperie de la sorte était nécessaire pour mon équilibre… Comme un besoin de mon inconscient, une espèce d’accoutumance au bobard…
Pour être tout à fait complet, il conviendrait aussi de dire quelques mots sur le mensonge incroyable. Ou boniment "foutage de gueule". Celui-ci n'a pas de but précis et ne fais qu'illustrer le degré de mauvaise fois de celui qui le prononce. Il peut consister en l'affirmation stupide mais soutenue mordicus qu'un ciel sans nuage est vert et non pas bleu. Mais il peut éventuellement se rencontrer dans des circonstances plus graves. Exemple du videur de boite de nuit à qui l'on a donné la consigne illégale (et donc inavouable) de refouler tous les maghrébins qui se présenteraient à l'entrée du dancing. Il est minuit et demi quand un homme d'une vingtaine d'années souhaite remuer ses petites fesses sur la dernière compilation ragga/R'n'b de DJ goudemerde. La couleur de sa peau, même s'il fait déjà nuit noire, laisse comprendre que les ancêtres de ce jeune garçon ont certainement dû abîmer leurs souliers de l'autre côté de la méditerranée. Le videur, armé de son regard intransigeant, oubliera l'espace d'un court instant la manière dont on se sert d'une poignée pour ouvrir une porte. Bien habillé (chaussures de ville et chemise à manches longues), le jeune maghrébin (qui ne porte sur lui aucun signe ostentatoire) demande alors au videur quelques explications même si dans son fort intérieur, il sait pertinemment la raison de ce refus. Le portier récalcitrant, équipé d'une mauvaise foi à toute épreuve, prétendra qu'on n'accepte pas ceux qui viennent avec des chaussettes blanches sous un pantalon noir, rappelant au passage, les quelques règles fondamentales du bon gout vestimentaire... Personne ne croira ce mensonge et on s’aperçoit aisément qu'on se fout joyeusement de notre tronche quand on nous débite une bêtise pareille. Rappelons que le menteur, pour se permettre l'audace de sortir un mensonge incroyable, doit se retrouver dans une situation dominante par rapport à son interlocuteur (s'il ne l'est pas, c'est qu'il est un peu cinglé. C'est une hypothèse envisageable mais beaucoup plus rare). Ici, la position de force dans laquelle se trouve le menteur conduit inévitablement à un 180 degrés direction le plumard. Toujours est-il, et ça sera ma conclusion quant à ce boniment : Momo ne dansera pas ce soir...
Pour la suite, on rentre un peu plus dans le cœur du sujet. L’avant-dernier mensonge que j’ai pu retenir est le mensonge par omission. Il consiste à dire la partie de vérité qui ne nous dérange pas et à se taire sur celle qui nous ennuie un peu plus. Il faut alors différencier deux types d’omissions : l’oubli conscient et inconscient. Inutile de rappeler que lorsqu’il est conscient, cet oubli n’est autre que l’expression d’une volonté de tromper la personne à qui l’on cache une partie des faits. Ainsi, un couple de jeunes mariés s’est installé dans un petit quatre pièces au centre-ville. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes mais madame est contrainte, de plus en plus, de s’absenter à l’étranger pour son travail. Sans se dégrader d’une manière subite, les sentiments s’effritent peu à peu. Et le mari, pris d’un gros manque de tendresse, commet l’irréparable erreur de mener une double relation. Mais la maîtresse du mari vit dans un studio très éloigné du standing désiré par le faiseur de cornes. Quant à leurs 5 à 7 coquins dans les hôtels du patelin, ils prennent, au fur à mesure, des allures de parties de baise glauquissimes. Ainsi, un soir, décision est prise d’ouvrir à la demoiselle les portes du domicile conjugal. Le lendemain des faits, l’épouse du mari, par un coup de fil entre deux réunions, glisse un ou deux « je t’aime » entre la question fatidique : « Tu as fais quoi hier soir ? ». Toute la subtilité du mensonge par omission apparait dans la réponse du mari qui, sans tremblement, affirmera qu’il est resté à la maison. Ce qui est vrai. Ce mensonge a donc le véritable avantage de ne pas forcer l’esprit à se fabriquer une nouvelle réalité. Rien n’est faux. 
Si elle venait à se satisfaire de cette réponse laconique, la tendre épouse pourrait très bien imaginer son mari rentrer chez lui, ranger ses couilles au vestiaire, s’affaler sur le canapé et se préparer un plat de nouilles : triste symbole de l’homme au foyer esseulé pris d’une violente crise de fainéantise culinaire… Dans les faits, les testicules du mari ont pris l’air ailleurs que dans le placard ; si le canapé a effectivement souffert, ce n’est pas du poids d’une seule personne et s’il a en effet ingurgiter quelques tagliatelles à la fin de la soirée, c’était plus pour recharger des batteries qui, quelques minutes auparavant, en avaient pris un sacré coup… Le gros problème du mensonge par omission est qu’il ne résiste généralement pas à l’épreuve de l’interrogatoire en règle. Si, pour une raison ou pour une autre, l’épouse trompée juge bon d’en savoir davantage et que ses questions se font de plus en plus pressantes, le mari n’aura plus que le recours au mensonge pur et simple pour s’en sortir.
Par mensonge pur et simple, j’entends la dernière forme de mensonge. Celui que je qualifie de boniment de commodité. C'est-à-dire, la tromperie destinée à se rendre la vie plus facile. Ce mensonge peut être destiné à ne pas affronter les questions qui fâchent, cacher une chose dont on se sent coupable, cacher quelque chose dont on sait que quelqu’un est coupable etc. Les raisons sont multiples et l’on abordera les raisons du mensonge plus loin. Cette forme de duperie est en tout cas la plus courante et elle est celle qui possède (et de loin) le plus de parts de marché.
Pour en savoir plus sur ce bobard de masse, il convient, encore une fois, de remarquer qu’il est divisible en deux catégories. Ce bobard peut être le cœur d’une trahison de plus grande ampleur et son degré de gravité fait alors un vrai bond en avant mais il peut aussi être destiné à ne pas se rendre la vie plus dure qu’elle ne l’est déjà au quotidien. L’impact de ce mensonge est comparable au bruit d’un pet de mouche en pleine boite de nuit. 
Afin de donner un exemple de ce dernier cas, j’utiliserai à nouveau mon expérience de la duperie. Pour des raisons qui sont les miennes et sur lesquelles je ne vois pas pourquoi je m’éterniserai, il m’arrive de ne pas avoir envie de voir, de parler ou de passer une soirée avec des gens qui me sont proches. Dans le but de soigner leur sensibilité, quand vient l’heure de justifier un refus de ma part, je ne me contente jamais d'avouer que la perspective de passer une soirée en leur compagnie me gonfle. J’invente une excuse qui m’épargne ce désagrément et je ne froisse ainsi personne. [Je tiens à rassurer mes amis. Quand cela m’arrive, c’est plus par besoin de solitude que par dégoût de leur compagnie.]
Il s’agit donc de ce genre de mensonges que nous faisons tous. Et je reste persuadé que ceux qui prétendent le contraire sont de sacrés menteurs…
Mais l’impact du mensonge de commodité peut aussi être bien plus important. C’est l’hypothèse de celui qui propose une version maquillée de la vérité pour éviter les ennuis qui lui tomberaient immanquablement dessus si son interlocuteur découvrait le pot aux roses. Le dictionnaire des synonymes utilise l’expression « baiser du diable » pour donner un équivalent de mensonge et il est clair que dans ce genre de tromperie, le terme parait bien trouvé. Ce mensonge est évidemment le signe d’une certaine lâcheté : celle de vouloir conserver les choses en l’état alors que plus rien ne nous autorise à y croire compte-tenu de nos actes. Le mensonge baigne alors dans la boue nauséabonde de la lâcheté, des regrets, de la tromperie et des non-dits. Pour avoir exploré les deux versants de ce mensonge (auteur et victime), je m’éviterai la peine de porter un jugement. Je suis simplement persuadé qu’aucune place n’est plus enviable que l’autre. Le seul avantage à en être la victime, c’est la bonne conscience que l’on peut encore avoir de soi-même. C’est quelque chose que le menteur ne peut généralement pas garder. (Exception faite de ceux qui ont une pierre à la place du cœur mais je garde à l’esprit, à leur propos, qu’ils sont finalement plus à plaindre qu’autre chose.)
Maintenant que nous avons terminé ce bref descriptif des différentes formes du mensonge, je rappellerai que la proposition prétendue vraie qu’un menteur émet ne devient mensonge qu’en fonction du degré d’acceptation de son destinataire. Le but du mensonge est de faire croire en une fausse réalité. Si l’interlocuteur en face de vous ne tombe pas dans le piège que vous lui tendez, la proposition prétendue vraie ne deviendra jamais un mensonge et ne sera que la preuve de la vilainie de votre personnage. Mais un menteur est-il forcément infréquentable ? 
Cette question mérite d’être posée et exige de s’attarder sur le menteur en lui-même. Le mensonge est-il un fait de société ou bien est-il humain ? Tout d’abord, je crois qu’il convient de rappeler que le mensonge est utilisé dés notre plus jeune âge. Les enfants, dans leur construction du « moi », se servent déjà du mensonge comme d’un instrument pour mêler à leur réalité une forme d’imaginaire qui leur est propre ou que nous leur transmettons. 
A leur âge, le mensonge est purement inconscient et cela prouve qu’il est « naturel ». Il est dans l’ordre des choses. Lorsqu’il grandit, l’enfant se mettra à mentir non plus pour rendre sa réalité plus belle mais pour nier une réalité. Une vérité dont il a peur, notamment quant à ses conséquences (il rentre ainsi un peu plus dans le monde de l’adulte). Dans le fond, quand un adulte ment, il le fait très souvent par crainte des répercussions que ses actes ou ses aveux pourraient avoir. L’enfant prend des centimètres avant de devenir un homme et finalement, les ennuis auxquels on cherche à se soustraire une fois adulte ont suivi le même chemin : ils ont pris de l’ampleur.
Une fois constaté l’aspect naturel du mensonge, on comprend qu’il n’a pas fallu un homme pour le créer, il est dans l’homme. Nous sommes tous des menteurs potentiels. Donc, plus que le mensonge, c’est l’usage que l’on en fait sur lequel un regard critique doit être posé.
La suite logique de l’exposé serait donc de chercher quels usages l’on peut faire du mensonge. Je crois qu’il s’agit là d’une tâche bien trop complexe pour que je puisse prétendre complètement l’aborder. Ma conviction est qu’il y a autant de mensonge qu’il existe de menteurs et donc, autant de raisons de mentir. D’une manière générale, l’on peut affirmer, sans trop de craintes de taper à côté de la cible, que le mensonge répond à une crainte ou à une peur. 
En schématisant, l’on ment soit par lâcheté d’assumer ses actes, soit pour rendre nos gestes plus évidents dans un monde où tout devient compliqué.
Résumons nous, un mensonge est donc le résultat de la proposition prétendue vraie émise par un menteur et qu’un destinataire accepte de croire. Le mensonge, pour exister, a donc autant besoin du menteur que du berné. Mais une fois constitué, faut-il encore que le mensonge puisse durer. La question de la durée de vie du mensonge n’aura pas de réponse claire et certaine. Néanmoins, il me parait possible de déterminer dans quelles conditions un bon mensonge peut durer. 
Tout cela me rappelle à quel point un mensonge mal dit ou mal entretenu peut rendre ridicule son auteur. Le comportement d’un ami que j’avais au lycée me revient en mémoire. Par soucis de ne pas le mettre mal à l’aise et par respect pour son anonymat, je lui donnerai le prénom de David. David me parait être l’exemple à ne pas suivre pour faire durer un mensonge. Dans un premier temps parce qu’il avait tendance à donner sa version des faits à un très grand nombre de personnes qui, en plus, se côtoyaient mutuellement. Avec autant de cibles, le mensonge doit respecter la règle d’or : ne jamais varier d’un iota quant à la version que l’on donne des événements. Malheureusement pour David, il avait tendance à ne pas ranger sa langue lors de soirée trop arrosées… Nous étions tous ses amis et il ne nous a pas fallu une éternité pour démasquer le vrai du faux dans les dires de notre pote. Mais les amis ont cela de magnifique : ils sont compréhensifs. Je riais parfois des maladresses de David quand je le voyais s’enferrer dans un mensonge qui n’en était plus un. Cependant, je comprenais à quel point le fait qu’il était persuadé que nous le croyions l’aidait à affronter ses inhibitions. Il croyait qu’on le croyait. Nous étions devenus les menteurs. La tromperie avait changé de camp. Au-delà de sa conclusion digne d’une fable de la Fontaine, je retiendrai qu’un bon mensonge ne doit s’adresser qu’à un nombre très réduit de personnes. 
Aussi, s’il veut durer, le mensonge ne doit jamais être compromis par son paternel. Les choses de la vie mettent suffisamment de sable dans les rouages dans la mécanique très sensible de la tromperie pour que l’on se complique soi-même la vie. Ainsi, quelques soient les circonstances, un mensonge ne doit jamais évoluer. Il doit rester tel qu’il a été prononcé pour la première fois. Sachant cela, son élaboration doit pouvoir tenir compte de l’ensemble des éléments que l’on peut anticiper et tout doit pouvoir paraitre cohérent dans la fausse réalité que nous sommes en train de construire. Tel un architecte qui doit tenir compte d’un cahier des charges, de la situation de l’immeuble qu’il s’apprête de faire construire, le menteur doit créer Le mensonge qui fermera la porte à toute intrusion de la vérité. De cette manière, il ne sera jamais nécessaire de faire évoluer le boniment en cours de route, ce qui, disons le franchement, n’est jamais très positif pour les affaires du mythomane.
Pour ce qui va suivre, je me servirai une nouvelle fois de mon passif et de la longue exploration du mensonge que j’ai pu concrètement opérer. Un mensonge, aussi bien construit soit-il n’est rarement suffisant. Notamment face à quelqu’un un peu moins facile à berner que les autres. Je rapprocherai alors le menteur de l’assassin. Tous deux, face à des investigations plus poussées, auront besoin d’un solide alibi. Je dirai même que plus il y a d’alibis, plus le mensonge prend de poids. Et plus le mensonge est lourd, mieux ça passe (ne pas confondre avec l'idée précédemment vue que plus le mensonge est gros, moins il survit). 
J’ai maintenant écris quelques lignes, noircit quelques feuilles et je me rends compte de la piteuse image que je suis en train de donner de moi-même. Je suis en train de me suicider auprès de mes amis, de ma famille et je suis en train de justifier tout le mal que certains peuvent penser de moi. Ce qui va suivre n’est pas forcément plus ou moins grave que ce qui a précédé mais je me permets cette petite parenthèse intermédiaire pour en appeler, d’ores et déjà, à la clémence du lecteur. Puisse-t-il, au lieu de remarquer mes errements du passé (pourquoi je dis passé ?), se rendre compte, par le biais d’une introspection efficace, qu’il est surement au moins aussi coupable que moi…
La durée de vie d’un mensonge est donc plus élevée en fonction de différents critères : la réduction autant que possible du nombre de personnes à duper, la correcte élaboration du mensonge et la capacité du menteur à ne jamais se corrompre lui-même en changeant, par erreur ou non, sa version maquillée des événements.
Mais le restant de mes modestes travaux risque de démotiver même le menteur le mieux préparé. Prenons la Rolls-Royce du mensonge. Imaginons qu’il ne concerne que celui qui l’émet et celui qui y croit (fermement). Il est magnifiquement construit et son génie architectural le glisserait en bonne place entre le viaduc de Millau et la tour Eiffel. Ce mensonge là, un notaire ne lui achèterait rien en viager… Et bien ce mensonge a toutes les chances de ne pas survivre au test final. Celui auquel bien des bobards de ce genre ne résistent pas : l’examen de conscience. Le menteur, comme tout Homme qui se respecte, se posera immanquablement les questions qui lui feront ressentir, de plus en plus, la lourdeur de la culpabilité. En tant que fautif, de quel droit peut-il prétendre à échapper à ses responsabilités et berner continuellement quelqu’un qui, si il savait la vérité, lui ferait forcément payer le prix fort ? En s’enfermant dans son mensonge, le menteur accepte de se frotter à sa conscience. Et il arrivera forcément un moment où la pression continue ne lui sera plus supportable. L’heure de régler les comptes lui apparaitra claire quand la peur de la vérité sera moins forte que la honte qu’il aura de lui-même. Le mensonge ne sera plus et les dégâts, compte-tenu de la durée du subterfuge, seront conséquents. L’on comprend mieux, de cette façon, la violence de certaines ruptures sentimentales. Le milieu de l’amour étant un terreau très fertile pour ce genre de mensonge. L’amour est une question qui concerne deux personnes et les erreurs que l’on peut commettre dans ce genre de relation sont tellement conséquentes qu’elles conduisent très souvent au mensonge. Un mensonge qui permettra, quelque soit la faute commise, d’abuser de la confiance de son partenaire pour continuer d’obtenir de lui tout le bonheur que l’on attend. Ce mensonge est un réel abus de confiance. L’apparition de la vérité, dans ces conditions, prend rarement des allures de bal des politesses…
Il n’y a donc guère de solution pour garantir la survie d’un mensonge. En plus des indispensables conditions vues précédemment, le créateur du mensonge doit s’assurer qu’il sera à la hauteur de sa tromperie. Il doit être certain, avant même de l’avoir dit, que le poids du mensonge ne sera jamais trop lourd pour lui.
Mais si le mensonge n’est pas fait pour survivre, à quoi sert-il ? Il semble que le menteur ne soit condamné qu’à reculer pour mieux sauter. Mais quand à la fin de la route, un mur se dresse devant vous, quel est l’intérêt de prendre de l’élan ?
Alors que le point final de cette réflexion approche, il me semble indispensable d’aborder le sujet du berné. Ce dernier, s’il est plus malin qu’on ne le pense peut à lui seul faire couler le mensonge tel le Titanic un soir d'avril. Il suffit qu’il n’y croie pas et il s’agit d’un obstacle supplémentaire. Qu’est-ce qui pourrait permettre de détecter un mensonge ? Premièrement, la personne que l’on cherche à duper peut tout simplement ne plus faire confiance au menteur. Dans ce cas, elle n’aura aucune preuve que la proposition prétendue vraie est fausse mais elle s’en doutera. Il est évident que cela ne facilitera pas la vie du menteur. Deuxièmement, la personne à qui l’on ment peut être sensible aux signes physiologiques qui compromettent parfois les menteurs. En effet, des études scientifiques ont prouvé que le mensonge consommait beaucoup d’énergie. Il fatigue plus vite les nerfs et impose à l’esprit une construction nouvelle de la réalité qui ne se fait pas sans agiter quelques neurones. Tout cela se traduit par un certain nombre de trahisons corporelles auxquelles le menteur aurait bien du mal à se soustraire. Ainsi, un menteur orientera toujours ses yeux du côté de sa main maîtresse. Si la personne que l’on souhaite duper est attentive à cela, elle pourra, avant même l’accouchement du mensonge, permettre à la vérité de ne pas être cachée trop longtemps. 
Nous l’avons vu. Si le petit mensonge qui permet de ne pas nous tracasser trop la vie a toute son utilité, le mensonge de taille semble quant à lui, bien inutile. Car s’il permet de fuir les conséquences de nos actions, il ne le permet qu’un temps - sauf hypothèse du cœur de pierre sans conscience. Ainsi, la seule solution serait de prévenir le fait même d’avoir besoin de mentir ? Pour les choses importantes de la vie, pouvons nous prévenir plutôt que guérir ? En d’autres termes, l’homme est-il capable de ne pas produire les erreurs qui l’obligeraient, un jour, de mentir ? On ne contestera pas que l’homme est doté d’une raison. Mais est-il envisageable que cette raison ne soit jamais supplantée par la passion ? Je serai prétentieux de répondre à cette question mais je garde en tête, notamment grâce à ce court vécu que j’ai derrière moi, que la passion prend un jour ou l’autre le dessus sur la raison. Au moins une fois. Je reste d’ailleurs persuadé que la conscience de faire du mal ne pèse pas bien lourd au moment de se soustraire à ce que l’on désire par-dessus tout. Je le pense mais je ne saurai l’expliquer.
Mais même sans chercher d’explications à deux francs l’euro, il y a dans tout cela un ensemble d’enseignements à tirer. La personne suffisamment forte mentalement pour ne pas se laisser submerger par la passion n’aura pas besoin de mentir. Et celui qui, trop faible, commet l’erreur qui justifierai un mensonge est déjà bien mal embarqué. Sa raison n’a pas tenu le coup et il prouve ainsi qu’il est un être passionné. En cela, il peut estimer, avec pessimisme, sa capacité mentale à faire durer le boniment qui lui permettra d’échapper à la sanction.
En d’autres termes, je doute que celui qui a la faiblesse de faire l’erreur aura la force de résister au poids de son futur mensonge.
Mais cette conclusion, qui semble creuser la tombe du mensonge, n’engage que moi. Je suis d’ailleurs parfaitement conscient qu’une part de moi bien trop grande y est imprégnée. Pour ce qui me concerne, il me parait évident que je suis trop faible pour résister aux tentations de la vie mais trop peu solide pour résister aux conséquences de mes actes. 
J’ai bien trop menti ces derniers temps et je porte encore sur mes épaules une forme de culpabilité. Cette culpabilité ne doit pas être étrangère au fait que je suis heureux actuellement. Peut-être ai-je la sensation que je ne le mérite pas. Je ne sais pas combien de temps mon esprit me paraitra aussi clair mais j’avoue que cela m’est indifférent. Je sais bien que tout est une question de temps et contre cela, je ne peux rien faire.
Aujourd’hui, un certain nombre des choses de ma vie prennent un nouveau départ. Et je m’apprête à mener une expérience inédite : me lancer dans une relation amoureuse à la base de laquelle le mensonge n’aurait aucune place. Une femme souhaite se lancer en ma compagnie malgré mon passif, malgré des aveux qui ne font pas de moi quelqu’un de confiance et malgré le bruit que font les quelques casseroles que je traîne*. 
Je vois dans mon avenir, des raisons d’être optimiste mais une interrogation subsiste à l’approche de tout cela. Combien pèse la vérité ? Est-elle si rassurante qu’on le prétend ?
La vérité. Dans un exposé sur le mensonge, ce mot a des parfums de grossièreté. C’est comme le ver dans le fruit : un parasite. Et si les deux faisaient aussi mal ? Prétendre que l’on aime toujours quelqu’un sans le penser fera souffrir un jour ou l’autre ; dire que l’on aime plus, c’est faire souffrir sans attendre. Dans les deux cas, je ne connais aucun cœur qui consent à se faire briser en deux… Car quand vient l’heure de dire la vérité ou bien quand sonne l’instant de mentir, il est surement trop tard dans les deux cas…
Je m’en rends compte au moment de conclure. La question du mensonge ne se dissocie pas de la notion de vérité et n’échappe pas à tout un ensemble de problématiques, notamment celles relatives à l’amour. Pourquoi l’amour m’est-il toujours apparu comme le moyen d’illustrer les formes les plus graves du mensonge ? Ai-je un mode de réflexion unique ou bien est-ce que l’amour est bel et bien intimement lié au mensonge ? Je laisserai au lecteur le soin d’apporter sa propre réponse à cela.


Charles Bringand.

* : Pour dire vrai, cette relation est actuellement coulée au fin fond de l’oubli. Et pour être honnête, l’éclosion d’une vérité y a mis un terme de façon anticipée. Il reste néanmoins établi qu’un certain bonheur m’envahit ces derniers temps.

  • Merci pour ce texte réaliste et instructif, sans parler d'apprentissage, je dirai qu'il conforte surtout mon opinion. Tout le monde ment a un certain degré, et il semble difficile de s'y soustraire. Très complet en tout cas, bonne réflexion.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Dr.house avatar1 orig

    kira

Signaler ce texte