L'assassin de ma femme

revcits

Je suis face à face avec l'homme qui a tué ma femme qui m'avait cependant rendu cocu... Dois-je me venger?

Cet homme a tué ma femme, il est là, posté juste devant moi. Cette bête ignoble a étranglé de sa main droite l'être qui m'était le plus cher. Le menton relevé, saillant, augmente la fierté qu'il laisse paraître. En est-il heureux, ne regrette t'il donc pas ? J'ai envie à mon tour de mettre fin à ses jours. C'est étrange toutefois, sa mine éteinte porte à croire qu'il y repense avec remords. De temps à autres il baisse les yeux. Il sait qui je suis et n'ose pas croiser mon regard. S'en veut-il ? N'accepte-il donc pas de reconnaître son crime ? J'ai envie à mon tour de le comprendre.

Ce meurtrier semble partagé entre la lamentation, le dépit de son acte et la gloire d'avoir eu le courage de le commettre. Cet assassin, je le hais et je l'apprécie. Je le haïs parce qu'il m'a ôté la mère de mes enfants, mon épouse, la personne auprès de qui je m'endormais chaque soir. Je l'apprécie parce qu'il a eu raison de tuer ma femme, après tout elle a commis un adultère, elle m'a trahi, elle m'a menti. Elle a sali ma réputation : tout le village savait que j'étais cocu, tout le monde le savait, sauf  moi.

Mais était-ce une raison suffisante pour franchir le pas ? Cet homme cruel devait-il forcement en arriver là ?

Il me sourit désormais. Il cherche à me provoquer, il veut que je me venge. Cette créature méprisable souhaite que je lui porte aussi le coup fatal. C'est drôle parce que je détiens dans ma main droite un revolver, à tout moment je peux signer son arrêt de mort comme il l'a fait pour ma femme. J'attends encore un peu, je l'observe.

Son sourire s'est effacé, ce sont des larmes désormais qui coulent lentement le long de son visage. Il souhaite que je le plaigne. Cet animal atroce veut que je m'apitoie sur son sort. C'est drôle parce que j'ai le désir de lâcher l'arme que je serre fermement et de le laisser ainsi s'enfuir. J'attends encore un peu, je l'observe.

Il me dévisage, alors je le dévisage aussi. Comment quelqu'un comme lui peut-il accomplir un homicide, l'homicide de ma défunte compagne ? Un homme de classe moyenne qui en apparence est marié, a des enfants, peut-il exécuter une telle horreur ? Si je tire, que deviendront ses enfants ?

Le regard de l'assassin de ma femme semble vide et maintenant je peux me voir dans ses yeux, comme dans un miroir. Je me replonge alors dans mon passé.

Je suis avec elle. J'écoute ses éclats de rire. Son rire résonne comme une douce mélodie qui m'apaise. Elle me donne la joie de vivre, me procure un bonheur intense. A ses côtés le temps s'arrête, les heures filent comme des secondes. On parle de notre avenir à tous les deux. On s'aime.

Le regard du meurtrier  semble fulgurant et dorénavant je peux me voir dans ses yeux, comme dans un miroir. Je replonge alors dans mon passé.

Je suis avec elle. J'écoute ses hurlements. Son cri résonne comme une abominable cacophonie qui m'écœure. Elle me fait détester la vie, me procure un réel dégout. A ses côtés le temps est long, les secondes paraissent des heures. On parle de notre passé à tous les deux. On s'aimait.

La haine l'emporte t'elle sur l'amour ?

Non, l'amour est plus fort que tout : l'amour est sans limite, sans fin, alors que la haine ne peut se perpétuer éternellement, on ne peut détester une même personne toute une vie. On repense aux moments passés, ces moments tendres et uniques et on met de côté, on oublie les disputes, les querelles.

En ne quittant pas du regard l'assassin de ma femme, je revécus l'ombre de quelques instants mon mariage. Elle, vêtue d'une immense robe blanche somptueuse, moi habillé d'un large costume noir formel. Nous sourions, nous étions la jeunesse, l'ivresse, l'enivrement. On se dit oui et on se promet d'être unis pour toujours, même au-delà de la mort.

Je tirai deux balles. Une sur le miroir qui était juste en face de moi pour détruire à jamais mon reflet et la seconde pour aller la retrouver.

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