L'assise du vivant

Adelphine

Je m'adresse à vous, à tous. Aux accomplis, aux affranchis, convaincus, vaincus, aux combattants, aux initiés, aux aimés. Pour vous parler de la vie, de la mort, ou vous parlez d'humanité.

J'ai accompagné, à mes débuts professionnels, des personnes en fin de vie, gravement malades. Aujourd'hui, en complément de mon travail actuel, je me forme auprès d'une association, qui a pour but d'accompagner bénévolement ces personnes là. Des personnes que l'on ne voit plus, que l'on ne regarde plus, que l'on n'entend plus. Aussi tabou que soit le sujet, j'aimerais enlever le mouchoir que l'on ne cesse de mettre dessus afin de draper ce que la mort et la fin de vie nous renvoie.

Nous sommes tous touchés de cette maladie grave qu'est la vie. Touchés d'elle par les vagues qu'elle fait, les chemins qu'elle prend, les personnes qu'elle laisse, la manière dont-elle se structure, sa consistance, sa texture, son amertume, ses absences, sa longévité, parfois. Par ses pertes et manques, mais aussi les plus qu'elle donne. Vous êtes atteints par cette maladie grave qu'est la vie, qui vous rend triste, dépressif, heureux, merveilleux. Vivre, c'est dangereux.

Notre fin de vie se construit tous les jours. Nous répondons à des matérialités et immatérialités en quête de sens. Nous cultivons l'insatisfaction alors que nous pouvons nous accomplir dans la satisfaction et la complétude.

Je voulais vous parler de dignité… "Il est mort digne." Qu'est-ce que la  dignité ? Qu'est-ce qui crée la dignité ? Car il y a un écart constant entre être digne en tant qu'être humain, et être digne de sa dignité. Elle n'est pas innée. Je rappelle que le « mourant » est avant tout un vivant. Un respirant, un inspirant. Un être entier, pas une demi mesure, ni un sujet, un support de douleur, un administré de médicaments, un atrophié.

Je voulais vous parler d'appartenance… La réalité n'appartient pas à l'Homme. Modifiée par ce que nous en comprenons, par ce que nous en interprétons, par ce que nous voulons qu'elle soit, nous fabriquons des souvenirs de cette réalité. Des souvenirs individuels, uniques, selon notre propre vérité. Les souvenirs n'appartiennent pas non plus à l'Homme. Envolés, parfois en vieillissant, dans les maladies. L'Homme est un contenant d'émotions. C'est tout ce qu'il en restera. Rien ne lui appartient, mais à elles seules les émotions font de lui un être authentique. C'est sa base. La base de son humanité. A quoi appartenons-nous ? Pas même la mort, même pas la vie.

Vous parler d'humanité... Oubliée dans les années. Nous avons remplacé la science humaine, par de la science technique, de la technicité, des essais, des preuves, au détriment de la personne. En l'oubliant, nous avons omis, que c'était la personne malade qui était malade. Et non la maladie.

Avons-nous peur de la mort, ou de ses conditions ? De l'avant ou de l'après ?

Parler de vérité… Est-elle la même pour tous ? La vérité d'une personne dite « désorientée » est-elle la même qu'une autre ? Est-elle pour autant fausse ? Si nous sommes ici mais que la personne dit se savoir ailleurs est-elle réellement « désorientée » ? La vérité du médecin est-elle la même que celle de la famille ou de la personne malade ? Devons nous la vérité ou devons nous accompagner en vérité ?

La vieillesse… Nous vivons dans une société où le jeunisme s'agrandit exponentiellement. Avons-nous oublié que pour vivre longtemps il fallait vieillir ?

Écouter l'autre… Avons-nous oublié de mettre de côté nos représentations pour être l'extérieur de l'autre ? Que notre principal habit était notre attitude ? Avons-nous perdu le fait de nous offrir sans attendre de réciprocité ? Lorsque nous accompagnons, écoutons, entrons en communication, nous allons dans un espace particulier.

Qu'est-ce que la mort ? Épicure disait « si la mort est là, je n'y suis plus. Si elle n'y est pas, je n'y suis pas encore. »

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