L'auberge de Svarog

yaroslavna

Réflexions d'un campagnard sur le monde moderne et sur la christianisation.

I

A la fin de ce triste jour m'appelle
L'auberge de Svarog 
Où j'ai goûté ta liqueur couleur miel 
Aux parfums misanthropes. 
La mauvaise étoile éclaire ma nuit 
De son ardeur païenne;
Le petit négativisme prend vie 
et sème la géhenne. 
Sur tes murs courent les voix des héros 
Telles une cascade. 
Et Morok plante son sombre drapeau 
sur ta sombre façade.
Les corneilles se posent sur le toit
Dans l'isba de Wotan.
Sous la terre, dans les tréfonds des bois
Trottent les rats des champs.
Fusil à la porte, plume à la main,
Les pensers dépressifs :
Je compose, troubadour campagnard,
Ce poème maladif.
Le profond crépuscule m'engloutit
Froid et perpétuel,
Au son de ta terne voix je me dis :
«Novgorod était belle !..»

II
Jadis, elle dévoilait ses appas (aux)
Nobles et commerçants,
Volkhov épiait de ses yeux lumineux
Les navires passant.
Le Temps galope tel un monstre, hélas !..
Comme une bête atroce
Sur la terre sereine des Rus passe
Une ruche féroce
Qui transfigure les pins, les tilleuls
En palmiers assassins.
Les citadins, si voraces et veules
Vomissent le venin
D'une culture taiseuse et meurtrière.
Leurs visages pervertis

Nous promettent les souffrances en enfer

Si l'on ne se convertit.
Là, ils versent ces immondes légendes,
Eux qui souillent le monde,
Eux qui tuent, eux qui brisent, eux qui rendent
Notre terre inféconde.
Mes frères païens, jadis libres, sont
Des pauvres spectateurs,
Trépassés, inconscients, vagabonds
Sur le sol sans valeurs.
C'est ainsi que cette ville se meurt
Dépourvue d'avenir,
Semant en moi une atroce rancœur,

Car nous sommes des martyrs.
Je contemple, depuis cette taverne,
La raison qui périt !
Elle se meurt aux mains sales et modernes
De ces hommes finis !
Les larmes aux yeux, le vil cœur qui crève,
Je les vois s'ébrouer
Dans l'eau de Volkhov salie par leurs rêves.
Interdit de penser !
Je les maudis, impurs et cruels,
Vendus et ignorants,
Obscènes, bas, mis à mort sur l'autel
Du pitoyable argent.
Du seigle jusqu'aux basaltiques roches —
Ils ont tout dévoré.
Sur le dos du peuple ils remplissent leurs poches,

Sans rougir, sans penser

Aux pauvres paysans qui n'ont plus la raison.

Arrogants imposteurs !
Qui êtes-vous ? Allez à l'horizon
Des contrées sans valeurs !

III
A la fin de ce terne jour m'appelle
L'auberge de Svarog 
Où j'ai goûté ta liqueur qui ruisselle
Sur le marteau de Thor.

Souviens-toi, mon frère, de la faucheuse,

Cache-toi en forêt :

Les pins ne connaissent sa pensée hasardeuse

Et ces milles secrets.
De Jaromasburg aux terres isolées :

Tout lui appartient !

Et pourtant, ce continent possédaient

Tous les nobles païens.
Avant que tu ne me quittes, je dis :
N'oublie pas Novgorod,
C'est bien à cette ville, mon ami,
Que j'adresse cette ode.

Riourik le viking débarqua sur les berges

De ce fleuve sacré,

Honorant Odin, non la sainte vierge.

Fais-le perdurer !

Sois fidèle à Péroun et à Vélès

Pour combattre le mal

Et brandis ton glaive là où progresse

Le serpent en métal.

Ô fils de Svarog, tu dois être fier

De la culture des aïeux,

L'homme sera bienheureux sur sa terre

Quand le ciel sera dieu.

IV
Ô ma sombre auberge, tu es le phare
De mes pâles soirées.
Toutes ces noires nuits où je m'égare
Je te retrouverai.

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