L'auteur est un manipulateur.

Christophe Hulé

Avant de clore ce dernier chapitre, il nous faut revenir au premier. Quel chemin parcouru au fil des pages ! Nous avons fait la connaissance de nombreux personnages, et suivi pour un temps leur cheminement. Comme des témoins indiscrets et omniscients, en apparence. Nous connaissions leurs moindres intentions, et même leurs pensées, bonnes ou mauvaises. Le pouvoir de l'auteur est justement de faire croire au lecteur qu'il a du pouvoir. Il maîtrise sa création, qui bien souvent, est d'autant plus géniale qu'elle n'est pas vraiment programmée. Si la plume s'agite, c'est que l'idée est bonne, si on cherche ses mots, autant faire une pause.


L'auteur a une puissance qui peut en cacher une autre. Il fait vivre, vibrer ou souffrir des personnages, qui se doivent d'être de chair et d'os. Un passé ou des émotions crédibles, entre autres recettes. Pour que l'auteur réussisse cette alchimie, il doit lui-même être investi au plus profond de son être.

Évidemment, là n'est pas le vrai pouvoir de l'auteur. Le lecteur, fin critique ou dilettante, se doit d'être piégé, ou tout au moins manipulé. L'art consiste à brouiller les cartes, à noyer les repères. Comme dans la vie, les grosses ficelles ne dupent personne. Dès qu'on attache un passé à un personnage, ou des blessures, ou des faits glorieux ou condamnables, le lecteur ne peut plus l'envisager comme un figurant. Quelque soit son destin, on en sera troublé.

Le pire des assassins, rongé par les remords, ne peut que nous troubler. Sans excuser son acte, on y retrouve un écho. Qui n'a pas ressenti de remords, qui n'a pas été rongé par un sentiment de culpabilité. Bien sûr, on peut prendre ses distances au regard de l'acte commis. C'est ainsi que fonctionne les contes, on est troublé mais on peut atterrir dans le réel à loisir, où, Dieu merci, les choses ne sont pas si graves ou terrifiantes.

Mais si le lecteur n'éprouve aucun trouble, aucune ambiguïté, alors le livre est raté.

Par comparaison, c'est tout le contraire de ces jeux vidéos où l'on met à mort des êtres désincarnés.

La littérature apprend que chaque vie est importante.

Pour prendre en exemple les films catastrophe américains, qu'ils soient bons ou mauvais, la recette est la même. Avant le tsunami ou que le ciel nous tombe sur la tête, ou autres inventions, on doit suivre le quotidien d'individus ou de familles, un peu trop souvent sommaire et ennuyeux, et pourtant on ne pourra rester insensible à leur destin, qu'ils meurent ou qu'ils survivent. Le sort des millions d'êtres par ailleurs intéresse peu le spectateur. Le héros a retrouvé sa femme et ses enfants.

Sans ce subterfuge, ces films ne seraient qu'un déluge d'effets spéciaux dénué de sens.

L'art de l'auteur est de surprendre évidemment. Faire croire que tout mène dans une direction, multiplier les fausses pistes, on pourrait même dire les chausse-trappes.

Dans ce domaine, le roman policier excelle. Jusqu'au dénouement, on est bien incapable de savoir qui est le meurtrier. 

C'est le triomphe de la manipulation. Le lecteur déçu est celui qui aura trouvé la réponse.

Lire ce n'est pas seulement s'évader, ou exorciser ses peurs en prenant de la distance, c'est aussi accepter de se laisser guider, berner peut-être, dans le dédale construit par l'auteur. Mais c'est le contraire de l'arnaque, tout lecteur qui s'est fait avoir en redemande.

Pour émouvoir et faire que le lecteur s'implique, il faut que chacun retrouve un peu de ce qu'il a vécu ou ressenti.

Même les récits mythologiques anciens ont appliqué ces principes. Si les Dieux ou Déesses n'ont rien d'humain, s'ils ne ressentent rien, s'ils ne sont pas fragiles, le récit ne vaut rien. Il faut qu'on y retrouve les jalousies, les frustrations, ou que sais-je encore. L'expression Lettres Humaines prend ici tout son sens.

Le récit fantastique s'appuie sur ces ressorts. Un événement surnaturel, en plein jour, dans un quotidien banal, sera d'autant plus frappant.

La science-fiction nous emmène dans un monde parallèle. Pour réussir, une fois le décor planté, avec tous ces gadgets esthétiques, l'intrigue doit être à la hauteur. Malgré tout, on visite un autre monde sans trop se poser de questions. L'art de la Science-Fiction réside ailleurs, on y anticipe le meilleur ou le pire. C'est une réflexion globale sur l'état présent, ce qu'il nous faut faire ou ne pas faire.

Enfin parlons de l'auteur, qui tient les ficelles. S'il n'est pas quelque peu investi dans ce qu'il écrit, de près ou de loin, il ne convaincra personne. On ne parle bien que de ce que l'on connaît, c'est un poncif. Plus l'auteur a vécu, nous parlons d'émotions, de pertes ou de passions, plus il saura nous manipuler pour notre plaisir.

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