L'automne à Pékin

Magali B.

texte écrit il y a plusieurs années. Une soirée d'automne à Pékin...

Le vent balaye les feuilles mortes éparpillées sur le trottoir. Sous mes chaussures, j'entends leur craquement. Réduites en miettes, elles forment des petits tas ici et là. Je longe le parc Beihai et traverse la route. Les rues ne désemplissent pas, les vélos se doublent entre les voitures, les piétons se faufilent. Dans une heure ou moins peut être, ces rues animées seront désertes. Le soleil entame déjà sa descente. C'est à cette heure que j'aime le quartier de Houhai, un des lacs de la ville. Tout près, il y a cette petite place qui s'anime en fin d'après midi. Le lac n'est pas encore gelé. Dans quelques mois, on pourra marcher dessus et voir les algues figées sous nos pieds et avoir un peu le vertige aussi. On pourra louer pour quelques pièces argentées un siège en bois qui glisse sur la glace. On pourra prendre quelques photos insolites les doigts mordus par le froid et se régaler de patates douces chaudes. Mais l'eau du lac n'est pas encore gelée.

De loin, je regarde la surface de l'eau qui frémit, l'eau qui ondule, c'est joli. Les bateaux sont rangés, ils sont ballotés d'un côté puis de l'autre. Bientôt, ils seront sortis de l'eau pour la longue pause hivernale. Le temps n'est pas aux touristes, j'aime bien être la seule étrangère. Alors je me sens réellement comme une habitante de l'autre bout du monde et pas comme une simple visiteuse. Je me sens comme faire partie de cette ville aux accents qui deviennent miens. Ces accents qui résonnent encore en moi aujourd'hui.

Sur la petite place devant Houhai, un groupe de jeunes jouent à se lancer une balle en tissu avec le pied. Les voix aiguës des filles se confondent avec les cris des garçons. Ici, un enfant échappe à ses parents. Là, les yeux des adultes sont rivés sur la petite fille à l'anorak rose, surement l'enfant unique de la famille. Là bas, sous le panneau publicitaire aux couleurs criardes, il y a un vieillard assis sur une chaise de fortune. Le visage marqué, les yeux perçants. Il raccommode un cerf volant jaune et vert. Le vieil homme porte des mitaines usées, le tissu s'effiloche par endroit. Emmitouflé dans son gilet un peu trop large, il bavarde avec un homme accroupi près de lui. Mais c'est le sourire, le sourire du vieil homme au cerf volant que je remarque. Un sourire lumineux qui contraste avec la lumière crue et blafarde de la scène. Et puis, près du trottoir, il y a le vendeur de « tanghulu », les fameuses petites pommes caramélisées qui craquent sous la dent, la spécialité dont on raffole ici. Le vendeur se frotte énergiquement les mains l'une contre l'autre et danse d'un pied sur l'autre quand un couple lui tend soudain un billet. Ils repartent tout sourire chacun une brochette dans la main. Le vendeur leur prononce quelques mots et un peu de vapeur s'échappe de ses lèvres.

Il est temps de rentrer. Je me retourne et j'essaye d'apercevoir mon bus. Je le cherche des yeux mais je ne distingue pas l'horizon. La rue se fond dans une couleur jaune et épaisse de pollution. Soudain, je suis fatiguée, très fatiguée par toute cette effervescence. Fatiguée par le bruit incessant des véhicules, fatiguée par le flot de paroles de la vieille dame à côté de moi, par les cris des marchands ambulants, fatigué de l'air que je respire et par le froid aussi. Je ne sens déjà plus le bout de mes doigts à travers les gants. Une bourrasque me griffe les joues. Ce vent, ce foutu vent qui descend du Nord et vient annoncer l'hiver. A cet instant, je me dis qu'il faut que je m'achète de gros collants au plus vite, un gros manteau, de grosses chaussettes, pas dans le quartier d'expatriés, non, je ne l'aime pas celui là, mais dans le quartier populaire, celui où il y a toujours le vieux monsieur à l'entrée qui joue de son instrument à deux cordes en chantant des chants traditionnels. Le klaxon d'un taxi me sort brusquement de ma rêverie. Enfin, mon bus arrive et pile brutalement dans un crissement de pneus. Mon bonnet rouge enfoncé sur la tête, je m'engouffre dans le bus en me faisant bousculer au passage. Les gens ne s'écartent pas. Plus de place assise. Je n'ai plus qu'à attraper une des barres de métal pour me tenir. Le chauffage me souffle un air chaud sur le visage. J'ai l'impression que mes joues reprennent vie. Mes paupières me brûlent. Mon corps raidi se détend peu à peu. La voix du haut parleur me hurle dans les oreilles et annonce le départ imminent. Le bus démarre et je jette un dernier coup d'œil en arrière.

La petite place qui se vide, le lac sombre, les visages rieurs. Un néon qui crépite et une enseigne toute neuve d'une chaîne de café occidentale au milieu des lampions de papier. Et cette lumière un peu spéciale, un peu opaque. C'est une de ces soirées d'automne à Pékin qui me manque parfois.

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