L'autre
Benjamin Didiot
Réveille toi.
J'émerge péniblement du sommeil, remuant sous ma couette, m'obstinant à conserver mes yeux bien clos afin de replonger au plus vite dans le sommeil, avant que la brume du rêve ne se soit pleinement dissipé.
Arrête de luter. Réveille toi.
Je recouvre mes oreilles à l'aide de mes oreillers, comme si cela pouvait l'arrêter.
Arrête de faire l'enfant.
Je lui murmure de se taire et de me laisser dormir. Mais à présent tout effort est vain, car malgré le fait que mes yeux me brulent, je serais incapable de replonger dans le sommeil.
Après quelques minutes immobiles dans le lit de l'hôtel dans lequel je dors depuis maintenant deux semaines, je finis par regarder le réveil posé à ma droite.
Il est 1:06.
Je me lève et me dirige péniblement vers l'interrupteur, et la lumière m'attaque directement au visage. Je l'éteindrais au plus vite.
J'enfile un caleçon qui traine au pied du lit et me dirige vers le petit bureau qui se trouve au coin de la minuscule chambre. L'espace est presque silencieux, seul le tic-tac de ma montre perturbe ce silence mortuaire.
Je me sers un verre d'eau tiède, et saisi le livre que j'ai commencé hier après-midi. Je déteste l'eau tiède, mais je me force à boire. De toute façon, je n'ai pas le choix. Les chambres d'hôtel miteux ne possèdent pas de réfrigérateur.
Je ferme la grande lumière au dépend de la lampe de bureau. Mes yeux apprécient ce geste. De plus, cette lampe est très faible, à peine plus lumineuse qu'une bougie.
Mais à peine ai-je ouvert mon livre, que je suis dérangé. On frappe à la porte.
Je me dirige vers la porte de la chambre, puis l'ouvre.
Personne.
Je referme la porte, mais à peine le verrou verrouillé que l'on frappe à nouveau.
Personne.
Mon esprit me joue encore des tours. Je ne peux lui en vouloir. Depuis que j'ai quitté la maison de mes parents, il ne cesse de me torturer. Mais je n'avais pas le choix.
Je me remet à ma lecture, inconscient que je ne serais même pas en mesure de finir un chapitre.
Crois-tu vraiment que je t'ai réveillé pour ça ?
Tais toi. Laisse moi.
Je ne te laisserais jamais. M'entends-tu ? Jamais.
Je lance mon livre qui s'écrase lourdement contre le mur voisin, et je frappe le bureau du poing en lui criant de se taire. Je sais ce qu'il me veux, mais j'ai peur.
Tu as aimé la dernière fois non ?
Non.
Je me mens en lui mentant, j'ai adoré ça, en débit du fait que tout cela était mal. Très mal.
Et les autres fois ? Combien déjà ?
Huit fois. Il m'as contraint à le faire huit fois.
C'est à cause de ça que j'ai dû partir. Il devenait incontrôlable.
Mais au fond de moi, je sais pertinemment que je n'ai simplement pas la force de l'ignorer, de le chasser.
Tu as aimé ça.
Je fais exploser le verre vide au sol, les débris de verre s'éparpillant dans toute la pièce. Le bruit infernal du verre se brisant ne suffit pas à chasser cette dernière phrase qui raisonne encore dans mon esprit. Il est bien plus fort que moi.
Lève toi.
Je résiste et me crispe sur ma chaise de bureau.
J'insiste.
Je ne peux plus résister. Il m'hypnotise, diaboliquement et sournoisement. Mes jambes tremblent mais je me lève, et je reste immobile, le visage béant. Je sens le froid se coller à ma peau nu, et je remarque sans y porter un quelconque intérêt que j'ai mal refermé la porte. Le froid se faufile par la mince ouverture, et je distingue que cette nuit, il neige.
Va le chercher, il est caché dans les toilettes.
Je me dirige tel un pantin vers les toilettes. Malgré toutes les protestation de mon esprit, ce dernier reste absent de tout contrôle sur mon corps. Je ressens un terrible douleur en marchant sur un morceau de verre, mais je suis incapable d'exprimer cette douleur.
Ma main saisit le couteau caché derrière le cabinet, et le contemple impuissant. J'ordonne à ma main de le lâcher, mais il tient bon.
Sortons.
Alors que mes jambes m'amènent vers la pièce, je tente désespérément de reprendre le contrôle sur notre corps. Je commence à fixer cette petite flaque de mon propre sang qu'a laissée mon pied blessé. Le morceau de verre auteur du saignement se trouve au milieu, et reflète vaguement ma silhouette. Je le distingue alors, derrière moi, tel une ombre gigantesque et difforme, tenant mon visage de ses longs doigts crochus.
Arrête ça.
Je continue de fixer le minuscule bout de verre, qui suffit étonnement à créer une image de moi, mais surtout une image de lui.
Je t'ordonne d'arrêter.
Pour la première fois depuis qu'il est apparu, il se sent en danger, il sent qu'il ne contrôle pas tout, que je tente de reprendre le contrôle de mon corps.
Je pourrais te tuer.
Mon front est rempli de sueur, et je remarque enfin dans mon minuscule reflet que ma main tremble, de plus en plus fort.
Je t'aurais prévenu.
Ses menaces sont vaines, je contrôle à nouveau ma main, serrant le manche du couteau entre mes doigts.
Je vais te tuer, tu vas mourir.
J'y compte bien, murmurai-je à son égard.
Je m'assène un profond coup de couteau dans le ventre, me poignarde une seconde fois, et tombe sur le ventre, le couteau toujours planté dans mon ventre, chute qui suffit à le faire glisser et m'éventrer.
Des bout de verres se plantent dans mon dos lorsque je me retourne pour sortir le couteau de mon ventre. Je saigne abondemment, et je tente à l'aide de mes mains d'empêcher mes organes de tomber par la plaie béante de mon ventre. Je me relève légèrement, afin de confirmer dans la flaque de sang qui me reflète que je suis enfin seul.
Et je le suis.
Je retombe lourdement sur le côté, à quelques mètre de la porte qui s'ouvre dans un courant d'air. La neige continue de tomber, et je ne veux pas rater ça.
Je me traine dehors et toujours sur le côté grâce à des forces qui me viennent soudainement, et je me dis que c'est à l'approche de la mort que le corps est le plus fort.
Je passe ma tête au delà de la porte et m'effondre péniblement, le corps couvert de sang et de verre, qui perce ma peau, rentre dans ma chair et provoque de nouvelles plaies sanglantes.
Je me recroqueville dans la neige, et autour de moi se forme très vite une imposante tache rouge. Je plonge mes mains pleines de sang dans la poudreuse puis les porte à mon visage. Je cache mes yeux, pour ne pas voir mes organes qui se répandent dans la neige. Ce spectacle indésirable gâcherait ce moment.
Et c'est ainsi que je me laisse mourir, la neige perlant progressivement et froidement mon corps, paisible et enfin seul.
Saisissant ! Très bien écrit je trouve :)
· Il y a plus de 10 ans ·littlerebel
Je suis heureux d'avoir réussi à te saisir dans cette nouvelle (pour reprendre tes mots), merci beaucoup à toi pour le compliment !
· Il y a plus de 10 ans ·Benjamin Didiot