L’autre moi : une histoire de voyage dans le temps

Steve Grau

À ses 15 ans, Alex reçoit la visite d'un autre lui venant du futur et qui l’aide à améliorer sa vie. Il réapparaît des années plus tard et se retrouvent à cohabiter ensemble dans le présent.

 


            Alex Durand rentrait chez lui après une journée de plus passée au lycée. Agé de quinze ans, il avait sauté une classe et était déjà en première scientifique. Il était l'exacte définition du surdoué, un peu geek et peu social. Il entrait dans une période où tous les problèmes de l'adolescence lui tombaient dessus, comme une montagne insurmontable. Se faire des amis, appartenir à un groupe, trouver une copine, découvrir le sexe, savoir ce qu'il voudrait faire dans la vie, toutes ces choses le torturaient et il avait l'impression que jamais il n'y arriverait. Il se sentait différent et inférieur aux autres. Même les cours ne l'intéressaient plus et il passait son temps dans sa chambre à jouer à des jeux vidéo.

Alex arriva chez lui et ignora sa mère qui lui demanda machinalement comment s'était passé sa journée. Il monta dans sa chambre avec pour seul objectif d'allumer sa console et oublier ses problèmes. Ce ne fut que lorsqu'il commença à jouer qu'il entendit une voix derrière lui. 

— Encore ce jeu ?

Il se retourna en sursautant. Il était persuadé d'être tout seul, mais réalisa qu'il était entré trop vite pour remarquer l'homme allongé sur son lit. Il ouvrit la bouche lorsqu'il crut reconnaître son visage. Il était convaincu de l'avoir déjà vu quelque part.

— Pas la peine d'avoir peur, déclara l'inconnu en se redressant.

— Qui êtes-vous ?

— Tu ne me reconnais pas ?

— Je vous ai déjà vu à un repas de famille ?

— Regarde-moi bien, Alex. Regarde-moi attentivement.

Alex s'approcha de lui et le dévisagea sous tous les angles. C'était un homme de la trentaine en jean bleu et chemise beige. La ressemblance était vraiment frappante.

— On dirait … Que vous me ressemblez !

— Viens devant le miroir.

Alex se mit à côté de lui et fut encore plus choqué. Cet homme avait bien vingt centimètres de plus que lui et était légèrement plus large d'épaule. Sa coupe de cheveux était coupée court contrairement à ses longs cheveux à lui. Mais son visage était identique au sien, les traits à peine plus mures.

— Vous êtes … Un fils caché ? Mon demi-frère ? Non, un sosie. C'est ça, vous êtes un sosie de moi en plus vieux.

— Ca serait une explication possible. Mais ce n'est pas cela.

— Quoi, vous êtes le moi du futur ? se moqua-t-il.

— Exactement.

— Non ! Vraiment ? Mon Dieu, c'est incroyable ! Ce genre de choses n'arrive que dans les films.

L'homme le regarda avec amusement.

— Oh non, je me suis fait avoir, c'est ça ? C'est une foutue caméra cachée !

— Si c'était le cas, comment je saurais que ton premier souvenir est la balade en poney ? Que tu préfères Star Trek à Star Wars même si tu affirmes le contraire ? Que ta glace préférée est celle à la violette et que tu en as honte ?  Et que tu es tombé amoureux de ta prof d'Espagnol au collège, que tu lui as même écrit une lettre avant de la brûler ? 

Alex s'assit sur son lit, n'arrivant pas à croire ce qu'il entendait.

— Comment c'est possible ?

— Je sais que tu cherches à tout prix une explication rationnelle pour expliquer ma présence, mais tu n'as jamais dit ou écrit toutes ces choses. La seule explication possible, c'est que je vienne de ton futur.

Alex le regarda un moment sans savoir quoi penser.  

— Non seulement le voyage dans le temps est possible, mais en plus ça tombe sur moi ?  

—  Le voyage dans le temps est possible parce que c'est moi qui l'ai inventé. Je viens de quinze ans dans le futur et je suis un brillant physicien. J'ai décidé que cette technologie était trop dangereuse pour la partager avec les autres. Crois-moi, ça m'en a coûté  de passer à côté du prix Nobel. Mais je ne pouvais pas ne pas l'utiliser. Vois-tu, « notre » mère est sensée mourir dans trois ans d'un cancer. S'il avait été détecté plus tôt, elle aurait pu être sauvée. Et c'est exactement ce que tu vas faire.

— Heu … Oui. Je vais y arriver.

— Ne t'en fais pas, un simple dépistage résoudra le problème.

— Mais, on peut changer le passé ? C'est sûr ?

— Normalement.

— Comment ça ?

— Je n'ai jamais essayé une telle expérience sur quinze ans, donc je ne peux pas être sûr. Mais il fallait que j'essaye. Grandir sans père était une chose, mais perdre ma mère était vraiment terrible. J'espère que tu ne vivras pas cela.

— J'espère aussi.

— Dans le pire des cas, profite du temps que tu as avec elle. Dis-lui aurevoir. Moi, je n'en ai pas eu la chance.

— Ca a dû être horrible. Je suis désolé.  

— Merci.

— Ça fait vraiment bizarre de parler à une autre personne qui est moi.

— Oui, c'est vrai. Et pourtant, on est tellement différents, j'ai tellement changé en grandissant. Et si cela fonctionne, tu seras une meilleure version de moi.

— Mais et toi ? Qu'est-ce qu'il va t'arriver ?

— Les principes de la causalité font loi. Je suis le futur « toi », je rentrerai dans mon présent avec plein de nouveaux souvenirs.

— C'est vraiment plus compliqué quand ça arrive en vrai que dans les films, mais je pense avoir compris.

— Bien, continuons alors.

— Quoi, il y a d'autres drames à éviter ?

— Non, mais tant qu'on y est, autant en profiter pour que je te transmette un peu de mon expérience. D'abord, les choses s'amélioreront en sortant de l'adolescence. Tous tes problèmes ne se résoudront pas comme par magie, mais ça ira mieux. Ne reste pas paralysé par la peur, prends des risques et profite de la vie. Si tu savais comme les échecs de ma jeunesse paraissent tellement dérisoires maintenant …

— Je sais, mais …

— Il n'y a pas de mais, fais-le ! L'échec est préférable au regret de n'avoir jamais essayé.  

— Et donc, je serai physicien ?

— Oui, je n'ai pas eu trop de mal à découvrir ce que je voulais faire, étant donné le génie que nous sommes, plaisanta-t-il. Mais fais très attention au professeur Mercier. C'est un vrai salaud, n'essaye jamais de lui tenir tête.

— D'accord, je retiens.

— Et aussi, intéresse-toi au sport nautique : la planche à voile, le catamaran, tu vas adorer.   

— Ca ne m'a jamais attiré.  

— On ne peut pas savoir si on aime tant qu'on n'a pas essayé. Et surtout, quoi qu'il arrive, va au stage de théâtre de la Maison de la jeunesse de ton quartier à tes vingt-quatre ans. Tu y rencontras une fille, Justine. Ça serait dommage qu'un effet papillon t'empêche de la rencontrer.

— Pourquoi ? C'est ma copine ? Ma femme ?

— Inutile de t'en dire plus, au risque de trop changer les choses. Et puis, où serait le plaisir ? Emmène là à une pièce de théâtre pour votre premier rendez-vous, ça lui plaira.   

— Si tu as réussi à la séduire, j'y arriverai aussi.

— Eh bien, peut-être que trop de confiance te rendra imprudent ou te poussera à faire moins d'efforts. L'avenir nous le dira. Enfin « ton avenir ».

— Je peux voir à quoi elle ressemble ? 

— Non. Passons maintenant à la dernière étape, dit-il en lui tendant un bout de feuille. Voici les numéros du Loto.

— Quoi ? C'est énorme, je vais devenir riche !

— Pas tout de suite, tu ne peux pas gagner du premier coup. Inscris-toi le plus tôt possible et joue ces numéros tous les mois. Tu gagneras à tes vingt ans.

— Tout cela va transformer ma vie, je n'arrive pas à y croire !

— Bon, je t'ai dit tout ce que j'avais à te dire, il est temps que je parte.

— Mais, il y a encore plein de choses que j'ai envie de savoir sur mon futur ?

— Trop en savoir n'est jamais bon. Tu as déjà de quoi faire.

— Merci. Merci « Alex ». 

— Mais de rien, « Alex ».  

— Comment vas-tu quitter la maison ?

— Quand maman regarde la télé, elle ne remarquerait même pas un éléphant entrer.

Ils rigolèrent. C'était une pensée que le jeune Alex avait souvent. Son double du futur sortit de la chambre et descendit. Alex l'observa s'arrêter en bas pour jeter un dernier regard vers le salon où sa mère regardait la télé. II sortit ensuite de la maison. Alex retourna dans sa chambre, se passant en boucle la conversation qu'il avait eue.

 

 

            Le vendredi sept juin 2019, Alex était confortablement allongé sur un transat, profitant du soleil. Il était en maillot de bain, une paire de Ray ban sur le nez et les cheveux coiffés avec de la cire. Il avait un corps assez musclé et entretenu et une peau parfaitement bronzée.

Alex avait une vue parfaite sur la piscine de son yacht et la mer devant lui. Le navire s'approcha de Montpellier et accosta. Le capitaine vint le saluer et Alex donna congé à tout le personnel. Il les regarda partir depuis le haut du bateau et aperçut une sublime créature avancer sur le ponton. Une jeune femme en robe légère et attirante avec des lunettes de soleil. Il alla l'accueillir tandis qu'elle montait sur le bateau.

— Ta balade en mer s'est bien passée ? demanda Justine.

— Non, tu me manquais trop.

Il l'embrassa passionnément.

— Tu m'as manqué aussi.

Il l'entraina vers la piscine et ils se déshabillèrent, puis plongèrent dans l'eau pour faire l'amour.

Quinze ans s'était passés depuis l'extraordinaire rencontre qu'avait faite Alex. Pendant longtemps, il s'était questionné sur ce qui s'était vraiment passé. Il avait été terrifié par l'idée de s'être fait arnaquer. L'idée d'un sosie qui l'aurait manipulé lui semblait difficile à accepter tant cet homme lui avait révélé des choses personnelles. S'agissait-il en fait d'un télépathe qui avait lu ses pensées ? Ou d'une expérience scientifique sur la lecture des souvenirs, voire même une réalité virtuelle comme la matrice ? Ou plus simplement d'une hallucination qu'il avait eue. Peu importe la cohérence de ces explications, elles semblaient toujours plus probables que l'idée de pouvoir modifier le tissu même de la réalité et du temps.

Ce ne fut que lorsque le cancer de sa mère fut diagnostiqué que ses doutes s'étaient envolés. Elle fut rapidement traitée et était encore en vie aujourd'hui. Elle avait accepté de jouer au loto pour lui, avec les fameux numéros du futur. A ses dix-huit ans, Alex avait utilisé son argent de poche pour payer l'abonnement au loto. Puis à ses vingt ans, il avait gagné le gros lot. Dix millions d'euros, ça changeaient toute une vie ! Il avait acheté une maison pour sa mère et un bel appartement près de son université. Il avait aussi utilisé une partie de ses économies pour acheter les actions d'un laboratoire de recherche en physique quantique. Il avait ensuite rencontré Justine et avait tout fait pour la séduire sans lui étaler sa fortune. Il avait réussi et ils profitaient tous les deux du grand amour.

Il avait continué ses études jusqu'au Bac+5, puis avait travaillé dans le laboratoire dont il possédait des parts de marché. Il avait son propre laboratoire privé pour faire ses recherches, sans compte à rendre à qui que ce soit. Il faisait les horaires qu'il voulait et menait littéralement une vie de rêve.  

Paradoxalement, ses recherches sur la création d'une machine à voyager dans le temps ne le menaient nulle part. Son sosie du futur avait voyagé dans le temps à ses trente ans. Alex venait de souffler ses trente bougies et semblait nettement en retard par rapport à son sosie. Il ne savait pas s'il reverrait ce phénomène de voyage temporel un jour, ou si sa vie allait rester tranquille.

 

 

            Alex se prélassait devant la piscine pendant que Justine était sous la douche. La revoir après cette balade en mer lui avait fait beaucoup de bien. Soudain, sa journée parfaite s'arrêta lorsqu'un homme monta à bord du yacht. Il eut la surprise de découvrir son sosie, qui semblait tout aussi surpris.

— Quoi ? Non, ce n'est pas possible ! s'inquiéta son sosie.

— Es-tu … celui que j'ai vu … à mes quinze ans ?

— Oui. C'était il y a quelques heures à peine, pour moi. Je suis revenu dans le présent, j'ai cherché ma nouvelle adresse et je suis arrivé devant toi. Oh mon Dieu, ce n'est pas possible ! La théorie de la causalité était censée s'appliquer, ce n'est physiquement pas possible !

— Pourtant, tu es là.

— Ca veut dire que j'avais tout faux ! C'est la théorie du dédoublement du voyageur qui est vrai.

— C'est-à-dire ?

— Une théorie personnelle, que je croyais fausse. Elle dit que le voyageur envoyé dans le passé est une copie de lui-même, une personne différente qui ne subit pas les conséquences des changements dans le passé. De cette façon, aucun paradoxe n'est possible. 

— Donc tu n'as pas mes souvenirs. Ma vie après mes quinze ans est différente de celle que tu as vécue.

— Oui. Je suis un vestige d'une réalité qui n'existe plus. Je ne suis même pas moi, juste une copie d'un homme qui n'existe plus.

— Tu semblais pourtant sûr que cela ne se passerait pas ainsi.

— Je sais, soupira-t-il. Alimenter la machine demande beaucoup d'énergie et je n'ai pas pu faire assez de tests. J'ai fait le grand saut sans m'être assez préparé.

— Écoute, je ne vais pas te laisser tomber.

— Dis-moi au moins que ma mère est encore en vie.

— Elle va bien. J'ai pu la sauver grâce à toi.

— C'est au moins cela de gagné. Raconte-moi ta vie. Qu'il y est une version de moi qui soit heureuse, cela me réconfortera.  

Alex l'invita à s'asseoir sur les fauteuils devant la piscine et lui raconta brièvement ce qu'il avait vécu.

— Les gens t'appellent Alex ? s'étonna le voyageur temporel. J'ai toujours préféré Alexandre en grandissant. Ca fait plus mature.

— Parfait, moi c'est Alex et toi Alexandre comme ça.

— Oui, si tu veux, ralla-t-il. Je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas continué tes études jusqu'au Bac+8.

— Heu, j'ai eu du mal à aller jusqu'au Bac+5. Je n'aurais jamais réussi à continuer.

— Pourtant moi je l'ai fait, donc cela veut dire que tu avais les capacités pour y arriver.

— Pourquoi m'embêter ? J'aime la science, mais j'ai tout ce que je désire. Je profite de la vie tout en faisant ce que je veux dans mon laboratoire.

— Pourtant tu es loin d'avoir réussi à créer une machine temporelle. Ca ne t'a pas alerté ? S'il y avait eu causalité, tu aurais été obligé de revenir dans le passé pour te prévenir toi-même du futur à tes quinze ans.  

— Je respirais encore, donc je ne me suis pas inquiété. Et puis finalement, la causalité n'a pas fonctionné, donc tout va bien.

— Tu es beaucoup moins anxieux que moi, je dois l'avouer.

— Tu peux dormir ici si tu veux. On trouvera une solution ensemble.

— Non, imagine si Justine me voyait.

— J'ai un appartement où tu peux dormir, je vais te donner les clefs.

— Merci. Je vais y aller maintenant, j'ai besoin de rester seul pour faire le point.

— Ok, je comprends.

Alex le raccompagna jusqu'à la sortie avant que Justine ne revienne. Il le regarda partir sur le ponton et commença à s'inquiéter d'avoir un autre « lui » se baladant dans la nature.

 

 

            Le lendemain, Alexandre se réveilla dans l'appartement secondaire d'Alex. Même si ce dernier n'y mettait pas souvent les pieds, ce logement était déjà bien plus grand et bien plus luxueux que tout ce qu'Alexandre avait déjà connu.

Alexandre alla dans la salle de bain et se regarda longuement dans le miroir. Il avait l'impression de voir un fantôme. Tout ce qu'il avait fait dans sa vie, aussi douloureuse qu'elle ait pu être, avait disparu. Il était de trop dans ce monde et le plus logique pour lui était de disparaître. Mais pas tout de suite.

Alexandre se prépara et se rendit chez sa mère. La revoir après tout ce temps lui fit le plus grand bien. Il ne l'avait jamais vu aussi âgée et essaya d'en apprendre le plus possible sur ce qu'elle avait vécu. Il fut dans l'embarras lorsqu'elle lui parla de choses dont il ne savait pas sur Alex et improvisa comme il put. 

Il serait bien resté plus longtemps, mais sa mère avait des choses à faire et ce n'était pas comme si elle avait attendu quinze ans avant de le revoir. Il envoya un sms à Alex pour qu'ils se retrouvent dans son laboratoire.  Alexandre était très curieux de voir les travaux scientifiques de son autre « lui » enrichis. Il arriva à l'heure et dut attendre Alex pendant plus d'un quart d'heure.

— Désolé pour le retard, répondit-il d'un air désinvolte.

— Tu ne sais pas ce que c'est de devoir respecter des horaires, j'imagine.

— L'avantage de ne pas avoir de patron. Entre.

Alexandre examina l'endroit pendant qu'Alex lui présentait tous ses travaux. Ce dernier était très fier et espérait l'impressionner. Alexandre lui avait apporté beaucoup et il le considérait presque comme une figure paternelle. Il espérait obtenir son approbation.

— Alors, qu'en penses-tu ?

— Ce que j'en pense ? J'en pense que tu es à mille lieux d'inventer le voyage dans le temps. J'en pense que tu n'as même pas prouvé qu'on pouvait voyager plus vite que la lumière. J'en pense que tes travaux sont dérisoires.

— Pas la peine d'être si dur, se vexa Alex.

— Mais c'est vrai. Combien de temps tu passes dans ce laboratoire ? Je parie que tu restes toute la journée sur ton yacht. Tu ne sais pas ce que c'est de travailler jour et nuit jusqu'à réussir. L'argent t'a rendu fainéant. C'est ma faute, je n'aurais pas dû te donner les numéros du loto.

— Peut-être. Mais tu l'as dit toi-même, le voyage dans le temps est une technologie dangereuse. J'avais tout ce que je voulais, je n'avais aucun besoin de l'inventer.

— La curiosité scientifique ?

— Toi et moi on a eu exactement la même enfance, mais on a passé quinze années très différentes.

— Je suis d'accord.

— Il nous faut maintenant décider de comment on va gérer ta situation. Je te propose de te donner de l'argent et de te créer une nouvelle identité. Tu pourras commencer une nouvelle vie. Etant donné qu'on a le même visage et le même ADN, mieux vaut que tu partes dans un autre pays.

— Tu te débarrasses de moi ?

— Non. Toi et moi on est plus que de la famille, on sera toujours lié. Mais tu ne pourras jamais faire ta vie ici. 

— Ca serait le plus logique, soupira Alexandre. Je ne fais pas parti de cette réalité.

— Très bien. Je vais m'occuper de tout alors.

— Non, je ne suis pas d'accord, se ravisa-t-il. C'est grâce à moi que tu as tout cet argent ! Tu n'as rien fait pour le mériter, alors que moi, j'ai travaillé et souffert toute ma vie. Cette vie, c'est moi qui la mérite ! 

— Hey, c'est ma vie ! s'énerva Alex. J'y peux rien si tu t'es trompé ! Je n'ai rien demandé moi, c'est toi qui a fait une erreur en pensant qu'il y aurait causalité. C'est ton problème.

Alexandre essaya de se calmer.

— Oui, tu as raison, excuse-moi. Je te laisse, je ne veux pas m'énerver à nouveau.

Alexandre sortit précipitamment du laboratoire. Alex resta un long moment à ruminer, ne sachant plus que faire.

 

 

            Le lendemain, Justine travaillait dans son agence immobilière. Son travail était assez stressant, mais lui faisait beaucoup de bien. Elle aurait pu vivre aux dépens d'Alex dans son yacht, mais elle désirait avant tout demeurer indépendante. De plus, elle ne voulait pas lui donner l'impression de rester avec lui que pour l'argent.

Midi approcha et sa collègue vint la prévenir qu'ils allaient partir déjeuner. Elle se prépara à quitter son bureau lorsqu'elle eut la surprise de voir Alex.

— Alex ? Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle avec un sourire.

— Il faut qu'on parle de quelque chose, dit-il en fermant la porte du bureau.

— Oui, bien sûr.  Ce n'est rien de grave ?

— Si, justement.

— Tu m'inquiètes. J'envoie un message à mes collègues pour leur dire de partir sans moi.

Il s'assit à côté d'elle.

— Ce que je vais te dire va te sembler complètement dingue …

— Bien sûr que non, lui dit-elle en lui prenant la main. Tu peux tout me dire.

— Non, je crois que c'est préférable que je te montre.

Il lui montra des photos qu'il fit défiler sur son téléphone. Elle les regarda attentivement, mais n'en reconnut aucune.

— Ce sont des photos de nous. Où est-ce qu'elles ont été prises ?

— Celle-ci a été prise à Lyon. Celle-là lors de nos vacances à la station de ski des Ores. Et elle, dans notre appartement où on a vécu deux ans.

— On n'est jamais allé à ces endroits ! protesta-t-elle. Je ne comprends pas.

Il lui montra des photos de mariage.

— Tu essayes de me faire une blague ? C'est un photomontage ?

— Sur autant de photos ? Regarde celle-là, avec toute ta famille derrière nous. Tu crois que j'aurais pu trafiquer ça ?

— Oui, par ce que je ne vois pas d'autre explication !

— Il y en a pourtant une autre. J'ai fabriqué une machine à voyager dans le temps.

Elle le regarda les yeux grands ouverts, pendant qu'il lui expliquait tout.

— Je sais que cela fait beaucoup à encaisser.

— Que tu es trafiqué toutes ces photos me parait impossible, mais ton histoire de voyage dans le temps me le semble encore plus.

— Alors fais-moi confiance. Tu me connais.

— Non, justement. Si ce que tu me dis est vrai, je ne te connais pas.

— Je ne suis pas le « Alex » avec qui tu as vécu, non. Mais moi, je te connais. Tu es une femme merveilleuse. Dans ma réalité, tu faisais du bénévolat pour les restos du cœur, tu prenais soin des gens, tu étais généreuse.

— Alors quoi, je suis une mauvaise personne par ce que je ne me suis jamais mise au bénévolat ?           

— Non, ce n'est pas ce que je dis. Tu étais juste une meilleure personne avec moi. On était même mariés, c'est bien la preuve que notre relation était plus agréable !

— Mais l'autre Alex, il est toujours là ?

— Oui.

— Alors quoi ? Je laisse tomber l'autre Alex pour toi ?

— C'est ce que je te demande, oui. J'ai perdu ma femme dans ce voyage dans le temps. Je sais que c'est une décision difficile à prendre. Tout n'était pas rose dans ma réalité et on manquait toujours d'argent, mais on vivait passionnément.  

— Je n'arrive même pas à croire à ce que tu me dis.

— Je comprends. Je vais te laisser du temps pour y réfléchir. J'ai copié les photos et vidéos sur cette clef USB, prend ton temps pour les regarder. N'en parles pas à l'autre Alex, il ne va pas apprécier.

Il la regarda une dernière fois et sortit. Il avait le souffle court. Voir sa femme qui ne se rappelait pas de lui était vraiment très éprouvant. Une partie de lui avait l'impression d'avoir tué la Justine de sa réalité. Mais même si c'était une version différente, il l'aimait quand même.  

 

 

       Justine avait pris son après-midi après la révélation d'Alexandre. Elle était restée un long moment à regarder les photos et vidéos qu'Alexandre lui avait passées et encore plus à réfléchir à tout ce que cela signifiait. Elle était au moins sûre d'une chose, cette histoire était vraie. Entre les preuves d'Alexandre et les coïncidences entourant la vie d'Alex, ça ne pouvait qu'être vrai.

Elle décida donc d'aller voir Alex pour lui en parler. Elle monta à bord de son yacht et le trouva dans sa salle de méditation. Il ne s'y trouvait que lorsqu'il n'arrivait pas à gérer un problème.

— Ah, chérie, dit-il en se relevant. Je ne savais pas que tu devais passer.

— Je sais tout. Il est venu me voir.

La mine d'Alex s'assombrit radicalement.

— Tu l'as cru ?

— J'ai bien fait ?

— Oui. Le cancer de ma mère, le loto, c'était grâce à lui.

— Et moi ?

— Il m'a juste dit comment te rencontrer, c'est tout. Qu'est-ce qu'il voulait ?

Elle s'assit sur une chaise sans savoir quoi répondre et il en fit de même.  

— Il voulait me convaincre de partir avec lui.

— Le salopard ! Comment peut-il me faire cela, à moi ? Je suis la personne qui lui ressemble le plus au monde, on est plus que de la famille.

— Mets-toi à sa place. Il a perdu son identité, sa vie, sa femme.

— Sa femme ?

— Il ne t'a pas dit qu'on était mariés ? Enfin, qu'il était marié avec « l'autre Justine ». Je n'arrive pas à croire que je viens de dire ça.

— Non, il ne m'a rien dit. Et donc ? hésita-t-il.

— Et donc quoi ? 

— Tu songes à partir avec lui ?

— Bien sûr que non ! C'est toi que j'ai aimé ces six dernières années. Vous n'êtes pas la même personne tous les deux, vous avez un passé et des expériences différentes.

— Oui, il se considère comme supérieur à moi.

— Il dit que notre relation était meilleure qu'avec toi. Mais toi, tu as accepté que je ne veuille pas me marier. D'une façon ou d'une autre, avec lui, j'ai dû céder.

— Ou « l'autre toi » était plus amoureuse de lui.

— Bien sûr que non.

Elle s'agenouilla devant lui et lui donna un baiser. Cela le rassura un peu.

— Je lui ai proposé de l'argent et des papiers pour construire une nouvelle vie et voilà comment il me remercie, déclara Alex. Je ne sais pas quoi faire contre quelqu'un qui a mon visage, mon ADN et les souvenirs de mes quinze premières années.

— Essayons d'aller lui parler, je suis sûre qu'il y a un moyen de le raisonner. C'est ce qu'il y a de mieux à faire.

— Ok, heureusement que tu es là. Il dort dans mon appartement, allons-y.

Ils se préparèrent à partir et Alex alla éteindre son ordinateur. Avant d'aller essayer de méditer, il était en train de préparer la nouvelle vie d'Alexandre. Il découvrit des nouveaux mails et les ouvrit. Il s'agissait de confirmation de changements de mots de passe. Son compte mail, son compte bancaire et plein d'autres choses importantes. Il se dépêcha d'accéder à son compte bancaire, mais ses mots de passe ne marchaient plus.

— Le salopard ! jura Alex.

Il essaya d'activer tous ses sites bancaires et tous ses comptes administratifs, sans succès.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Justine en accourant.

— Il a changé mes mots de passe ! Je n'ai plus accès à mes comptes bancaires !

— Comment c'est possible ?

— Les mots de passe que j'ai inventé sont sûrement les mêmes qu'il a inventé dans sa vie. Tu vois, les mêmes souvenirs !

Alexandre entra dans la pièce sans prévenir.

— Comment es-tu entré ?   

— Serrure à empreinte digitale, j'adore, se moqua Alexandre. 

Alex essaya de l'attraper par le col, mais Alexandre le repoussa aussitôt. Alex lui donna un coup de poing dans la figure auquel Alexandre répondit aussitôt. Justine resta bouche bée en regardant ces deux silhouettes identiques s'affronter violement. Alex était fou de rage tandis que son adversaire était calme et réfléchi. Alexandre réussit à le faire trébucher et Justine s'élança pour se mettre entre eux.

— Ça suffit ! Tous les deux !

— Salopard ! Tu n'as pas le droit ! cria Alex en se relevant.

— Je te l'ai dit, c'est grâce à moi que tu as obtenu cet argent, je ne fais que reprendre ce qui m'appartient de droits.

— Tu me demandais de venir avec toi, intervint Justine, et quelques heures plus tard, tu le dépouilles de son argent ? Tu es vraiment un monstre !

— Non, Justine, lui dit-il en lui prenant les mains. Je me suis dépêché avant qu'il ait l'idée de changer ses mots de passe, c'est tout. Je ne lui veux aucun mal, Justine, je te le promets.

— Ecarte-toi d'elle ! cria Alex en le repoussant.

— Alex, c'est à moi maintenant de te faire une proposition. Je te passerais de l'argent et une nouvelle identité, tu pourras te refaire une nouvelle vie à l'étranger.

— Va te faire foutre !

— Tu vois ce que cela fait ? De voir quelqu'un d'autre voler sa vie.

— Ça suffit ! désespéra Justine. Il doit bien y avoir un moyen de régler pacifiquement cette situation sans précédent.

— On peut toujours se partager les six millions d'euros, oui, confirma Alexandre. Mais comment fait-on pour notre identité ? Pour savoir qui sera auprès de maman ? Ou de toi, Justine.  

— Elle ne veut pas de toi ! répondit Alex.

— Elle ne me connaît même pas, mais elle finira par changer d'avis.

— Ne prétends pas savoir ce que je vais faire ! s'énerva Justine.

— Soit. De toute façon, c'est moi qui ai l'argent, l'intelligence et le voyage dans le temps. Donc c'est moi qui décide pour le reste. Je te laisse le yacht et je vais m'occuper de ta nouvelle identité. Tu me diras dans quel pays tu veux vivre.

Alexandre s'en alla. Alex se serait jeté sur lui si Justine ne l'avait pas retenu. Ils échangèrent un regard grave, tous deux effrayés par l'avenir.

 

 

        Alexandre s'était payé une superbe chambre dans un hôtel cinq étoiles. C'était la première fois qu'il dormait dans un tel hôtel et il s'y était vite habitué. De toutes ces années de durs labeurs, qui ne lui avaient apporté qu'un maigre salaire, il était enfin récompensé.

Une semaine s'était passée depuis son altercation avec son autre version de lui et qu'il vivait dans ce luxe. Même s'il pouvait se payer tous les restaurants du monde, il tenait à faire la cuisine lui-même. Il avait l'habitude de faire les choses tout seul et cuisiner de bons aliments était toujours plus agréable que les produits premier prix.

Il apporta le plat sur la table du balcon ornée d'une belle nappe et de bougies. Il avait une vue parfaite sur la ville et le coucher de soleil. Mais ses yeux ne se détachaient pas de Justine qui l'attendait.

— Quelle bonne odeur !

— Risottos de Gambas et ses Saint-Jacques de Bretagne.  

— Mon plat préféré.

— Je sais, lui dit-il d'un air complice.

Il l'a servi et ils commencèrent à manger. Cela faisait une semaine qu'il l'a fréquentait. L'expérience était assez étrange. D'un côté, il était content de pouvoir refaire connaissance avec la femme de sa vie et de revivre l'excitation de la période de séduction. Mais d'un autre, il ne pouvait s'empêcher de la comparer à la version qu'il connaissait et de regretter toutes les petites différences. Bien sûr, il n'en laissait rien paraître.

— Et c'est comme cela que j'ai découvert la planche à voile, en logeant dans un Airbnb pour faire des économies où j'ai rencontré quelqu'un qui aimait en faire ! Et j'ai tout de suite adoré !  

— Ca ne m'étonne pas de toi, dit-elle en rigolant.

Il la contempla quelques instants.

— Je suis content que tu m'aies laissé une chance de faire ta connaissance.

— Bien sûr. J'étais très curieuse de savoir qui tu étais.

— Et … Es-tu heureuse de ce choix.

— Oui, très.

Il posa sa main sur la sienne. Elle finit par la retirer poliment sans savoir où regarder. Ils parlaient comme deux amoureux, mais à chaque fois qu'il tentait un contact physique, elle le repoussait. Et même s'il s'était juré de lui laisser du temps, cela l'agaçait.

— Quelque chose ne va pas ?

— Non rien. Je m'inquiète juste pour Alex.

Il soupira.

— J'ai essayé de le dissuader, continua-t-elle, mais il n'en fait qu'à sa tête.  

— Porter plainte pour usurpation d'identité contre un homme qui a son propre ADN, c'était vraiment stupide. S'il continue comme cela et que les autorités s'intéressent à nous, elles risquent de découvrir ma machine à voyager dans le temps. Tu imagines les conséquences ?

— Bien sûr. Mais mets-toi à sa place, il …

— Il a prouvé qu'il voulait me tenir tête. Je ne peux pas lui rendre la moitié de son argent tant que je ne peux pas lui faire confiance.

— Je comprends, je t'assure, le rassura-t-elle. Promets-moi juste que tu ne lui feras jamais de mal.

— Evidement. C'est une version de moi, que je l'apprécie ou pas.

— Parlons d'autres choses, d'accord ? Essayons de passer une bonne soirée.

A la fin du repas, ils sirotèrent un ultime verre de vin en s'appuyant contre la rambarde du balcon. Le soleil avait disparu, le ciel était à peine illuminé au loin et seules les lumières de la ville brillaient devant eux. Alexandre tenta d'installer un moment romantique entre eux, déterminé à la séduire une bonne fois pour toute.

— Tu sais, quand je pense à toi, je ne fais même plus la différence avec celle que j'ai connue. A croire que l'amour rend vraiment aveugle.

— Oh ? répondit-elle gênée. Ce n'est pas bien de me comparer à ton ex.

— J'ai plutôt l'impression d'avoir toujours été avec toi. Je voulais m'offrir une vie meilleure en retournant dans le passé, mais aussi pour pouvoir mieux te chérir et te protéger. J'ai toujours pensé à ton bonheur.

Il lui caressa les cheveux.

— Alex, non.

— Je sais que tu en a envie.

Il l'embrassa et elle retira ses lèvres. Il la tint contre lui et lui chuchota à l'oreille.

— Je sais que tu me préfères à lui. Je suis fort, il n'est qu'un bourgeois pourri gâté.

Il essaya de l'embrasser encore, mais elle se démena de plus en plus. Il essaya de la garder contre lui en pensant qu'elle était à deux doigts de tomber dans ses bras, mais elle le repoussa et le gifla soudainement.

— J'ai dit non !   

— Qu'est-ce qui te prend ? Je croyais que tu étais bien avec moi ?

 — Je ne veux pas, c'est tout !  

— Pourquoi ? s'énerva-t-il. Je suis ton mari !

 — Bien sûr que non !

— Je suis le même homme que tu as toujours aimé, je suis encore meilleur !

— Ce n'est pas toi que j'ai aimé ces dernières années !

— Alors c'est toujours à cause de lui !

— C'est difficile pour moi, j'ai juste besoin que tu me laisses un peu de temps !

— Un peu de temps ? C'est ça, je vois bien que tu te fiches de moi ! Je te connais Justine, mieux que ton Alex ne te connaîtra jamais. Pourquoi tu restes avec moi ? C'est Alex qui t'envoie pour m'espionner ! cria-t-il dans un accès de rage.

— Non !

— Ce sale enfoiré ! Je savais qu'il fallait que je m'occupe de lui.

— Non, ce n'est pas lui, c'est moi ! J'avais peur que tu lui fasses du mal.

— Oh, je vois. Tu es restée avec moi juste pour me dissuader de lui faire du mal. Pourquoi, tu as peur que je le tue, c'est ça ? Tu as peur de moi ? Je vois bien que tu as peur de moi. Toute cette semaine ensemble, c'était faux. Juste de la manipulation !

— Non, Alexandre.

— Ne me mens pas ! Je t'ai perdue toi aussi lorsque j'ai changé mon passé, je le réalise maintenant. Cela m'apprendra à vouloir jouer à « Dieu ».

Elle le regarda effrayé sans savoir quoi dire.

— Allez, sors de chez moi ! Je ne veux plus te voir !

Elle s'empressa de prendre ses affaires et de sortir, pendant qu'il la jetait presque littéralement dehors. Il se sentait trahi comme jamais et s'en voulait terriblement. Justine était l'une des rares filles qu'il avait séduite dans ses débuts de célibataire endurci et il ne l'avait plus quitté jusqu'à l'épouser. Elle était la seule femme qu'il n'ait jamais aimée. Maintenant, il ne ressentait plus que de la haine envers elle.

 

 

         Alex vivait toujours sur son yacht. C'était la seule chose que son double infernal lui avait laissé. Sa réserve de billets n'était que de cinq mille euros et s'amenuisait rapidement. Et il redoutait le jour où il n'aurait plus rien.   

Alex avait passé la semaine à la gendarmerie et à la banque pour tenter de prouver qu'on lui avait volé son identité. Mais le système mettait du temps à agir et n'était pas conçu pour gérer les problèmes de science-fiction lorsqu'ils devenaient réels. En outre, il se sentait de plus en plus désespéré.

Il se trouvait à son bureau lorsque son téléphone sonna. Il faisait nuit et il se demandait bien qui pouvait l'appeler à cette heure-ci. C'était Justine et il s'empressa de décrocher.

— Justine, tu vas bien ?

— Oui, ça va. On s'est disputé, il ne veut plus me voir.

— Il ne t'a pas fait de mal ?

— Non, ça va.

— Ok. Tu as eu ce que je voulais ?

— Oui, je crois. J'espère que cela suffira.

— Ok. Rejoins-moi sur le bateau et je pourrais vérifier.

— D'accord. Tu sais, il m'a fait très peur. Il …

Alex sursauta lorsque l'alarme d'intrusion de son yacht hurla autour de lui. L'adrénaline et la peur le submergèrent en un éclair.

— L'alarme d'intrusion ! Ne va pas chez moi !

Il lâcha le téléphone et regarda son ordinateur. L'écran afficha automatiquement les différentes vues des caméras. Il aperçut quatre hommes cagoulés en tenue noire et armés de fusils d'assaut. Ils se déplaçaient comme de vrais commandos, ce qui lui fit froid dans le dos. Ils tirèrent sur les caméras et Alex les perdit de vue. 

Il se leva d'un bond et prit ses jambes à son cou. Son cœur battait tellement fort dans sa poitrine qu'il avait l'impression qu'il explosait. Jamais sa vie n'avait été en danger auparavant. Cela ne l'empêcha pas pour autant de se rappeler exactement ce qu'il devait faire.

Alex descendit dans le hangar du yacht, attrapa les clefs de son jet ski et sauta dessus. Le premier assaillant arriva lorsqu'il mit les gaz. Une série de détonations étouffées par un silencieux accompagna sa sortie du yacht à toute allure. Il tourna pour éviter les balles, mais les lumières du port l'exposaient encore. D'autres assaillants tirèrent depuis les fenêtres et il continua ses petits virages tout en s'éloignant le plus possible du port, les balles sifflant autour de lui. Il s'éloigna finalement assez loin et disparut  dans le noir de l'océan.

Une demi-heure plus tard, Alexandre entra dans le yacht. Les quatre mercenaires avaient sécurisé les lieux pour sa venue. Ils le braquèrent en le voyant arriver, mais il avança tranquillement vers eux.

— Ad vitam aeternam.

Ils baissèrent leurs armes. C'était un code pour prouver qu'ils avaient à faire au bon Alex. Cela voulait dire « pour la vie éternelle » en latin.

— Pourquoi cette précaution ? demanda Alexandre d'un air mécontent. Vous ne l'avez pas tué ?

— Non, répondit le chef des mercenaires. Votre jumeau s'est échappé en jet-ski.

— Bordel ! Je croyais avoir à faire à des professionnels ! s'emporta-t-il. Vous pouvez vous gratter pour avoir la deuxième moitié de votre paye !

— On le retrouvera, personne ne nous échappe indéfiniment.

— J'espère bien ! Et faites cela discrètement, je ne veux pas que le monde voit quelqu'un avec mon visage se faire descendre.

— Personne n'en saura rien.

— Allez-y, je m'occupe de fouiller ses affaires.

— Je laisse quelqu'un ici au cas où il reviendrait.

Alexandre acquiesça et monta à l'étage. Il alla voir l'ordinateur d'Alex, mais il s'était verrouillé. Il n'apprendrait rien de ses manigances. Il décida de fouiller tout le yacht. Il était incroyablement grand, preuve encore une fois que son autre version de lui s'était perdue dans la luxure. Il n'aimait pas en arriver là, mais c'était sa seule solution pour retrouver sa vie. Et il avait vraiment hâte que cette histoire soit finie.  

 

 

            Le soleil s'était levé sur la ville. Se cacher sur la plage n'était plus une option dorénavant. Son jet-ski avait pris plusieurs balles et avait rendu l'âme en pleine mer. Alex avait dû nager dans l'obscurité jusqu'au rivage, puis s'était blotti contre une cabane pour se cacher.  

Encore un peu mouillé et frigorifié, Alex se dirigea vers la ville. Il n'avait absolument rien sur lui, ni téléphone ni portefeuille. Et surtout, les hommes qui avaient essayé de le tuer devaient le rechercher activement. Il aurait pu aller voir la police, mais il savait qui les avaient envoyés. Son enfoiré de sosie temporel, riche à million. Ce salaud pouvait se payer toute la ville pour le retrouver et il ne pouvait compter que sur Justine.

Bien sûr, Alexandre devait surveiller ses communications et l'appeler directement était trop risqué. Il préféra aller voir sa vieille amie de la fac, Amandine, pour lui demander de lui transmettre un message.

Il arriva devant chez elle, mais elle ne répondit pas. Elle devait déjà être partie travailler. Il n'avait d'autre choix que d'attendre devant chez elle. Midi passa et son ventre gargouilla comme jamais. Il ne s'était jamais senti aussi démuni et essaya de mendier. Mais les gens donnaient moins souvent aux jeunes et il se résolut à rester affamé.

Vers dix-huit heures, pour ce qu'il en savait, Amandine retourna enfin chez elle. Elle fut très surprise de le voir ici et accepta de lui laisser son téléphone pour appeler Justine. Il lui donna rendez-vous au parking du McDo du coin.

Alex attendit près de l'entrée, le ventre gargouillant encore plus à cause de l'odeur ambiante du fast-food. Justine arriva enfin dans son Opel Corsa blanche et se gara devant lui. Elle fondit dans ses bras en lui demandant s'il allait bien.

— Oui, ça va, je vais bien. Il a essayé de me tuer, Justine. Il a envoyé quatre hommes armés pour me tuer. 

— Oh mon Dieu ! Comment il a pu faire ça ?

— J'aurais dû accepter l'argent et partir.

— Non, c'est ma faute. On s'est disputé. Il a essayé de m'embrasser et je l'ai repoussé. Il a compris que jamais il ne me récupérerait.

— Ce n'est pas ta faute Justine, lui dit-il en la serrant contre lui. C'est lui qui a décidé de franchir la ligne, tu n'y es pour rien.

— Qu'est-ce qu'on va faire ?

— La société ne peut rien faire contre un millionnaire qui voyage dans le temps et nous non plus. Notre seule option, c'est de voyager dans le temps nous aussi. As-tu ce que je voulais ?

— Oui, dans le coffre.

Elle l'ouvrit et il vérifia les appareils de mesures.

— Je les ai passés près de ses vêtements et de ses affaires, déclara-t-elle. Ca a fait « bip » de temps en temps.

— Parfait. Lorsqu'il a voyagé dans le temps, il a été imprégné de particules temporelles, des tachyons. Si ces appareils les ont détectés chez lui, ils nous permettront de retrouver sa machine temporelle.

— Ce que j'adore quand tu expliques simplement les choses pour que je comprenne ! Allons-y !

— Non, il nous manque quelque chose d'indispensable ! Tu as de la monnaie pour acheter un hamburger ?

 

 

            Alex et Justine passèrent toute la nuit à chercher la machine temporelle d'Alexandre. Balayant les bâtiments avec leurs détecteurs à la recherche d'émission de tachyons, ils étaient terrifiés à l'idée qu'Alexandre ou ses hommes ne les trouvent. Le pire était qu'ils ne savaient même pas s'il avait caché sa machine dans la ville ou ailleurs, ni la place qu'elle pouvait bien prendre.

Le dimanche 16 juin, le soleil commença à se lever. Alex faillit renoncer tant il était désespéré et exténué lorsque la machine détecta quelque chose. Ils se trouvaient dans une zone industrielle peu fréquentée, un endroit idéal pour cacher quelque chose. Alex et Justine scannèrent l'endroit, tout excités sen entendant leurs appareils biper. Ils se rapprochèrent d'un entrepôt où les émissions de tachyons se concentraient et essayèrent d'entrer. Les portes du vieil entrepôt étaient verrouillées, mais ils finirent par forcer l'une d'entre elles.

L'endroit était sombre et poussiéreux et des rais de lumières du soleil naissant traversaient le toit délabré. Un grand espace abritait une construction étrange en son centre.

— Qu'est-ce que c'est que ce truc ? demanda Justine.

— C'est ça ! C'est forcément ça ! cria Alex en s'approchant rapidement de la chose avec son détecteur. Je détecte de fortes émissions !

C'était une étrange construction métallique et rectangulaire de trois mètres de haut sur quinze de long. L'esthétique n'avait pas été le souci premier d'Alexandre en la construisant.   

— Il se croit plus intelligent que moi mais j'ai réussi à la trouver sa machine ! se vanta Alex.

— Ca y est, on l'a enfin trouvée, lâcha Justine dans un soulagement. Ca ne ressemble pas à grand-chose.

Alex monta sur l'échelle de la machine et arriva sur le toit. Il découvrit une grande trappe à l'avant et l'ouvrit.

— Qu'est-ce qu'il y a là-haut ? demanda Justine trop fatiguée pour le suivre.

— Un sorte de cockpit, avec un siège et un ordinateur.

Alex sauta dessus tout excité, prit place sur le siège et alluma l'ordinateur. Les centaines de boutons et de voyants l'entourant s'allumèrent avec de petits bruits. Evidemment, l'ordinateur demanda un mot de passe et Alex tapa du poing en jurant.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Il se passe que je vais essayer de pirater cette machine. Prends tes aises, ça va durer un moment.

Justine en profita pour s'asseoir contre le rebord de la machine. Alex commença à s'insérer dans le système, jouant de ses compétences en informatique. Il était persuadé de pouvoir battre son double maléfique lorsqu'il activa une alarme. La machine venait d'envoyer une alerte d'intrusion. Alexandre et ses hommes allaient certainement arriver d'un instant à l'autre. Il en fut pétrifié et ne sut plus quoi faire. Il se força à respirer longuement et reprit ses esprits. Hors de questions d'échouer après tous ces efforts. Il devait pirater le système avant leur arrivée.

Il n'en dit rien à Justine, estimant qu'il était inutile de l'inquiéter. Cinq minutes passèrent, puis dix, puis quinze, puis vingt. Alex était proche du but, mais il savait que ce n'était plus qu'une question de minutes avant qu'ils n'arrivent.

Des gens essayèrent d'ouvrir les portes verrouillées.

— Alex ! cria Justine.

— C'est eux, enfuis-toi !

— Pas sans toi !

— J'y suis presque, va-t'en avant qu'ils ne te tuent !

Il referma la trappe au-dessus de lui, compressé dans le petit cockpit. Alexandre ouvrit la porte avec ses clefs et entra rapidement avec ses hommes. Ils braquèrent Justine qui avait décidé de rester.

— Ne tirez pas ! ordonna Alexandre.

— Alors c'est comme ça ! cria Justine pour masquer sa terreur. Tu en es arrivé à assassiner ton double !

— Où est-ce qu'il est ? demanda-t-il d'un air affolé.

Il se précipita vers l'échelle, mais Justine lui fit face. Elle essaya de l'empêcher de monter, mais il finit par arriver à la dégager. Il arriva en haut et attrapa la poignée de la trappe. Trop tard, Alex avait activé le voyage temporel. Les moteurs se mirent à ronronner et Alexandre sauta du toit.

— Il ne doit pas partir ! Tirer ! Tirer sur cette machine !

Les quatre mercenaires ouvrirent le feu avec leurs fusils automatiques. Les balles ricochèrent contre la carcasse et la traversèrent par endroits. Alex se dépêcha d'entrer la date et le lieu d'arrivé sur l'ordinateur. Le compte à rebours défila et il croisa les doigts. Les chiffres arrivèrent à zéro et il perdit connaissance.  

 

 

            Alex se réveilla dans le cockpit de la machine sans savoir combien de temps il s'était évanoui. Ses oreilles étaient bouchées et il avait mal à la tête. L'ordinateur quant à lui était toujours activé. Il affichait la date du vendredi sept juin.

Alex tendit l'oreille, mais il ne semblait n'y avoir plus personnes. Il ouvrit timidement la trappe au-dessus de lui et jeta un œil, terrifié à l'idée de tomber sur Alexandre. Mais il n'était même plus dans l'entrepôt, il était dans un immense réservoir industriel.

Alex avait programmé la machine pour qu'elle atterrisse dans le réservoir abandonné à côté de l'entrepôt, le jour où Alexandre était monté sur son yacht pour la première fois. Il devait donc bien avoir voyagé dans le passé, même s'il lui était difficile de se faire à cette idée.

Il retourna à ce fameux entrepôt et entra discrètement à l'intérieur. Il était vide. Il attendit dans l'ombre, pendant plus d'une heure. Dans un bruit de tonnerre et un flash aveuglant, la machine se matérialisa dans l'entrepôt. Alexandre en sortit. C'était « le » Alexandre qu'il avait rencontré à ses quinze ans, en jean bleu et chemise beige. Cette fois, il n'y avait plus aucun doute, il avait vraiment voyagé dans le passé et il en était tout excité.

Alexandre fit le tour de l'entrepôt pour vérifier qu'il n'y ait personne et il l'espionna de loin. Il le suivit ensuite jusqu'au yacht et observa depuis le port cette version antérieure d'Alexandre rencontrer sa propre version antérieure de lui-même. Se regarder soi-même était vraiment étrange, même s'il ne voyait pas grand-chose à cette distance. A ce moment-là, il n'aurait jamais imaginé qu'Alexandre allait finir par essayer de le tuer. Il avait maintenant retrouvé l'avantage et il avait déjà imaginé un plan pour l'arrêter.  

 

 

            Le dimanche seize juin, dans l'entrepôt, Alexandre, Justine et les quatre mercenaires furent témoin de la disparition de la machine temporelle.

— Où est-il allé ? Où est-il allé ! demanda Alexandre fou de rage en tenant Justine par le bras.

— Je n'en sais rien ! cria-t-elle pour qu'il l'a lâche.

Alors que les mercenaires se demandaient encore comment un tel monstre de métal avait pu se volatiliser, plusieurs détonations résonnèrent dans l'entrepôt. Ils levèrent leurs armes, tirèrent dans le vide, mais furent tous fauchés par la mort.

Alexandre et Justine étaient accroupis par terre, ne comprenant rien à ce qui se passait. Huit hommes débarquèrent et les encerclèrent. Un neuvième arriva en trottinant. C'était Alex.

— Ils sont avec moi, tout va bien !

Justine se jeta dans ses bras pendant que les mercenaires menottaient Alexandre.

— Comment c'est possible ? Lâchez-moi !

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Justine. Tu viens à peine de partir.

— Je t'expliquerais plus tard. Sécurisez la zone et nettoyez tout ça ! ordonna-t-il à ses mercenaires.

Certains sortirent et d'autres rassemblèrent les corps. Alex dégaina son pistolet et braqua Alexandre.

— Tu as volé ma vie, tu as essayé de me tuer et tu l'as mise en danger ! Moi au moins, j'ai le courage de te tuer moi-même ! 

Il s'apprêta à tirer lorsque Justine s'interposa.

— Arrête ! Qu'est-ce qui te prend ?

— Pousse-toi ! Il a failli nous tuer ! Il n'y a pas d'autres moyens !

— Tu veux commettre un meurtre ?

— Tu ne vois pas qu'il est aussi pourri que moi ! se moqua Alexandre.

— Ta gueule ! Je maitrise la situation, fais-moi confiance.

— Tu viens de payer des gens pour en tuer d'autres et maintenant tu veux assassiner ton double, répondit-elle gravement.

Son regard accusateur le fit se sentir horriblement mal. Il détestait qu'elle le voit comme ça. Il se résolut à ranger son arme.

— Elle te sauve la vie, soupira-t-il. Mais hors de question de te laisser en liberté, lui dit-il en le prenant par le bras.

Il l'entraîna dehors et elle le suivit. Il entra dans le réservoir industriel et Alexandre ragea en voyant sa machine temporelle.

— Tu l'as cachée juste à côté ? C'était vraiment stupide !

— Mais pourtant, tu ne l'as pas vue, se moqua Alex.  

— Je ne comprends toujours pas comment tu as fait ? insista Justine.

— Ce salaud est retourné dans le passé, ralla Alexandre en se défaisant de son étreinte.

— J'ai revécu ces derniers jours, confirma Alex. J'ai observé de loin toute cette horrible tragédie et ce que tu nous as infligé.

— Pourquoi tu ne l'as pas arrêté avant ? s'étonna Justine.

— Par ce que si je l'avais fait, il y aurait eu cet enfoiré, moi et une version de moi plus jeune d'une semaine bloqués dans le présent. Ca a déjà était assez le bordel avec deux Alex Durand, imagine avec trois. Il fallait que je ne change rien à ce qui s'était passé, jusqu'à ce que l'autre version de moi reparte dans le passé.  

— Mais d'où sortent tous ces hommes ? demanda Alexandre.

— Je les ai payés. Cela n'a pas été facile, je l'avoue. Il fallait que j'agisse dans l'ombre pour ne rien changer au déroulement des événements. Lorsque tu es allé dans mon laboratoire pour me faire tous tes reproches, je me suis introduit dans l'appartement que je t'ai donné pour dormir. J'ai pris ton ordinateur et j'y ai installé un virus pour voir à distance tout ce que tu faisais.

— Et tu as noté les nouveaux mots de passe que j'ai mis sur tes comptes bancaires, devina Alexandre avec haine.

— Oui, j'ai repris le contrôle de ma vie, j'ai retrouvé ma fortune et j'ai payé ces mercenaires. Tu vois, j'ai réussi à voyager dans le temps sans créer d'autres versions de moi !

Alexandre s'apprêta à lui hurler dessus tant il était en colère, mais préféra ne pas lui donner cette satisfaction. Il avait raison, il avait fait une erreur monumentale, une erreur que cet enfoiré n'avait pas faite.

— Qu'est-ce que tu comptes faire de lui ? demanda Justine.

— Lui trouver une vraie cellule et jeter la clef. Mais pour l'instant, je vais l'attacher ici, dit-il en cherchant un endroit où le menotter.

— Et qu'est-ce que tu prévois de faire de la machine à voyager dans le temps ? continua Justine.  

— Pas les mêmes erreurs que lui, c'est sûr. Je n'y ai pas encore pensé, mais les possibilités sont infinies, répondit-il d'un air rêveur.

Pendant qu'ils parlaient, Alexandre restait planté là devant la machine. Les mains attachées devant lui, il décida d'agir tant qu'il le pouvait. Pas pour s'échapper, mais pour empêcher son double de garder sa création. Il courut vers la machine et ouvrit une trappe sur le côté. Il nota un code à quatre chiffres sur un pavé numérique et s'apprêta à baisser le levier en dessous lorsqu'Alex lui cogna la tête contre la carrosserie. Il lui donna encore plusieurs coups de pieds puis le traîna jusqu'à un tuyau contre la paroi circulaire pour l'y menotter.

— Qu'est-ce que tu comptais faire ! Hein ?

Il le frappa à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'il réponde.

— Système d'auto destruction ! répondit-il avec un sourire, la bouche en sang. C'est moi qui l'aie inventée, je n'allais pas te la laisser !

Alex le frappa à nouveau. Il se retourna vivement lorsqu'une alarme résonna dans le réservoir. Justine se tenait à côté de la machine. Elle avait baissé le levier.

— Justine !

Elle lui lança un regard indéchiffrable puis s'écarta. Alexandre la regarda avec excitation, pendant qu'Alex essayait de remonter le levier. Un bruit inquiétant émana de la machine et il recula. Elle disparut d'un coup, comme lors d'un voyage temporel, mais avec un bruit bien plus inquiétant et laissant des dizaines de débris derrière elle.

— Non ! Pourquoi ?

Il attrapa Justine par les épaules et la plaqua contre le mur, ne cessant de lui crier le même mot aux oreilles. 

— Je n'allais pas te laisser avec un tel pouvoir ! cria-t-elle en le repoussant. Tu as tué des gens, tu as essayé de tuer Alexandre ! Tu prévois de le séquestrer jusqu'à la fin de ses jours. Je vois maintenant qui tu es vraiment !

— Je ne suis pas une mauvaise personne, je me suis juste défendu !

— Je te connais bien Alex, plus que vous deux ne vous connaissez vous-même. Voyager dans le temps, c'est le pouvoir absolu. Et le pouvoir vous a corrompu. Je ne veux plus rien avoir avec vous deux.

Elle sortit du réservoir et Alex n'essaya pas de l'en empêcher. Il n'en avait pas envie. Il se contenta de s'asseoir contre le mur, le regard rivé sur les débris de la machine. Il venait de perdre la plus incroyable invention de la science et la femme de sa vie le même jour.  

 

 

            Une semaine plus tard, Alex descendit dans l'une des chambres de son yacht. C'était devenu la cellule de son double temporel. Lit double, douche, télé, il avait accès à pas mal de confort. Alex lui apporta son plateau repas qu'il posa sur le meuble. Alexandre ne daigna pas le regarder.

— Tu as besoin de quelque chose de plus ?

— Tu peux me gaver de caviar et de homard, je n'en resterai pas moins ton prisonnier.

— Tu ne me convaincras pas de te relâcher. 

—  Tu ne vas pas pouvoir m'enfermer pour toujours. Ca ne s'arrêtera que lorsque l'un de nous deux sera mort.   

— Si, je le ferais. Il y a quinze ans, tu as changé ma vie et aujourd'hui tu es mon fardeau. Un rappel de tout ce qu'il y a de sombre en moi. Quatre hommes sont morts par ma faute et j'ai bien failli te tuer aussi. Si tu savais à quel point je suis tenté de te forcer à fabriquer une nouvelle machine à voyager dans le temps. Mais ce n'est pas bien de vouloir changer la réalité.

— Sale fainéant de pourri gâté ! C'est grâce à moi que tu es riche, je te signale.

— Et toi tu as tout perdu. Tu as voulu changer ton passé et finalement tout a changé sauf toi. Tes souvenirs sont toujours là, la douleur est toujours là. Notre passé, c'est ce qui fait de nous qui nous sommes. C'est pour ça que ça ne se change pas.  

Alexandre lui jeta un regard noir. Alex sortit et reverrouilla la porte. Il lui restait encore beaucoup de travail pour changer sa personne et encore plus pour reconquérir la femme de sa vie.

 

 

 

 

 

 

  • Pas facile de construire un récit de voyageur temporel, celui-ci est très réussi. Pas facile de renoncer à ses combats. Bravo

    · Il y a environ 4 ans ·
    Ab

    blanzat

    • Merci, j'ai mit beaucoup de temps pour l'écrire.

      · Il y a environ 4 ans ·
      Dsc 9494 3

      Steve Grau

  • Nous n'avons pas perdu notre temps à lire cette bonne nouvelle !

    · Il y a presque 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • Je suis content que ça vous ai plut !

      · Il y a presque 5 ans ·
      Dsc 9494 3

      Steve Grau

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