L'autre monde
solinehasse
XI ème arrondissement de Paris. Il est seul dans son appartement, la cigarette à la bouche, la télé en fond sonore qui diffuse en boucle les images du dernier discours d'Obama.
Il se décide enfin à mettre un peu d'ordre, avant d'installer sa tablette numérique et son ordinateur. Encore de sortie la veille, sans doute au Matignon comme à son habitude, il a passé sa journée à dormir. Il n'émerge qu'à 18 heures.
Il suggère d'un ton sec à la petite étudiante rencontrée en boîte de nuit de s'en aller. Il a probablement oublié son prénom, et l'aide à regrouper ses affaires rapidement puis lui appelle tout de même un taxi. Des paires de chaussures en vrac, des fringues sales étalées au sol, une assiette et des couverts datant de la veille gisent encore dans l'évier, Ludovick avale un doliprane et enfile une chemise à carreaux qu'il trouve sur l'accoudoir du canapé.
Difficile de tout retrouver dans ce désordre. Son mac est installé sur sa table à tréteaux, il manque un peu d'éclairage, il claque la porte sans refermer à clé l'appartement ; il descend simplement à la cave chercher une lampe. En plus d'un appartement envahi de choses inutiles, il a également accumulé tout un tas d'affaires au sous-sol. Cela lui donne la sensation d'avoir rangé …
D'un pas déterminé, il dévale les trois étages qui le séparent de sa cave, sans se soucier du dérangement qu'il peut causer aux voisins, surtout à cette heure tardive. La cave est située tout au fond du long couloir en gravillons et briques rouges de cet immeuble haussmannien avenue Ledru-Rollin. Une odeur de renfermé et d'humidité imbibe les lieux. Il tâte le mur pour trouver l'interrupteur. Toujours autant de cartons dans cette pièce sombre ou il met rarement les pieds. Il ouvre un premier carton. Rien d'intéressant, puis un autre. Contrairement à l'appartement donnant directement sur la rue, la cave est elle plutôt silencieuse. Ludovick pense qu'il a toute la nuit pour se consacrer à la création de son projet. Il est excité, impatient, il arrache avec force le scotch des paquets.
À un moment donné, il suspend sa fouille, comme s'il avait entendu un bruit, quelque chose. Les mains dans le carton, la tête relevée, et tend l'oreille. Un bruit très léger, étrange, difficilement identifiable. Le bruit vient du fond de la pièce, soit d'un coin pas facile d'accès, vu l'accumulation de cartons qu'il n'a jamais pris le temps de déballer depuis son déménagement.
Il est un peu angoissé, les battements de son cœur s'accélèrent mais sa curiosité le pousse à fouiner. De quoi s'agit-t-il ?
Ludovick se fraye un chemin au milieu de son bazar jusqu'au mur du fond. Il manque des briques. Ce n'était pourtant pas le cas à son arrivée dans l'immeuble. Ça, il en est certain.
Là juste devant lui, dans la pénombre, il devine une substance. Un truc noir, qu'on distingue mal, c'est luisant. Il plonge sa main dans sa poche, attrape son IPhone et éclaire avec la torche. C'est sûr, quelque chose d'anormal se passe dans cette pièce.
Fait-il un cauchemar ?
Non. C'est réel. Un truc énorme niche ici. Ludovick laisse tout en plan. Il court précipitamment vers la sortie sans prendre le temps de refermer ses portes.
Premier reflexe arrivé dans le hall de l'immeuble : téléphoner. Mais à qui ? Les flics ? Oui les flics. Çà sonne.
Commissaire Elpitia, brigade de nuit du 11eme arrondissement.
Bruno Elpitia - « Police-secours j'écoute.»
L.P :« j'appelle car j'ai un gros soucis, je ne saurais même pas comment décrire ce qui arrive !! »
B.E « Déjà calmez vous monsieur ! Je vais commencez par prendre votre adresse et votre nom et ensuite vous m'expliquerai cela »
L.P « Ludovick Puleio, 78 avenue Ledru-Rollin, appartement 203, mais le problème viens de ma cave ! »
B.E « bien merci. Je vous écoute.. »
L.P « Il y à un truc énorme ! Une bête je ne pensais même pas que c'était possible, je n'ai jamais vu de tel truc avant ! Sérieusement j'ai vraiment besoins de renfort au plus vite envoyez vos collègues ! »
B.E « Une bête ? Bon on va voir ce qu'on peut faire pour vous mais je pense qu'il aurait plutôt fallu appeler les pompiers »
L.P « Je veux quelqu'un au plus vite ! Envoyez une brigade chez moi ! »
B.E « On fait ce qu'on peut monsieur ! ».
Le commissaire raccroche. Il lance une alerte. Dans le doute, il averti également les pompiers. Un camion de pompier, une voiture de police, huit hommes en tout. Direction l'immeuble de monsieur Puleio.
Ludovick les attendait dans la rue devant la porte de l'immeuble.
Il leur lance d'un ton paniqué -« C'est au sous-sol, au fond du couloir, j'ai laissé la porte ouverte ! »
L'armada policière ne s'attendait sûrement pas à devoir faire face à un tel danger. Très vite, les gyrophares des camions et les hurlements des hommes monte en puissance. Des voisins s'agglutinent autour de l'immeuble. La panique gagne le quartier. Dès le lendemain, les medias s'emparent de la nouvelle. Des vidéos amateurs sont diffusées au JT.
Ludovick Puleio a lui quitté les lieux. Il s'est s'installé provisoirement chez un ami. Le lendemain matin, son ami dépose devant lui les journaux. Les grands titres du jour tournent autour de l'événement de la veille. « Un monstre dans une cave du XI ème », « Une nouvelle espèce animale a débarqué » ou encore « Un homme attaqué par un intrus dans sa cave.»
Il ne s'agit plus d'un fait-divers. Les articles de journaux parlent carrément de mutation de notre planète. De nombreuses questions fusent. L'affaire est confiée au Professeur Adrien Dupré-Latour, dirigeant de l'unité de recherches du CNRS de l'université Pierre et Marie Curie. Les interviews des journalistes au professeur Duprès-Latour sont diffusées sur la plupart des chaînes. Le professeur tente de répondre, même s'il reste, on le sent bien, dans une interrogation totale.
Au même moment, dans Paris.
Ludovick est affalé dans le canapé de son ami, une bière à la main. Et finit par allumer la télé. Même si une partie de lui n'a plus du tout envie d'entendre parler de cette histoire. Mais les images de la Chose reviennent à son esprit. Inlassablement.
TF1, Jean pierre Pernaut, journal de 13h.
J-P.P – « Notre invité du jour, le professeur Adrien Dupré-Latour dirigeant du laboratoire de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS de l'université Pierre et Marie Curie nous parlera de ses hypothèses concernant l'affaire du monstre du XI ème arrondissement de Paris »
« Professeur Bonjour. Alors la question principale des téléspectateurs est de savoir qu'est ce que cette mystérieuse créature trouvée dans cette cave? Est-ce dangereux pour nous? »
A D-L – « Notre équipe travaille activement le sujet. Nous ne pouvons faire que des hypothèses pour le moment. Je le répète, il s'agit d'hypothèses, il n'y a aucune certitude. Nous allons mettre en œuvre les moyens nécessaires pour comprendre dans un premier temps d'où proviennent ces êtres. On en dénombre déjà plus d'une dizaine, le dernier ayant fait éruption dans le jardin d'un particulier. »
Jean-Pierre Pernault coupe la parole au professeur.
J-P P - « Et quels moyens allez vous mettre en œuvre pour trouver des réponses à toute ces interrogations ? Les gens sont inquiets. »
A D-L - « Alors justement j'allais y venir. Aujourd'hui la technologie va nous aider considérablement puisque notre équipe possède un drone équipé de capteurs sensoriels détectant la chaleur animale. Ce drone est conçu par des ingénieurs pour franchir tous les obstacles, c'est à dire les murs. Ce drone est aussi capable de se déplacer dans des espaces à très fortes ou au contraire très basses températures. »
J-P P - « Très bien merci professeur, à bientôt. Tenez nous au courant des exploits de ce drone et de l'avancement de vos recherches. »
Ludovick à son ami, appuyant sur le bouton pour éteindre la télé :
- « Fallait vraiment que çà tombe sur moi ! »
Il jette la télécommande à l'autre bout du canapé et quitte la pièce.
Le lendemain dans l'unité de recherche de l'université Pierre et Marie Curie.
Réunion. Le professeur Dupré-Latour la préside. Autour de lui une équipe de chercheurs travaille sous ses ordres en laboratoire : un opérateur de drone et deux ingénieurs. La salle est en vidéo-conférence directement reliée à une équipe de recherche basée à Sydney. Le phénomène s'étend désormais à d'autres territoires et inquiète les scientifiques du monde entier.
A D-L au professeur basé à Sydney – « Mais l'envoi du drone dans une zone méconnue n'est-il pas trop risqué ? »
Le professeur australien – « Mieux vaut tenter l'expérience plutôt que de risquer la vie de nos équipes et de rester avec un tas de questions sans réponses. Nous enverrons notre drone dans les heures qui suivent l'envoi du vôtre. »
La réunion se clôture, chacun retourne à son poste. Dans une salle, une équipe composée de quatre hommes. L'opérateur de drone s'apprête au lancement de l'opération. Le professeur Dupré-Latour ainsi que deux ingénieurs sont également présents. C'est parti.
On sait que les larves géantes ont apparues à chaque fois dans le sol, les drones sont donc dirigés sous terre, on ne sait pas encore où précisément mais l'opérateur de drone y travaille.
Une salle, des écrans, une petite poignée d'hommes et il n'y a plus qu'à traquer, observer et effectuer des recherches et trouver les créatures gélatineuses.
Le drone français suit à la trace une larve d'une dizaine de mètres. Elle s'est montrée quelques jours auparavant en plein bois de Vincennes. Elle fut découverte par un promeneur. Une puce relie désormais la bête du Bois au drone.
Parallèlement, dans l'unité de recherches du CNRS, l'enquête scientifique avance. Les biologistes en sont arrivés à la première conclusion. Les mollusques des sous-sols, bien qu'effrayants par leur grande taille, ne sont pas dangereux pour l'homme. Mais leur provenance reste un mystère. On suppose que leur arrivée est une des conséquences du réchauffement climatique.
Salle d'observation, à Paris. L'opérateur discute avec l'ingénieur.
Opérateur : - « La première fois que j'ai guidé un drone c'était un peu comme la première fois où je suis monté dans un avion. »
Ingénieur : - « Moi je pourrais pas faire ce que tu fais, j'ai besoin d'un contact direct avec ce qui m'intéresse.»
Opérateur : - « Aujourd'hui du contact direct tu en auras de moins en moins, regarde tout ton travail maintenant… tu le fais pas le biais de machines. Faut l'accepter et puis çà nous sert bien … regarde. Tu te verrais suivre directement cet immondice ? (Il rigole d'un ton ironique) »
L'ingénieur regarde l'écran fixement et change de sujet. L'image est brouillée.
Opérateur : « - Merde ! Qu'est ce qui se passe ? La connexion est rompue ! »
Ingénieur : « - Non regarde ! C'est étrange on dirait de la glace… J'appelle l'équipe ! Faut prélever des échantillons et on envoie çà direct au labo. »
Face à eux, des images étranges, méconnues, ils observent la scène sans plus un bruit. Des couloirs interminables, d'un blanc immaculé, brillant. Le drone poursuit toujours la trace de la bête, qui s'engouffre dans des galeries de structure circulaire. Grace aux capteurs thermiques dont la machine est équipée, il est possible de relever précisément la température de l'endroit où se trouve notre drone.
Opérateur : - « Regarde, la température ne cesse de baisser depuis tout à l'heure ! On a déjà atteint -10 degrés »
Ingénieur : - « C'est pas normal, j'appelle l'équipe du labo. »
Opérateur : - « -15 ! »
L'opérateur prévient le professeur. Il débarque sur les lieux.
Adrien Dupré-Latour entre dans l'immeuble précipitamment, impatient. Il est encore vêtu de sa blouse blanche qu'il n'a même pas pris le temps de retirer.
Ingénieur : - « On m'annonce au micro que le professeur est là, zoome à fond pour qu'il inspecte çà. »
Le professeur entre dans la pièce, face à lui les images défilent sur les écrans. La bête est désormais entourée par d'autres êtres de même nature. Leur couleur noire contraste avec le blanc des galeries dans lesquelles elles s'infiltrent.
A D-L : - « La température descend encore, c'est de la glace, c'est évident. Logiquement plus on s'enfonce plus la température augmente, c'est l'inverse qui se présente là. On est à combien de mètres depuis l'envoi ? »
Opérateur : - « On est descendu à – 5600 mètres depuis hier soir. Elle ne se déplace pas si vite la bestiole ! »A D-L à l'ingénieur : « - Bien. Faite un prélèvement de la matière blanche qu'on l'envoie à mon équipe pour y voir un peu plus clair mais vu la température je vois pas ce que çà pourrait être d'autre en dehors de glace. Tenez moi en courant et mettez nous en relation dès qu'on aura quelque chose de nouveau»
Les chercheurs du laboratoire à l'université Pierre et Marie Curie se mettent illico au travail afin d'élucider au plus vite la nouvelle piste.
Les médias sont rapidement tenus au courant de l'avancée des recherches. Seulement une semaine après l'arrivée de la première larve dans la cave de Ludovick, le phénomène a pris une ampleur gigantesque. La larve est désormais présente au-delà des frontières européennes. On entend tout et n'importe quoi. Les journalistes déforment les paroles des scientifiques. La population est inquiète et nombreux sont les civils préférant rester enfermés chez eux, terrorisés par cette nouvelle espèce animale.
De nombreuses hypothèses formulées par les scientifiques se sont révélées erronées, mais néanmoins la recherche avance. D'ici peu, on sera capable de déterminer avec précision d'où proviennent ces étranges nouveaux terriens.
Depuis l'évènement du mois dernier, Ludovick a déménagé. Il vit désormais dans un appartement en plein quartier de Saint-Germain-des-Prés, une des nombreuses résidences de ses parents.
Son pied à terre du XI ème arrondissement lui plaisait bien mais la peur de se retrouver encore face une telle situation l'obsédait.
Afin de rassurer la population, la ville de Paris a construit des renforts en béton de plusieurs mètres d'épaisseur dans les souterrains, les égouts, les caves, les catacombes. Le réseau de métro parisien est désormais inaccessible. Le trafic dans la ville est un vrai cauchemar, tout le monde utilise désormais sa voiture.
On annonce prochainement une conférence de presse dans laquelle le professeur chargé d'affaire du CNRS s'exprimera publiquement sur le résultat de ses investigations.
Mardi 20 juin, 21H.
Le professeur s'apprête à entamer son discours face aux cameras du monde entier.
« Bonsoir à tous. Il est de mon devoir de vous faire part des résultats obtenus après cette période d'intenses recherches. Par le biais de notre drone nous avons enfin obtenu des réponses à nos questions. Nous sommes beaucoup plus nombreux sur Terre que nous le pensons. L'humanité n'est qu'une minorité face à ce qui se trouve sous nos pieds. Nous sommes restés depuis des siècles dans l'ignorance, mais il existe bel et bien un autre monde à des kilomètres en profondeur dans le sol. Je ne pourrai pas dire combien de temps il nous faudra pour tout découvrir.
Les larves qui sont arrivées jusqu'à nos villes proviennent de territoires à très basses températures et sont remontées jusqu'ici à cause du réchauffement climatique. Il y a bien plus grave. Nous avons découvert une vingtaine d'autres espèces animales en creusant. Leurs tailles s'évaluent en unité métrique. D'ici peu, nous verrons apparaître dans nos villes et nos campagnes ces animaux méconnus. Le réchauffement de la planète s'accélère, ce qui les pousse à migrer jusqu'à la surface de la Terre.
Le principal risque dans ce phénomène de migration est d'arriver à un point de saturation. Nous sommes déjà presque 7 milliards d'hommes, combien d'espace restera-t-il après l'arrivé d'autant de nouveaux êtres ? »
Soline Hasse-Clot, ESBA Angers