L'autre sexe

Lutécia Cendrelle

Aude souffrait. Elle voulait mourir. Pourquoi ? Juste parce qu'elle était née... C'était avant... (image : wikipédia - CC by SA 3.0 Kenji-Baptiste OIKAWA) à Aude.



Je n'avais aucun avis sur la question. Jamais je n'avais pensé à ce sujet.

 

Cette année-là, mon esprit était perturbé par ma rupture, une histoire d'amour terminée. Les feux du bonheur éteints.

Je commençais à aller un peu mieux et profitais de l'été dans le Sud.

Une valise, la voiture et tout droit. Vers la mer !

 

Il y a déjà cinq ans.

 

Une villa, deux semaines, adieu toutes mes économies.

Un vrai départ à zéro. Plus une thune !

 

En marchant le long de la corniche, je fumais une clope et je regardais la Méditerranée. Ici, elle vient toujours mourir dans des coins de paradis. Dans un nid vert émeraude, elle vous offre la chaleur de son eau cristal.

Tout en bas, j'allai la retrouver.

Je pris un panier et quelques affaires, et je rejoignis la mer. Le minuscule panneau « Plage des Pissarelles » m'indiquait la direction, chemin serpentant à travers les villas, plantées face à la grande bleue.

 

Je passai le portail et descendis les escaliers.

Il y avait une vingtaine de personnes, je me sentis bête.

Après avoir posé mon panier et enterré mon envie de fuir, j'ôtai mes sandales et trempai mes pieds dans l'eau chaude, en soulevant le bas de ma robe blanche.

Sur cette plage, il n'y avait qu'une adolescente qui portait un bikini. Enfin juste le bas, un string cachant ses lèvres… Les autres naïades et baigneurs étaient dans le plus simple appareil, nus, bronzés, sans une seule marque de maillot.

J'installai ma serviette à côté des escaliers, un peu en retrait, je sortis mon maillot de bain et j'arrêtai mon geste.

Plus ridicule en maillot, ou le cul et les seins blancs exposés ?

Ma décision fut prise : j'enlevai ma robe et mes sous-vêtements.

Personne ne me regarda, et je m'évadai au milieu des dorades argentées. Des miroirs à nageoires.

 

La sensation me plut et je restai un long moment, nageant ou faisant la planche en respirant face au ciel azur.

En remontant, j'étais un peu gênée, pas très bien épilée, la minette sauvage qui s'égouttait. Je me sentais complètement transparente, ici c'était normal d'être nue. Alors je décidai de le rester.

Je n'étais plus seule près de l'escalier. À un mètre, près d'un rocher plat, une serviette, un corps nu, très belles fesses, de beaux seins, un dos cambré, une taille fine et des hanches larges. Des lignes sensuelles. Vraiment. Une fille aux cheveux longs qui couraient sur son dos bronzé, des lunettes de soleil et un joli sourire. Elle posa son livre alors que je m'installais.

 

C'est ici qu'on fit connaissance. Il y a cinq ans. Déjà.

 

Aujourd'hui, Aude est encore plus jolie. Vraiment belle !

 

Je dois avouer que je fus attirée par sa beauté et en m'approchant d'elle pour discuter, je me surpris. Je ne suis pas du genre à aborder les gens comme ça, et puis… elle n'était pas de mon genre…

Elle posa son coude gauche sur les galets fins et mis sa main sur son visage, se tournant vers moi. Ma gêne revint rosir mes joues.

Entres les cuisses d'Eve… un serpent posé.

 

C'était la première fois que je voyais une transsexuelle.

Oui, je vis sa pomme d'Adam un peu développée, oui, sa voix encore un peu grave m'avait interpellée.

Mais Aude était magnifique, une fille splendide. Belle comme Sylviane, mon ex, qui venait de me briser le cœur.

 

Alors, après les présentations, Aude me parla de ses souffrances, de son passé, de son mal-être, une enfance difficile. L'âme en décalage avec le corps.

Assise en tailleur, elle se mit face à moi et la longue discussion commença.

Elle avait fait ce choix définitif. Changer de sexe. Long périple psychologique, administratif, chimique et chirurgical…

 

Elle avait subi les longs mois de psychothérapie nécessaires pour accompagner ce genre de choix. C'est une lourde décision, elle ne se prend pas à la légère.

Elle avait suivi son traitement hormonal et avait vu son visage, ses formes changer, s'adoucir, se féminiser, ses poils disparaître, son sexe ne plus se dresser. Elle savait que cette chimie l'accompagnerait toute sa vie. Elle savait…

Jour après jour elle prenait des photos. Toujours la même, au même endroit.

Elle fut fière de m'exposer ce montage-vidéo sur son portable.

Une longue métamorphose, un bel homme à la barbe de deux jours, se transformant en une jolie Fleur, sur trois ans, jour après jour, larme après larme.

Je voyais l'émotion sur son visage en se redécouvrant.

Une goutte de joie coulait sur ma joue, moi aussi j'étais émue.

C'était bluffant. Un moment très tendre entre nous.

Je regardais ses seins magnifiques, volume augmenté, première opération. Elle les voulait plus gros que la chimie les lui avait donnés.

 

Elle vivait dans le corps d'une femme, mais avait l'âme encore un peu masculine.

Aude était gênée par sa sexualité, mal à l'aise d'être la bête de foire, qu'on met à genoux pour se faire sucer, où qu'on sodomise, fantasmes malsains d'hommes à la sexualité déviante.

Elle y prenait parfois du plaisir…mais elle était triste. Une transsexuelle au cœur fragile, à l'âme fissurée.

Parfois, elle ne disait rien aux hommes séduits, fuyant les mains qui voulaient aller plus loin sous sa jupe après avoir caressé ses cuisses douces. Elle offrait sa bouche, ses sourires, ses baisers… à des garçons qui se tapaient une jolie fille pas très bavarde.

 

Cette journée passée sur la plage près d'Aude m'avait troublée et je voulus rester en contact très rapproché avec elle.

Elle avait besoin de mon soutien et notre rencontre était une chance pour Aude.

Pour moi aussi. Elle m'apportait beaucoup.

 

J'étais là quand Aude fut transformée. Enfin, plutôt Marc, qui allait mourir, quitter le corps d'Aude, pour toujours. Une lourde opération. Une vaginoplastie, réassignation génitale, permettant de créer un vagin, des lèvres et un clitoris, en utilisant le gland et le pénis du patient. Ablation des testicules, reconstruction d'un autre sexe…

Un travail d'orfèvre, de longues heures sur la table d'opération et des mois interminables de cicatrisation et de complications éventuelles. Des souffrances aussi…

Comme elle, j'avais visionné des films d'opérations de ce type. Des vidéos, « avant-après ».

Comme pour son visage, elle décida de prendre une photo avant l'opération, jambes écartées. Puis tous les jours, un cliché de ses lèvres blessées et de son vagin devenant l'antre de son bonheur.

Elle fit un montage, un film souvenir. L'évolution de sa fleur d'amour, son épanouissement…

 

Elle enterra Marc pour toujours, un geste symbolique. Des affaires d'hommes, sa photographie, une tombe creusée dans le sable, près de la mer. Fin d'une vie. Vingt-cinq ans de douleur dans la peau d'un garçon, trois années d'un mélange de bonheurs et de malaises profonds, et deux ans de souffrances pour devenir ce qu'elle est.

Une vraie femme. Heureuse !

Vous seriez surpris…

 

Hier, c'était sa première fois.

C'est à moi qu'Aude est venue raconter la perte de sa virginité.

Bien sûr, ce sera toujours différent. Elle prend du plaisir, elle apprendra à jouir…

 

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Si vous êtes curieux :

Transformation :

https://youtube.com/watch?v=fuhfpA7_lqw

https://youtube.com/watch?v=N2C6Ulkk6_M

Une opération reconstituée en 3D (pour expliquer les étapes)

http://www.dailymotion.com/video/x42ynt6

Opérations et résultat (public averti) :

https://youtube.com/watch?v=yX1T3xJnJ-0

https://youtube.com/watch?v=8y1TqisewAo

  • Bravo pour cette très émouvante nouvelle !
    J'ai un cousin qui, il y a quelques années, est devenue ma cousine, aussi je comprends le long chemin parcouru par Aude !

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • merci Louve
      j'espère qu'elle va bien maintenant, ce n'est pas toujours le cas.
      Oui une étape très difficile pour ces êtres blessés

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Couverture effluves (avatar)

      Lutécia Cendrelle

    • Il y a bien longtemps que n'ai eu de ses nouvelles, mais sa vie sentimentale, apparemment, est compliquée..

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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