Le blues de la 2CV

daniel-m

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Petit historique.

 

L'idée de la 2CV germe dans la tête d'un jeune ingénieur, Pierre Boulanger. Travaillant depuis peu chez Mr André Citroën, son coéquipier Pierre Michelin et lui-même sont en charge de sauver la firme alors en difficulté financière. C'était en 1935. La traction avant est au point, c'est la meilleure voiture française de l'époque mais destinée à une élite. Pour sauver l'entreprise, il fallait un nouveau concept, une petite révolution. Pierre Boulanger émet l'idée de construire une plate forme à quatre roues surmontée d'un parapluie. Une voiture peu chère, abordable par le plus grand nombre.

 

Juste avant la seconde guerre mondiale, les besoins de la population de la nouvelle France libérée amènent alors Pierre Boulanger à revenir sur son idée, créer la TPV (toute petite voiture) première appellation de la deudeuche dans son état embryonnaire. Il rédige alors un cahier des charges bien particulier à l'attention de son bureau d'études……….

 

« Faites étudier par vos services une voiture pouvant transporter deux cultivateurs en sabots, cinquante kilos de pommes de terre ou un tonnelet à une vitesse maximum de 60 km/h pour une consommation de trois litres au cent.

 

La voiture devra pouvoir passer dans les plus mauvais chemins, pouvoir être conduite par une conductrice débutante et avoir un confort irréprochable. Son prix devra être inférieur au tiers de celui de la traction avant 11 CV. Enfin, il précise que le point de vue esthétique n'a aucune importance. »

 

Le cahier des charges provoque un tollé général chez les ingénieurs, mais sous l'insistance de Pierre Jules Boulanger, le projet prend formes et la TPV prendra définitivement le nom de « 2CV » en 1938.

 

Le premier prototype plus que minimaliste, car recouvert d'une bâche et équipé de vitres en rhodoïd, est mue par le moteur d'une moto BMW 500 cm3, il file à 100 km/h.

 

La première « TPV » tombe des chaînes le 2 septembre 1939 à midi. Au même moment, on apprend la déclaration de guerre et la mobilisation. Aussitôt, tout est arrêté.

 

Durant la guerre, le projet « TPV » intéresse le Reich et inspirera à Adolphe Hitler un nouveau projet « Volkswagen », une voiture du peuple, encore moins chère. Pierre Boulanger ne fera cependant aucune concession sur son projet et utilisera tel Oskar Schindler, l'usine d'André Citroën pour protéger un maximum de personnes.

 

Ce n'est qu'en 1948, que la 2CV sera présentée au publique et en grandes pompes au salon de l'auto. Durant les années de guerre, son étude et ses essais n'ont jamais été abandonné et la TPV a mûrit doucement dans la tête de Pierre Boulanger. L'accueil de la 2CV est mitigé, surtout par la concurrence. En effet, elle est mise à prix pour la somme de 185 000 F, alors que la 4 CV de Renault vaut 245 000 F de l'époque.  La presse spécialisée donnera à la 2CV le surnom de « poux automobile ». Il faudra attendre encore un an, avant que les concessionnaires vendent cette 2CV révolutionnaire à la France profonde. Son succès est tel qu'en 1951, il faudra attendre 18 mois, puis au fur et mesure de son succès grandissant, les délais d'attentes pouvaient aller jusqu'à 5 ans pour posséder la fameuse 2CV Citroën.

 

Certains clients désespérés avaient même à l'époque, envoyé à l'usine des lettres sous forme de poème, histoire de chatouiller l'âme sensible du constructeur…………

 

Marchez, marchez,

Pauvres damnés !

Citroën impassible

Ignore la pitié !

Pleurez, pleurez !

Citroën impassible

Ne veut vous consoler !

 

Ma femme est rentrée,

Mais un jour ne rentrera pas ;

Ayant jeté ses souliers

Loin de ses pieds trop las.

Elle sera si fatiguée,

Qu'elle ne pourra pas rentrer… !

 

Ma fille (deux ans)

Et moi, nous consumant lentement

Ainsi s'éteindra doucement

Un foyer, qui n'aura pas

Assez duré

Pour pouvoir réceptionner,

Combien mon cœur a de la peine,

La 2 CV Citroën !

 

Hélas ! Je n'ai qu'un seul cheval

Pégase

J'en voudrais deux – où est le mal !

 

Avoir deux chevaux Citroën

Ce rêve

Hante mes nuits, mes jours gangrène

 

Sa belle habitabilité

Sa stricte ingéniosité

Et sa maniabilité

Et sa suspensabilité

Et la douce modicité

De son prix de revient

Reviennent sans fin

Abreuver ma naïveté.

 

 

…………  La 2CV Citroën connut ensuite le succès que nul n'ignore, même les plus jeunes d'entre nous. Mise à toutes les sauces, elle est tout d'abord la voiture rurale par excellence, puis, séduit la mode et les grands créateurs. Elle est véhicule militaire, utilitaire. Elle participe au Paris Dakar. Elle est transformée, relookée et collectionnée. Symbole en France de la liberté et du flower power dans les années 60/70, et même plus tard. Elle est voiture de cross, de cascade, de cinéma. Aucun véhicule n'aura à ce jour été aussi populaire et aussi célèbre.

 

Je me suis inspiré et documenté pour cette introduction, de l'ouvrage de Jacques Borgé et de Nicolas Viasnoff, « La 2CV, l'amie de toujours », parue aux éditions « balland » depuis 1977.

 

La dernière 2CV Citroën est sortie des chaînes de montage en 1991, sa construction et sa commercialisation furent alors définitivement arrêtées. « Ne répond plus aux normes Européennes  de la sécurité routière»………………………..

 

 

J'ai possédé une deux pattes modèle export de 1968, une épave, achetée d'occase en 1983, entièrement restaurée alors par bibi et son papa. Véritable 2CV en 6 volts. Je l'ai conduite avec un immense plaisir, mais surtout une immense fierté durant de nombreuses années, mais sa manie de refuser de démarrer dès qu'il faisait en dessous de 0° sans me donner aucune explication, m'avait conduit à la revendre à son constructeur pour acheter une 2CV 6 flambante neuve et blanche de surcroît. Que dire de ce monument national dont on ne peut que pleurer la mise au rebus. C'est vrais que du côté sécurité, ça craignait un peu, du côté auto radio aussi, car il y avait tellement de bruit dans l'habitacle qu'il valait mieux ouvrir la capote et profiter de la décapotable la moins chère de tous les temps pour se donner ce sentiment de liberté, plutôt que d'écouter la radio. Le plus dure dans cette « voiture » était d'ailleurs d'y installer des hauts parleurs, car aucun endroit, aucune « surépaisseur » n'y était disponible.

 

Une gueule unique que l'on n'oubliera jamais, avec comme seule philosophie, le minimum pour un maximum de plaisir. On ne peut pas imaginer que Citroën ait arrêté sa fabrication pour une autre raison que celle de la sécurité car sa remise en fabrication déclencherait une émeute, ça j'en suis sur. Imaginez une voiture avec un moteur bicylindre à plat, refroidi par air (comme une moto) qui ne consomme pas plus de 4 litres au cent sur long trajet. Une petite voiture qui offre un habitacle de Rolls Royce (sans les bois et les cuirs bien sur), une capote amovible (toit décapotable) et une vitesse maxi de 110 km dans un vacarme d'enfer. Tout était absolument démontable avec une facilité déconcertante. Les sièges arrière pouvaient servir de fauteuil de pique-nique, la porte du coffre, de table de camping, pour peu que l'on ait emmené une paire de tréteaux. Les ailes, les portes, le capot, tout se démonte sans soucis.

 

Malgré une allure minimaliste, le travail des ingénieurs de l'époque était une véritable prouesse technique. Sans parler du système d'amortisseurs antagonistes absolument génial que l'on regrette simplement de ne pas retrouver sur d'autres véhicules aujourd'hui. Toute en tôle emboutie, elle aurait presque pu être en carton, la 2CV est une merveille de pliage et d'emboutissage de tôles. C'est un peu comme si l'on avait motorisé une cocotte en papier. Sa tenue de route dans les mauvais chemins, dans la neige ou sur la glace était exceptionnelle pour une voiture de cette catégorie.

 

Preuve de sa popularité, de nombreux collectionneurs et des garagistes amoureux se sont spécialisés dans la lutte pour sa pérennité. Les prédictions les plus optimistes sont de 50 ans encore de 2CV sur les routes. Ceux qui n'ont jamais « piloté » de 2CV, ont incontestablement raté quelque chose et je pense que ma prochaine occase sera certainement une deux pattes, même si elle devient une des occasions les plus chères du marché, comptez au minimum 3000 € pour un modèle à peine correcte. Eh oui, la deudeuche c'est la grande classe aujourd'hui.

 

Le gros problème avec les 2CV est cependant aujourd'hui, comme le disait Alain Souchon, les gens dedans. Il faut une sacré dose de philosophie et de culture soixanthuitarde pour s'amouracher de ce genre de véhicule car elle a pris en l'espace de quelques années un gros coup de vieux et notre société un gros coup de je ne sais quoi par la même occasion. Oubliez l'air bag et l'assistance au freinage, oubliez,….oubliez,……..oublier tout en fait. La deuche est pour moi, ce lien secret entre deux époques, celle du plaisir et de l'insouciance et puis la nouvelle, celle du plus et de l'encore plus avec dedans, …… presque rien mais de la sécurité !!! Mais là, je ne suis plus dans l'automobile philosophie, mais dans la philosophie tout court et je m'arrêterai donc là.

 

En bref, la deudeuche est pour moi le reflet sur quatre roues de 40 ans de société française et d'un état d'esprit déjà d'un autre temps, qui me manque d'ailleurs cruellement. Les plus jeunes ne pourront hélas pas comprendre. C'est aussi une prouesse technique et économique extraordinaire de l'age d'or de l'automobile, encore trop peu reconnu à mon sens. Tous usages, tous terrains, tout confort et économique, elle n'avait que des qualités le GPS en moins et lorsque je relevais la vitre latérale pour poser nonchalamment mon bras gauche et conduire d'une seule main experte, les deux jambes tendues en avant, j'étais vraiment le maître à bord et j'étais heureux, jusqu'à ce que la vitre, sans prévenir et sans explication, me  retombait sur le bras…

 

Le blues de la 2CV, ……………le blues de ma jeunesse.

 

Bien à vous.

 

 

 

  • Moi c'est le blues de la 4L que j'ai... Comme notre société de consommation s est aperçue que le retromarketing séduit, peut-être verrons-nous des modèles adaptés aux normes de sécurité et d'anti-pollution...

    · Il y a presque 6 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Il y a eu aussi un essais infructueux pour la deux CV. Tournons nous vers la Fiat 500, la coccinelle ou la Mini Cooper. C'est juste des impostures, des effets de modes. Le temps des bagnoles (ou des aspirateurs, des machines à laver etc) où tu pouvais réparer toi même la plupart des trucs est volontairement révolue. Le but aujourd'hui n'est plus de vendre des voitures pour pouvoir partir en congés payés, le but est de vendre un "produit" qui rapportera un max de tunes tout au long de sa courte vie.

      · Il y a presque 6 ans ·
      Gaston

      daniel-m

  • Blues partagé. Jamais eu une personnellement mais je ne serais pas contre une version électrique.

    · Il y a presque 6 ans ·
    Img 20210803 205753

    enzogrimaldi7

    • Il en existe une seule, élaborée par un jeune fana qui a eu tous les maux du monde pour obtenir son homologation. N'oublions pas que nous sommes toujours en France :o)

      · Il y a presque 6 ans ·
      Gaston

      daniel-m

    • Hélas! j'ai discuté avec un gus qui avait une Ami8, moins mythique que la Deuch mais il m'a expliqué la simplicité de la conception de cette caisse et j'ai compris qu'on nous prenait vraiment pour des cons aujourd'hui avec toutes ces nouvelles bagnoles aux multiples sources de pannes, d'usures et d'obsolescences.

      · Il y a presque 6 ans ·
      Img 20210803 205753

      enzogrimaldi7

    • Aujourd’hui on ne fabrique plus que des "produits". Il faut que ça rapporte ! J'ai du mal à imaginer un type écrire un texte philosophico-nostalgique sur la dernière Peugeot 2008 dans 40 ans ! Le monde "évolue" mdr :o)

      · Il y a presque 6 ans ·
      Gaston

      daniel-m

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