Le bon Schyzophrène 2/3

Nathan Noirh

Musique écoutée pendant l'écriture de cette partie : Rabia e Tarantella, Ennio Morricone.


C'est assez étrange comme sensation. J'étais conscient de ce que je faisais. J'avais le choix. Je n'étais pas pris en otage. Je n'avais pas de couteau sous la gorge. Lorsque j'arrivais à une situation impossible à résoudre, par exemple lorsque j'ai dû expliquer à mon conseil de professeurs comment j'avais eu de telles notes dernièrement, je demandais à aller aux toilettes, et je faisais en sorte de m'endormir. Je prenais un mini somnifère. En quelques minutes c'était bon. Je me réveillais ensuite dans ces mêmes toilettes. Quand je recroisais mes professeurs, ils me souriaient et disaient juste : « Continuez comme ça c'est très bien ». L'autre avait parlé à ma place. Je ne savais pas comment réparer ma télé ? Un roupillon et c'était réglé. Un problème avec ma voiture ? Même histoire. Mon appart était bordélique à souhait et sentait le coyote ? Je faisais une sieste et à mon réveil l'appartement était rangé et nettoyé de fond en comble. J'avais l'impression d'avoir un esclave ou une bonne. Quelqu'un qui pouvait faire tout ce que je ne pouvais pas faire. C'était ma sortie de secours, mon option de facilité. Ma vie se rangeait petit à petit. Chaque instant et chaque choix cruciaux pour mon avenir était confié à mon numéro 2. Je n'ai jamais été déçu. Il n'a jamais essayé de communiquer avec moi non plus. J'ai bien essayé d'écrire une question sur un bout de papier afin qu'il me réponde. Mais non, ma question est restée en suspens. J'ai installé une caméra la nuit pour me filmer et voir comme réagissait l'autre. Aucune image d'une quelconque action. Je devais faire en sorte de le prendre sur le fait. J'ai bien réfléchi à plusieurs possibilités (attaché une Gopro, laissé mon smartphone filmer dans ma poche de veste ou autre, mais je n'arrive jamais à récupérer quoi que ce soit, on dirait que rien ne s'enregistre), alors j'ai simplement attendu que j'ai de nouveau besoin de lui pour l'enregistrer. Est venu une situation particulière un jour, ma voisine insistait pour que je l'aide à monter un meuble, mais je savais pertinemment qu'elle n'attendait qu'une chose : me montrer sa petite vertu. J'ai alors laissé mon autre moi agir à ma place. J'ai branché la caméra de mon ordinateur et je l'ai placé en face de mon lit. Je me suis endormi. Le lendemain matin, mon ordinateur n'avait enregistré que quelques minutes à peine. Sur le coup, c'était les minutes plus longues de ma vie.

 

Savez-vous quel effet cela fait de se voir agir tout en sachant pertinemment que ce n'est pas vous ? N'avez-vous jamais eu d'amis qui connaissent des crises de somnambulismes ? Ils se lèvent, agissent et parlent parfois sans que cela n'ait forcément un sens. Et bien, l'autre Nathan, l'autre moi, cela avait un sens. Sur la caméra, je l'ai vu se lever. Faire attention à ne pas laisser tomber la couette de mon lit par terre, à enfiler mes chaussons, et venir vers la caméra. Il a regardé pendant quelques secondes la caméra, semblant savoir ce qui s'est passé. Puis il a fait un geste pour couper la caméra. Je soupire et je suis une nouvelle fois déçu. Malgré tout, la vidéo n'est pas finie. Il reste du temps. L'écran noir se rallume. Il est une nouvelle fois devant la caméra. Et il me dit simplement : « Tout cela, c'est pour toi. Pour nous. »

 

Honnêtement, je ne savais pas quoi penser. « C'est pour toi ». Dans l'esprit, c'est sympa quand même. Surtout que le matin en question, je trouve un mot sous ma porte : « Merci Nathan, tu as raison, c'est mieux comme cela ». Ma voisine. Je ne l'ai plus vu pendant des jours. La concierge m'apprenait qu'elle avait déménagé. Décidément, il est vraiment doué. Je me suis demandé jusqu'où d'ailleurs, j'ai donc acheté des tests de quotient intellectuel en ligne, histoire de voir à quel point il était brillant. Je me suis une nouvelle fois endormit devant mon ordinateur. En me réveillant, le test n'était pas rempli. Une phrase seulement était inscrite à la place de la réponse de la première question de logique : « Les tests de Q.I. ne servent qu'à prouver que nous possédons la même intelligence que les créateurs de ces tests de Q.I. » C'est profond. Mais ça ne m'avance pas. Il s'amuse avec moi. C'est à ce moment là que je me suis rendu compte que pour la première fois, il n'avait pas fait ce que j'attendais de lui. Je comprends le principe de sa pensée, qui n'est pas fausse je le reconnaît. Mais quand même. Il m'avait fait un pied de nez.

Ce n'était pas si grave, par la suite il m'a aidé dans plusieurs domaines, et la place que j'occupe aujourd'hui dans mon boulot est en parti grâce à lui. Il a su à chaque fois régler les situations et faire en sorte de prendre la meilleure décision. Au bout des années j'ai bien essayé de lui faire passer des messages, de parler avec lui, d'échanger. Mais non rien à faire. Aussi inconvénient soit ce « pouvoir » qui m'oblige pourtant à dormir avant de se manifester, je n'avais pas vraiment à me plaindre de mon état. Mais vous vous en doutez, quelque chose allait forcément mal tourner. Tout ne pouvait pas forcément se dérouler dans le meilleur des mondes. Vous savez quoi ? Un jour, j'ai trouvé un carnet. Marron, en cuir. Plutôt de bon goût. Planqué entre deux livres dans ma bibliothèque. Est-ce que vous faites le tour chaque jour des livres de votre bibliothèque ? Savez-vous précisément combien de livres vous avez, leurs titres, leurs histoires et connaissez-vous par cœur toutes les couvertures de ces livres ? Moi non. C'est pour cela que je ne l'ai jamais remarqué.

 

Quand je l'ai ouvert, j'ai vu des dates.

 

J'ai vu des secondes. Des minutes. Des heures. Des commentaires.

 

J'ai vu.

 

J'ai commencé à comprendre.

 

22/04/2007

-  Test de mathématiques = 12 minutes.

12/05/2008

-  Test de philosophie = 22 minutes.

07/03/2010

-  Rupture avec Anne = 38 minutes.

01/09/2011

-  Argumentation devant le conseil disciplinaire = 42 minutes.

02/02/2012

-  Entretien chez Nexity = 56 minutes.

06/03/2012

- Premier rendez-vous officiel = 58 minutes.

 

Les pages étaient noircis d'interventions et de temps. Ses interventions. Son temps d'existence. Vous pensez que ce soit le fait qu'il note tout ça dans un carnet sans que je le sache qui me fait peur ? Que de son propre chef, il mène une vie en dehors de moi ? Vous pensez que c'est cela qui me fait peur ? Pas du tout. NON. Je n'ai pas peur de cela. Mais regardez les temps. Regardez bien.

 

C'est de plus en plus long non ?



 

A suivre.

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