le bonnet vert
oliveir
Il fait froid, il neige ce matin, le vent souffle. Il faut se couvrir, il ne doit pas faire chaud sur l’esplanade de la Défense, ce n’est pas tous les jours que l’entorse au costume gris-anthracite est tolérée. L’anorak est de rigueur. Heureux, celui des sports d’hiver n’est pas trop loin. Il faut me couvrir les oreilles, mes feuilles de choux craignent les températures extrêmes. Je ne me vois pourtant pas exhiber les oreilles de Mickey que j’arbore sur les pentes enneigées. J’ai bien mon vieux bonnet couleur pois cassés, mais oserais-je m’affubler de cet horrible paletot de laine hors-mode ?
Pourvu que je ne rencontre pas le DRH, l’homme qui perd son sourire lorsqu’il boutonne sa veste. Il est le garant de la tristesse et de l’austérité, je suis sûr qu’il surlignera en vert tous les documents qu’il me fera passer sous prétexte qu’il aura remarqué mon penchant pour le vert de mon bonnet. Sans état d’âme, protégé des turbulences par un invisible parapluie, cet homme vous annonce les bonnes et les mauvaises nouvelles sur un ton égal, il vous parle de votre carrière comme s’il s’agissait de la décoration de la salle de réunion. C’est le genre d’homme à préférer les conférences aux pièces de théâtre.
Lors du dernier comité stratégique, il était assis à côté de Julie, la responsable des opérations de promotion. Avant la pause, j’ai essayé de me contenir un bâillement, il m’a fusillé du regard, j’ai cru, un instant, avoir commis une faute professionnelle, j’ai craint d’être traduit devant un conseil de discipline.
Julie remarqua aussi ce léger laisser-aller. Ses yeux, ses lèvres, son nez… tout son visage me sourit. Elle compatissait, nous étions des êtres de chair de sang, nous étions issus de la même pâte. J’aurais bâillé rien que pour me baigner dans ses regards. Elle me demanda à la sortie de la réunion si je dormais bien la nuit !
Si seulement je pouvais, coiffé de mon bonnet vert, rencontrer Julie sur l’esplanade, nous partirions d’un grand éclat de rire, tous les deux déguisés pour le carnaval de saison. Je chanterai une chanson et nous ferions un pas de deux, tels des personnages de Folon, engoncés dans nos vêtements trop amples. Les yeux gris de l’homme à la tristesse rancunière sortiraient de leurs orbites osseuses, il maudirait les flocons de neige et les rires des spectateurs aux fenêtres.
Hou le DRH à la tristesse rancunière. J'aime beaucoup ton récit. A quand la suite ?
· Il y a plus de 13 ans ·agathe
Et puis nous sommes sortis, tous les deux verts du reste ; Les gens nous regardaient abasourdis comme deux extra terrestres...bienvenu au pays des hommes verts
· Il y a presque 14 ans ·Daniel Adams