Le brâme

Olivier Memling

Retrouve mon ami les chemins de toujours
vers la forêt sombre tâchée de rouge et d'or
va chercher le berceau des temps originaires
quand tout au fond de toi frémit ta peur qui dort
d'un fragile sommeil d'angoisse millénaire
Tu sais trop que partout si la vie est intense
c'est bien qu'avec la mort elle a ses alliances

que toujours maintenant sont liés déclins et fêtes

qu’ici pourrit l’humus qui nourrit les gaulis

fait ces couverts où les bêtes ont leur retraite

les sangliers sortis des bauges et souillis
sombrement hirsutes
gourmands laboureurs de prairies
et fouailleurs de cadavres

les biches blondes aux larmiers mouillés
qui dansent leur course
dans les genêts et bruyères

et provoquent ce grand dix cors des hardes
frappant ses bois au tronc usé des arbres
pour défier ses vieux fauves rivaux
qui portent haut
leurs têtes enfourchées

On a vu, tu le sais dans le combat du brâme
deux grands cerfs par leurs bois enlacés
I'un sur l'autre tombés ne pouvoir se déprendre
le vaincu du vainqueur ancre au sol l'encolure
cors à cors
corps à corps
soudés par les ramures
leur martyr est ensemble et de soif et de faim

c’est l’amour et sa fin que clament leurs charognes

qu'ils ont un seul destin

blancs sont les ossements et blanches sont les pierres
dès que sorti du ventre de sa mère
chaque vivant appartient à la terre

Quand tes pères ont fait du cerf leur dieu d’enfer
qu'un héros seul et nu doit tuer chaque été
pour qu'il renaisse en dieu de la fécondité

c’est peut être aussi
pour qu'en ces nuits de fin d'été
où le rut des mâles
fait monter jusqu'à la ville onirique   
suspendue par dessus les grands bois   
le cri du brâme
ces longs râles
viennent émouvoir
le ventre des femmes   
égarées dans l'ombre des terrasses   
lorsque les plus beaux yeux du monde
sont aux étoiles

Écoute maintenant la colère, le désir,  le défi, le plaisir
dans ce long cri qui plane
écoute le brâme
si près de toi
en cercle au cœur des bois




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