Le bus 43 et la mariée

letswrite

Un corps, étique, perdu dans le ballant des vagues de la fourrure d'une famille de renards blancs, lutte pour que l'ovale en son sommet ne boive pas la tasse dans ce flot agité de mouvements.

Les cheveux hersés, impeccablement tendus en arrière, sertis d'un bandeau 30's, ouvrent sur deux billes sèches et hagardes, ourlées de faux cils et d'un filet d'eyeliner d'une rare précision.


Une silhouette blanche, comme une mariée à son grand jour,
s'efforce de maintenir la tête hors de la fourrure.


Sous le manteau monumental, un tailleur pantalon, porté depuis trop longtemps sans ourlet pour être encore immaculé, déchiré à sa base et enfumé par ses étreintes bitumineuses, échoue sur le socle haut de ce qui fut un jour des escarpins flamblancs neuf.

Les talons tordus et salis portent les stigmates d'un jeu cruel, comme d'embarquer précipitamment, laissant chevilles et pieds trainer dehors sur le trajet de la vie.


Une silhouette blanche vrille à chaque foulée en direction du bus 43.


Une main affinée par les années, fraichement manucurée, maintient fermée la fourrure à hauteur du col. Au chaud, dans les plis du bras, se lovent les hanses d'un sac en papier blanc passé, estampillé Courrèges, les angles émoussés par ses trop nombreuses sorties en ville. L'autre main tâtonne la porte pour saisir la poignée du bus.


Une silhouette blanche monte fébrilement dans le bus 43 et prend place sur le siège près du conducteur.


Les portes se referment.

Le bus démarre.

Une passagère :

— C'est vrai qu'il fait froid aujourd'hui !

Il ne fait pas froid.


La mariée :

— C'est vrai. Vous êtes du quartier ?

— Oui ! Vous aussi ?!

— Je demeure dans le 16e. J'ai laissé ma voiture porte Maillot. Ici on ne trouve pas à se garer. Je reviens du sport. J'ai besoin de faire du sport... C'est plus facile d'en faire le samedi que le dimanche...
Ca fait maintenant 50 ans... 50 ans que j'ai la même location. Oh ce n'est qu'un studio... très charmant au demeurant, avec une grande terrasse...
Vous savez si l'arrêt porte Maillot est encore loin ?

— Ah ? Vous travailliez aussi dans le 16e ?

— Oui...

— Quel était votre métier ?

— ...Dans l'immobilier.

— Vraiment ? Et vous êtes toujours restée locataire ?

— Oh c'était beaucoup plus simple de rester locataire...

— Oui ? Pourtant en travaillant dans l'immobilier vous n'avez jamais eu l'occasion d'acheter ?

— A vrai dire si... Mais c'était compliqué... Il fallait avoir des garanties. Et mon père n'a jamais voulu se porter garant pour moi...


Au fil des arrêts, des passagers descendent. 

Ou montent. 

Des vieux surtout. Tous interpellés par l'allure extravagante de la mariée qui feint d'être observée comme un mammifère inquiétant.

— Ah... Sans dossier, compliqué d'acheter, c'est vrai...

— Oui... Mais j'ai une maison à Biarritz... Un héritage, de mes parents. Une bien jolie maison...

— C'est magnifique par là ! Un bel endroit pour s'échapper de Paris !

— Oh je n'y vais pas, non. Ma mère y habite... Elle a 101 ans...
Nous n'avons jamais eu de bonnes relations. Ma sœur aussi ne la voit plus... Elle était dure avec nous...
Vous savez, lorsqu'il n'y a pas d'amour dans la famille, pas de bienveillance, on se construit mal. Et... ça complique l'existence.
Je suis partie de chez mes parents, j'avais 15 ans...
Bref ! Et comme elle a l'usufruit... et bien on y va jamais !


Un vieillard en velours côtelé terre, monte. L'œil blanchi par la cataracte mais pas assez pour ignorer la mariée, là, dans son champ de vision.
La mine révulsée, comme terrassé par une menace satanique, c'est avec hésitation qu'il passe devant elle. Des fois que sa vertue soit balayée d'un revers de fourrure. On ne sait jamais...


Doucereusement, la mariée l'interpelle... :

— Vous pouvez prendre ce siège-ci, Monsieur, la place est libre...

La main glossée Vermillon se pose sur le dossier du siège vide à coté d'elle. La sarcastique, tourne la tête vers moi, lève les sourcils, les relâche, effectue une rotation inverse en direction de la mariée :

— Encore un arrêt et nous arrivons Porte Maillot !

— Ah formidable ! Et bien c'est ici ! Regardez ! C'est là que je trouve toujours à garer ma voiture...


Le bus élancé sur le boulevard d'Aurelle de Paladines, vient de dépasser sur notre gauche un immeuble construit en angle, dans les années 70, abritant cette boutique de déco qui cultive pignon sur rue l'ambiguïté de la formule commerciale, en laissant depuis des années maintenant la bâche rouge lettrée de blanc « Outlet Design ».

— Voilà ! Nous y sommes...

— Ah très bien... Merci !


Sur ses échasses branlantes la mariée se lève, en direction de la grande porte de sortie, son sac Courrèges, affectueusement maintenu, et, sur le visage, le masque usé de sa dignité.


Une silhouette blanche, comme une mariée à son grand jour, sortait en vrillant du bois de Boulogne en direction du bus 43.


  • bonjour!
    je suis touchée par le portrait étrange de cette femme sans age, un peu fantomatique, décalée mais je reste sur ma faim car j'aime l'explicite
    parfois les auteurs sont dans leur monde et n'arrivent pas à communiquer le sens de leurs histoire aux autres
    ça peut etre un choix aussi de rester aussi vague qu''un reve, une brume, une rencontre, qche d'inachevé, un ressenti...
    mais personnellement j'aime bien comprendre et donc sur des textes comme celui la j'aimerais bien avoir le fin mot de l'histoire mais bon, c'est une approche assez basique
    il n'y a peut être rien à comprendre
    juste l'étrangeté et la variété infinie des gens qui nous entourent, de leur vies, un regard poétique posé sur ces inconnus qui nous confient leurs pensées ou leurs problèmes les plus intimes

    · Il y a environ 7 ans ·
    B%c3%a9b%c3%a9 rigolo

    Florence

    • Hello Florence !
      Merci de ton ressenti !
      L'idée c'est tout à fait ça : arriver à transmettre ces instantanés... courts, fugaces mais poignants. Comme cette scène dont j’ai été témoin. Oui cette femme était touchante par son excentricité… un mélange si étrange de sophistication et de déglingue et malgré ce chaos visuel… ses paroles criantes de vérité sur la famille… c’est l’enchevêtrement de tous ces contrastes…
      Le fin mot de l'histoire je ne le connais pas non plus... j’ai juste reliées entre elles ce que j’identifiais comme des « circonstances simultanées », afin de tisser le contexte de cette apparition… si tant est qu’on puisse vraiment…
      Elle sortait du Bois de Boulogne, apprêtée, seule… On va rarement faire du footing avec des talons de 10cm…
      Comme toi, d’un coté j’aurais aimé en savoir plus sur elle, mais d’un autre je me dis que peut être il y a là un début de réponse pas très joli… et qu’il vaut mieux s’en arrêter là.

      Belle soirée à toi !

      · Il y a environ 7 ans ·
       mg 0039abbb web

      letswrite

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