Le cahier

mina-fauster

Pour mes 30 ans, j’ai reçu un cahier. Un petit cahier : vert (une couleur que je n’aime pas trop, mais bon), à spirales, à petits carreaux, d’une marque réputée, probablement parce que ses feuilles sont douces et que l’encre y coule à ce que l’on dit plutôt facilement. Je l’ai reçu par la poste. Rien ne permettait d’en identifier l’expéditeur. Ni même le destinataire : pas un mot, pas un cachet sur l’enveloppe, pas une signature dissimulée entre ses lignes. Rien. Juste un cahier. Un petit cahier vert, à spirales, à petits carreaux et dont la marque m’évoque une certaine qualité.

Je me suis renseignée auprès de la concierge : avait-elle vu quelqu’un le déposer sous mon paillasson ? C’est elle qui a coutume de distribuer le courrier, et il n’est pas si facile de pénétrer dans l’immeuble. Elle avait bien dû détecter quelque comportement suspect. A moins que la personne à l’origine de ce cadeau ne fût suffisamment petite pour s’y faufiler à son insu. Toujours est-il qu’elle n’avait rien vu, rien entendu, et que moi je me retrouvais avec un cahier dont je me demandais bien que faire.

Qu’aurais-je donc à y écrire ? Mes listes de courses sont bien trop sommaires pour y être consignées. Et puis, ce n’est pas pratique de se balader dans les rayons du supermarché, un cahier sous le bras, à l’intérieur duquel il faut rayer chacun des items au fur et à mesure que le panier se remplit. Je pourrais toujours déchirer les pages et les plier en quatre au fond de ma poche, mais je n’aime pas trop altérer l’intégrité des objets. Je me souviens d’ailleurs que je me fais livrer l’ensemble des denrées alimentaires dont j’ai besoin : raison de plus pour éliminer cette possibilité.

Il est vrai que j’oublie assez facilement les choses : peut-être pourrais-je y noter chaque jour ce que j’ai fait, ce que j’ai mangé, avec qui j’ai parlé et ce que nous nous sommes dit. Seulement je ne fais pas grand-chose, je mange chaque jour la même préparation (c’est plus simple), et je ne parle quasiment qu’avec la concierge. La plupart du temps, c’est elle qui parle toute seule et elle me fatigue un peu, alors je ne vois pas trop pourquoi je m’amuserais à revivre ces douloureux moments en en reproduisant le contenu.

Je pourrais peut-être dessiner : enfant, je me débrouillais plutôt pas mal. Je prenais même des cours, c’est dire. Ce qui me tracasse, cependant, ce sont les petits carreaux : ils indiquent qu’il faut écrire, sinon les pages seraient toutes blanches. J’en ferais mauvais usage en y croquant des êtres issus de mon imagination.

Pour savoir comment l’utiliser, il faudrait déjà que je sache qui me l’a expédié. Cela me mettrait probablement sur la voie. La personne qui a souhaité le voir atterrir entre mes mains avait bien une idée en tête. Mais laquelle ? Cette question reste insoluble. Je n’ai pas de famille : inutile donc de chercher de ce côté-là. Je n’ai pas beaucoup d’amis : la concierge n’a pas fait le cours Florent, je serais bien étonnée qu’elle m’eût menti et qu’elle fût l’instigatrice de son envoi. Le livreur de courses est gentil, mais ce n’est pas souvent le même et il utilise une espèce de tablette numérique pour me faire signer et je sais quand il vient donc il aurait difficilement pu faire ça en douce. 

J’ai bien pensé à une intervention divine, mais à quelle fin ? Et puis, pourquoi moi ? Il y a suffisamment d’âmes à sauver pour qu’on daigne me livrer un quelconque message. D’autant que je n’étais pas très assidue au catéchisme : je ne compte certainement pas parmi les priorités humanitaires d’un bienfaiteur tapi dans l’ombre.

Je suis confuse. Avec ces histoires, je n’ai pas allumé la télévision depuis mes 30 ans. Si je compte bien, cela fait donc déjà huit jours, deux heures et une douzaine de minutes que j’ai rompu avec le monde extérieur. Il va vraiment falloir que je découvre le fin mot de cette histoire avant de devenir complètement folle. 

  • le style est coulé ... j'aime bien ces histoires parties de rien qui ne vont nulle part... elle sont souvent plus remplies que des scénarios trop touffus... par contre, contrairement à Mathieu j'espère que cette histoire n'a pas de suite ... Par contre écris tout ce que tu veux !

    · Il y a presque 12 ans ·
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    woody

  • Merci Mathieu, ce premier commentaire me touche beaucoup et m'encourage à poursuivre les publications. Merci encore, à très bientôt !

    · Il y a presque 12 ans ·
    Profile pic mina fauster 92

    mina-fauster

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