LE CAPITAINE DE SOIREE
Hervé Lénervé
Ce n'était pas une bonne idée de choisir Momo comme capitaine de soirée. Certainement, même, la pire des idées, mais bon… il faut les comprendre ces Jeunes… Momo était le seul à avoir eu dix-huit ans, le seul à avoir réussi à décrocher son permis et le seul à avoir une voiture, alors quand, vous avez envie de sortir, de vous amuser un peu ou de vivre tout simplement, vous savez, les bonnes idées, où vous pouvez les ranger. Les quatre jeunes qui allaient s'entasser dans sa vieille guimbarde avaient envie de vivre. Momo ne s'appelait pas Mohamed, mais Maurice, c'était un bon français, élevé par de bons parents franchouillards et bassiné dès l'enfance aux valeurs charitables du christianisme. Nourrisson, il avait été sevré au sein maternel, sa mère se faisait un devoir d'allaiter elle-même son enfant. Maintenant alcoolisée comme elle l'était, du levé au couchant, elle aurait mieux fait de s'abstenir d'avoir ce genre de scrupule pédagogique. Donc, dès son plus jeune âge, Momo fut initié par la tété à la boisson. D'ailleurs il avait gagné un autre surnom à force de traîner dans les lieux de licence IV, celui de « l'éponge », car il était capable sans que personne ne s'en aperçoive de vider un verre, celui d'un tel ou d'un autre, mais assurément pas le sien qui l'était déjà depuis cul sec, par un procédé d'absorption à distance juste en étant à une portée raisonnable de bras, quand même. C'était un magicien et le prestidigitateur finissait la soirée complètement prestigiditabourré.
Tout ceci pour dire que ce n'était pas une bonne idée de choisir Momo comme capitaine de soirée.
Dans la voiture, il y avait Benjamin, un bel adolescent avec, déjà derrière lui un sérieux bilan de brillantes conquêtes, dont Adeline la dernière, disons celle du moment plutôt, car elle serait loin d'être la dernière, à moins que… Adeline se serrait contre son Amour éternel de l'éphémère.
Ensuite venait, le déterminé Aurélien qui était facteur pour payer des études de psychologie qu'il voulait faire, que voulez-vous, il avait la vocation, la foi, cela ne se discute pas. Puis, en dernier, la meilleure pour la fin, la belle et légère Aurélie, une personne magnifique en esprit comme en apparence, belle à croquer la vie à pleine dents qu'elle avait étincelantes, le contraire m'eut étonné.
Les jeunes avaient décidés de passer la soirée de ce samedi dans une boite parisienne, un endroit qu'ils connaissaient bien et où tous les habitués les connaissaient bien aussi. Musique à rendre sourd un aveugle, gin tonique et vodka orange pour ne pas être déshydratés et gesticulations sur des basses qui vous vrillent agréablement les tripes et les reins, phrases criées aux oreilles, dont on perd aussitôt le sens, gestes ébauchés d'une main sur une hanche, baisés volés entre deux mouvement, bref une bonne soirée alcoolisée de jeunes.
Mais, « c'est pas tout, tout ça ! », le club ferme aux alentours d'environ deux heures tapante, pile, poil, c'est le règlement et il faut rentrer, si on retrouve les clés de la tire.
Benjamin s'énerve, il a sommeil et veut se coucher au plus tôt.
- Putain, mais fouille tes poches, Momo ! Ne dis pas que tu les as encore perdues dans la boite.
Et tous les jeunes, filles comme garçons, se mettent à fouiller les poches de Momo. On croit toujours mieux réussir, soi-même, ce qu'un autre ne réussit pas de lui-même, pourtant ici, malgré la fouille sans respect de l'individu dépossédé de toute intimité, on ne trouve rien, dans un bric à brac de bazar, de ressemblant à des clés de voiture.
- Merde ! Merde ! Merde ! (trois fois, autrement ça l'fait pas) t'es vraiment trop con Momo ! (une fois, c'est suffisant.) C'est encore l'énervé de Benjamin.
Puis Aurélie, la plus sensé et la plus belle, mais là, ça ne compte pour rien, ouvre la porte de la voiture qui n'était pas fermée pour la seule raison que les clés pendent encore lascivement sur le contact.
- Super ! Heureusement qu'on ne s'est pas fait piquer la caisse, proclame l'apprenti psycho-facteurologue.
- Qui voudrait piquer une poubelle pareille ? Dit, Momo qui n'a que peu d'estime pour son bien.
- Bon, allez ! On y va, on ne va pas y passé la soirée, non plus ! (Benjamin.)
- La matinée, tu veux dire. Allez, c'est parti, cette fois ! (Momo.)
Parti, partit, c'est vite dit. Il faut d'abord que l'ancêtre du moteur à explosion veuille bien démarrer et… Hourra ! Elle le veut, elle démarre sans rechigner ou si peu, c'était bien la peine de lui faire un procès de mauvaises intentions. C'est donc parti, prendre les quais, longer la Seine pendant un kilomètre, puis… « Longer », on a écrit pas « plonger », c'est pourtant cela qu'à du entendre Momo car au premier virage à droite, il a viré à gauche et hop ! Parapet passé, yes ! Vol plané assuré, yes ! Par-dessus une péniche, Yes ! Et plouf dans la flotte, shit !
Les vieilles voitures ont, l'avantage incontestable pour la sécurité, de ne pas avoir de ceinture dites de la même fonction, aussi les jeunes n'ont pas de mal à s'extraire du véhicule qui n'étant pas conçu pour flotter coule à pic, normal ! En nageant vers la surface qui les ramènera au Paris du dessus, les jeunes voient le ciel éclairé d'une claire lumière de jour alors qu'il ne s'est pas encore levé, ce paresseux. Une luminosité étrange où plusieurs couleurs se mélangent rendant une atmosphère irréelle mais sereine et apaisante et il y a même de la musique, les jeunes s'en aperçoivent arrivés à l'air libre, de la musique classique un peu spirituel ou mystique ou céleste, ils ne savent pas bien, ce n'est pas leur genre de musique préféré. Dans le ciel volent une multitude de mouettes, mais elles se sont toutes déguisées en chérubins ailés à la Raphael, si bien que l'on croirait voir le ciel peint comme le plafond de la chapelle Sixtine où le réalisme du trompe l'œil est accentué par un mouvement frénétique des modèles, la perspective de la profondeur du ciel n'a que les limites de la vision humaine.
- Vous voyez toutes ses mouches ? (Benjamin)
- Je crois qu'on est mort.
Emet timidement Momo dans l'espoir qu'un de ses potes le contredise, mais comme personne ne le fait, et qu'il faut bien admettre les évidences, même si elles sont déplaisantes, la bande accepte l'idée de l'inacceptable, surtout quand on a la vie devant soi.
- C'est trop con ! Déclare Benjamin, je venais d'aller chez le dentiste ce matin et j'avais un rencard demain avec…
- Avec qui ? Tu peux me dire ! L'interrompt la jolie Adeline.
- Tu crois que c'est encore le moment d'être jalouse ? (Aurélie.)
- Peut-être pas ! Mais crois-moi tu ne l'emporteras pas au paradis, mon salaud. (Adeline à Benjamin)
- Je crois que c'est trop tard ma chérie, nous y sommes déjà. (Benjamin.)
C'est ainsi que se termina la soirée de notre bande de jeunes. Aucun coup de théâtre pour les sauver, ni de miracle, ni de fées à la baguette magique pour les sortir de ce mauvais sort. N'imaginons même pas l'incompréhension des parents réveillés par la sonnerie stridente du téléphone tôt ce dimanche matin. Elle ne finira plus de résonner à leurs tympans, bien après qu'elle se fut tue. Une trompette qui tue. Les trompettes de Jéricho.
- Mais de quoi me parlez-vous ? Qui êtes-vous, monsieur ? Notre enfant… accident… noyé(e)… dans la Seine… cela n'a aucun sens…
Aucun, en effet ! Mais pourquoi la mort aurait-elle plus de sens que la vie ?
Un texte qu'on devrait afficher à l'entrée de toutes les boîtes de nuit !
· Il y a environ 7 ans ·Louve
...mais est-ce qu'ils savent encore lire...
· Il y a environ 7 ans ·Louve
On peut essayer en bandes dessinées.
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
allez hop ! osons osons Joséphine
· Il y a environ 7 ans ·http://www.dailymotion.com/video/x19949h
anna-c
Vous avez raison, c'est plutôt sarcastique en vérité, on vous entend presque "ricaner" à l'arrière !!!!! et c'est parfaitement adapté ! :)
· Il y a environ 7 ans ·anna-c
« A l’arrière des berlines… on devine des monarques et leurs figurines » Osez Joséphine, du regretté Bashung. Maintenant ne me demandez pas d’en expliquer le sens. Je n’ai jamais rien compris aux textes de Bashung, cela ne m’empêche d’aimer, quand même. :o))
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé
'dans l'espoir qu'un de ses potes le contredise, mais comme personne ne le fait,.... "
· Il y a environ 7 ans ·ah vous êtes le Maître du Dérisoire Hervé Lénervé !
ça se fête chin !
anna-c
Merci Anna ! Mais le dérisoire est plus proche du désespoir que du champagne. :o))
· Il y a environ 7 ans ·Hervé Lénervé