Le carnet magique

Joelle Eymery

Alice sortit dans le petit matin encore brumeux de sa nuit de sommeil, quand le jour se lève et que les premiers lapins s'ébrouent dans l'herbe verte couverte de rosée.


Elle se rendit à petits pas vifs sur la place du village où les premiers exposants déballaient à peine leurs cartons emplis de trésors divers ; jetant un coup d’oeil averti sur ce qui, déjà, s’amoncelait sur les nappes dressées pour l’occasion.


Elle adorait depuis l’enfance ces vide-greniers, où l’atmosphère unique lui mettait la joie au coeur.


Beaucoup d’objets incongrus, parfois très anciens, venaient finir leur vie interrompue dans sa petite maison  où, après les avoir minutieusement nettoyés ,elle leur rendait leur dignité en leur offrant la nouvelle douceur d'un foyer.

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

... Ce matin là, rien de particulier n’avait retenu son attention.

Elle s’assit quelques instants au café en regardant avec tendresse ce remue ménage insolite ; les marchandages inévitables des collectionneurs, tous ces gens accroupis autour des cartons de livres ou semblant soupeser avec intérêt quelque bibelot venu d’un voyage oublié …


Elle aimait ces échanges et n’hésitait pas à converser avec les vendeurs.

Elle entama le troisième tour de la matinée vers dix heures.

Le soleil brillait et le ciel d’un bleu profond confirmait la promesse d’une belle journée de fin d’été.


Soudain, elle vit, étrangement à l’écart sur une vieille couverture, un petit carnet ancien.

Elle l’ouvrit, et constata qu’il était vierge de toute écriture.


Comme elle aimait écrire de petites phrases à tout moment de la journée, ou recopier des citations philosophiques qui faisaient tilt dans son cerveau, elle l’acheta pour un prix modique et le fourra au fond de son sac.

Alice rentra chez elle et déposa le carnet sur une étagère, puis, après avoir mangé, s’absorba gaiement jusqu’au bout de la journée à ses tâches ménagères.

Ce ne fut que deux jours plus tard qu’elle reprit le carnet pour le regarder de plus près.


Quelle surprise !

Il était entièrement rempli d’une petite écriture serrée … qui ressemblait fort à la sienne !


Une sorte de journal intime qui aurait pu être le sien, puisqu’il racontait dans tous ses détails sa propre histoire …

... et au fil du temps, le carnet continuait à se remplir, sans que jamais elle n’écrivit dessus !

Toute sa vie, ainsi, fut consignée dans ce carnet, et fut publiée, beaucoup plus tard, après sa mort, sous son patronyme : "Alice au pays des merveilles".

Les droits d'auteur furent intégralement reversés à une association : "Les écrivains morts de n'avoir pas été lus".

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